Saroléa 23RC sauvée de justesse de la ferraille à... Anvers
Écrit par Michel Mohring   
Mercredi, 09 Mars 2011 12:01

Ce mois-ci, je vous raconte une histoire extraordinaire qui m’est arrivée au milieu des années septante. Un vrai conte de fée. 

Mon beau-père reçoit un coup de téléphone d’un confrère qui transforme le plastique comme lui dans la région d’Anvers. Il a racheté les bâtiments en ruine juste à côté de son entreprise pour agrandir son activité. Malheureusement, ces vieux bâtiments ont été bombardés pendant la guerre, il n’en reste rien.

Une excavatrice est sur le chantier pour assainir le site. Le grutier sépare consciencieusement les déchets et sépare les gravats. Un tas de  briques et de pierres d’un côté et tout ce qui est  métallique de l’autre. C’est  là que le coup de fil prend toute son importance. Notre anversois s’est aperçu que dans le tas de vieux fers des morceaux ressemblent étrangement à des restes de motos. Si cela vous intéresse venez vite avant que le tas ne soit évacué. Pas une minute à perdre, j’embarque un coffre à outil, je pars sur Anvers.
              

Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant le tas. Un amoncellement de ferraille tordue dans tous les sens et rouillé à l’extrême. Une vision d’apocalypse. Je m’avance perplexe pensant avoir fait le trajet pour rien. Et puis à force de regarder et de chercher, des petits accessoires  de couleur verte apparaissent. Ce sont des manettes de gaz, d’avance à l’allumage, des leviers de toutes sortes, bref tout une multitude de chose en laiton oxydé par le temps. Repolis les accessoires retrouveront une deuxième jeunesse. Impossible de démonter sur place, la scie à métaux va m’être d’une grande utilité aujourd’hui. Chaque guidon (qui ressemble plus à de la dentelle ) va être scié. Le reste du tas est irrécupérable. Quoique.

 


Mon regard est attiré par une espèce de chose qui pourrait être un bloc moteur. Je dégage ce qui est autour et de fait je crois reconnaitre un moteur Saroléa. Il est toujours dans son cadre. Celui-ci s’apparente plus à la dentelle de Calais qu’à un cadre de moto. La scie va encore m’aider. J’isole le moteur et essaie de déterminer son âge et à quel type de machine il appartient. Au premier coup d’œil, je suis surpris par le carburateur, il est surdimensionné et tout en cuivre. Le carter possède des renforts en étoile, je n’en ai jamais vu de pareil surtout dans les années vingt, date de fabrication me semble-t-il. Bizarre !

 

Sur un moteur Saroléa  un chiffre et une lettre gravée sur le carter au bas du cylindre détermine l’année et le type de la moto. Il ne me reste plus qu’à gratter à cet endroit précis pour être fixé. Je gratte avec un objet métallique….

Un chiffre et deux lettres apparaissent 23 RC et une couronne bien visible à côté des deux lettres.

Le R signifie racing et le C course. Bingo un moteur de course de 1927. Je n’aurai jamais la signification de la couronne.

Dommage ! Peut être un don de la maison Saroléa à notre roi Albert 1er amateur de belles mécaniques, qui sait, ou le souvenir d’un trophée, un titre, une victoire,  pourquoi pas.  On peut rêver..
             

Découvrir  et sortir un tel moteur d’un amas de ferraille presque 40 ans après avoir été victime d’un bombardement tient du miracle. Le moteur est dans un état lamentable mais complet et sans dommage apparent, j’espère pouvoir le sauver et un jour l’utiliser.

 

Je n’ai hélas aucune photo dans mes archives illustrant cette trouvaille, pas la moindre photo avant restauration.
De retour à la maison, tel un archéologue j’ausculte avec minutie le moteur et comment je vais m’y prendre pour l’ouvrir tant les années l’on abimé. Je ne désespère pas de lui rendre vie un jour. La tache va s’avérer difficile et longue mais mon moral d’acier va faire le reste. De fait, après un nombre incalculable d’heures et de patience le moteur a repris vie, c’est une résurrection.


