| Liège et sa province ont la France à coeur et au coeur. Sur leurs 84 communes en quête de l’ âme soeur, une bonne soixantaine l’a trouvée et parfois à plusieurs reprises Outre-Quiévrain. D’où l’idée de retrouvailles périodiques, histoire de (re)faire connaissance et de se compter.
En un demi-siècle de jumelages, le monde a bien changé et tous n’ont pu répondre à l’invitation lancée par les autorités provinciales liégeoises d’une part, et départementales françaises du Rhône et des Côtes d’Armor, d’autre part. Certains comités avaient l’excuse d’être chez leurs jumeaux et tandis que d’autres, basés sur des intérêts économiques devenus obsolètes, n’existaient plus guère que par une charte de papier. Ce qui n’est le cas ni d’Arles ni de Verviers dont les liens de l’amitié reposent depuis bientôt 45 ans sur des sentiments totalement altruistes. |
Réception du Palais provincial 48 comités forts de douze personnes photographiés à la queue leu leu en compagnie des organisateurs, cela donnait sous les voûtes de l’escalier d’honneur et les ors des salles de réception du Palais provincial, jadis celui des princes-évêques, un joyeux brouhaha.
| Arles-Verviers et Verviers-Arles s’y joignirent tout fiers d’aligner qui une Arlésienne : l’ancienne présidente, Élyette Ingénito étrennant atours XVIIIe et coiffe à la chanoinesse, qui une mireille : Jacqueline-la noire qui, à chaque séjour en Arles, complète son costume. |
Partie académique au Val-St-Lambert, ex-résidence d’été des princes-évêques, où l’on rappela la bonne raison des jumelages : expliquer au voisin ses différences en lui permettant de les partager. À titre d’exemple : Verviers sirote désormais son pastaga ( pastis ) et Arles vide sa petite chope de bière. Après le déjeuner au Cercle de Wallonie, visite des cristalleries et le soir venu dîner des retrouvailles auxquelles participèrent plus de 800 personnes au Marché couvert de Hannut. On régala cette honorable assemblée de spécialités typiquement locales : boudins, compote de pommes et purée, boulets à la liégeoise etc. On y vit une sévère Marianne haute de trois mètres se joindre aux danseurs et on y reprit en choeur la Marseillaise, la Brabançonne, le Valeureux Liégeois écrit en 1790 par l’abbé Ramoux pour les milices liègeoises. À elles, revenait la tâche “d’expulser des foyers de leurs concitoyens les ennemis de la patrie qui ont osé y pénétrer”. Ce qui est dans la note du “Chant de guerre pour l’armée du Rhin”, composé en 1792 par Rouget de Lisle et qui en tant que Marseillaise devint en 1795 l’hymne national français.
En guise de clôture, l’on entonna à plein gosier le Chant des Wallons, l’original de 1900. donc en wallon. Il y eut le lendemain avec la remise des photos officielles, un copieux petit déjeuner-fricassée pris dans le cloître de l’actuel Musée de la Vie wallonne. Nos deux délégations le visitèrent avec grande curiosité, les présidentes Anne Rabet et Yvonne Giet-Lebeau en tête.
C’était-là le programme officiel des rencontres.
L’officieux, lui, commença par un hommage rendu à Jeanne Calment, l’Arlésienne doyenne de l’Humanité, dont le portrait peint par Charles Leuther, avait été ramené d’Arles par le comité verviétois. Il a été présenté au Musée Renier dans le cadre d’une rétrospective consacrée à l’artiste. Ses paysages provençaux retinrent particulièrement l’attention de nos Arlésiens.
Puis vint le temps de la leçon d’histoire où pour se faire, on parcourut les terres formant jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le marquisat de Franchimont. Pour mémoire, ce dernier était divisé en cinq bans : Verviers, Theux, Polleur, Sart et Jalhay. | À tout seigneur, tout honneur, on commença par le château féodal de Franchimont doté dès le XIV e siècle d’artillerie et d’où partirent en novembre 1468, les “Six cents Franchimontois”. Ils voulaient assassiner sous sa tente, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne venu assiéger Liège dont les métiers s’étaient révoltés une fois de plus contre leur Prince-Évêque, à l’incitation d’ailleurs du roi de France Louis XI. Ce dernier, contraint et forcé, était de la partie. Le Grand Duc d’Occident donnait là un signal fort qu’ignorèrent superbement les Liègeois dont la ville fut mise à sac. Leur attachement à la France ne s’en démentit pas. Il faut cependant souligner que notre principauté, zone tampon entre latinité et germanité, ne connut pas comme les Pays-Bas espagnols les affres du “siècle des malheurs”, celui de Louis XIV. Quant aux “Six Cents”, ils échouèrent de peu et furent massacrés jusqu’au dernier pour avoir voulu défendre les libertés communales. Un catastrophe humaine pour notre marquisat car y périrent probablement tous les hommes en état de porter les armes. |
De l’exercice de ces libertés à la Liberté tout court, trois siècles vont s’écouler, ce que l’on raconta sur le vieux pont romain de Polleur. Un 14 juillet 1789, les Parisiens prennent la Bastille. Le 18 août, les démocrates liègeois prennent leur hôtel de ville, “démissionnent” les autorités en place et exigent des réformes. Une Révolution, la Revolucion lidjwesse ou binamêye Revolucion ) est bel et bien en marche car dès le 9 août, le mayeur de Theux, l’avocat Laurent François Dethier avait convoqué le ban et l’arrière ban du marquisat à Polleur, “carrefour de routes où chacun, pour aller à la rencontre de l’autre, faisait une partie du chemin”, ce qui est très esprit jumelage.
Le 16 septembre y fut proclamée un Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen pour le Franchimont où l’on pouvait lire en guise de conclusion que “toute société dans laquelle la garantie des droits énoncés en quinze articles, n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a pas de constitution”. Sur quoi, l’on y plancha pendant environ deux ans. L’histoire suivit son cours avec l’aller et retour des forces révolutionnaires, entre autres françaises, et des impériaux restaurant l’ordre ancien avec cependant un épisode surprenant : le vote démocratique en 1790 du rattachement de la République de Liège à la France alors que cette dernière était encore un royaume.
Francophiles, Liège et sa province le sont, contre vents et marées, restés. Les premières légions d’honneur remises en dehors du territoire français distinguèrent après la Première Guerre mondiale, la ville et l’un de ses habitants, mineur de fond. Où diable, le Consul général de France Zair Kédadouche, dit-il se sentir “comme chez lui en France” ? Dans nosse pitite patreye, tiens donc ! Et puis où jette-t-on le mieux son bonnet par dessus les moulins le 14 juillet ? À Liège pardi ! où la Meuse se prend pour la Seine sous les flonflons du bal et les étincelles du grand feu d’artifice. Et où chaque 18 juin, rend-on hommage à Charles de Gaulle pour cet