Il faut savoir que ce moteur a été conçu pour courir et surtout gagner.
Tout a été mis en œuvre pour qu’il soit performant. La puissance dans les années vingt est obtenue par la forme de l’arbre à came, la dimension des soupapes, de la haute compression du mélange air ,essence dans la culasse, de la grosseur du carburateur et la sortie d’échappement qui est énorme.

C’est pourquoi les carters sont renforcés et que la culasse n’est pas attachée au cylindre comme habituellement mais bien à l’aide de quatre colonnes directement et solidement fixées aux carters, d’où son appellation de « moteur à colonnettes ».

 

Ce moteur a été redoutable et redouté par la concurrence.
Des grands noms du sport motocycliste belge tel Grégoire et Milhoux ont piloté ce monstre pour conquérir des titres prestigieux.



SI le moteur est puissant pour l’époque la partie cycle ne l’est pas du tout car il est issu de la série.  En somme, c’est un gros cadre de vélo avec une petite fourche à parallélogramme à l’avant munie d’un simple ressort pour amortir et  l’arrière rigide sans aucune suspension. J’ai placé mon moteur 23RC dans une partie cycle complète de 500 culbuteur de 1926 que j’ai dans mon atelier.

Le guidon et les garde boues ont été adaptés pour prendre une allure course. C’est ainsi qu’à l’époque le service course procède vu le nombre très limité d’engins destiné à la compétition. Les budgets en ces temps-là ne sont pas ceux d’aujourd’hui.
               

La mise en marche reste un moment magique mêlée d’émotion. La vie reprend lorsque la première explosion se produit dans un bruit d’enfer car la moto n’est pas équipée de silencieux d’échappement. J’ai beaucoup de fierté d’avoir ressuscité ce moteur de course proche de la destruction fatale. Une petite partie de notre patrimoine liégeois est ainsi sauvegardé.


Si je restaure, ce n’est pas pour regarder ma moto, mais pour rouler alors je vous emmène faire un tour. Accrochez-vous car ça décoiffe.

Un petit détail avant de démarrer, le levier de vitesse est au réservoir ce qui oblige à lâcher la main droite du guidon pour changer de vitesse. L’exercice est périlleux avec autant de puissance entre les jambes. Attention, c’est parti.

Chaque coup de piston en première fait patiner la roue tant la puissance est importante. Le passage de la deuxième est délicat la position du levier doit être précise, il est déjà temps d’enclencher la troisième, la montée en régime est rapide tout comme la vitesse d’ailleurs, les 100 km/h sont vite atteint, et la moto vibre de partout, on flirte avec les 150km/h.

Vite il faut freiner et là encore nous ne sommes pas à l’époque du frein à disque, il faut anticiper par prudence. Je vous assure c’est réellement  une bête de Grand Prix, ça pousse comme un avion de chasse. Je m’arrête, J’ôte mon casque.

Je dégouline. Quelle poussée d’adrénaline. Incroyable, mais quel plaisir.

Vivement un test grandeur nature sur circuit. Je vous laisse regarder les photos elles parlent d’elles même. Remarquez que la Saroléa est en première ligne. Les allemands au Nurburgring savent reconnaitre la valeur technique de ce constructeur liégeois. Nul n’est prophète en son pays dit le proverbe Je souhaite  que les amateurs d’ancêtres fassent de beaux rêves.


 

Mon épouse m’a demandé de vendre cette Saroléa23RC elle avait trop peur lorsque je la pilotais.

Toute l’histoire de cette Saroléa est incroyable mais vrai.

Quelle aventure,et quel souvenir je garde d’elle.



Une simple question avant de terminer.  Combien d’enfants savent que tout près de chez nous des motos ont été construites, toutes auréolées de gloire et de succès.

Nos voisins ont envié notre compétence et notre savoir-faire. Nos manuels d’histoire n’en parlent même pas. Quelle tristesse!

            

 

Mise à jour le Mardi, 29 Mars 2011 06:11
 

Commentaires

 
-1 #1 Jean Nizet 29-03-2011 21:27
Merci pour cette belle histoire....quelle patience il a fallu, mais le résultat est là et merci de nous en avoir fait profiter!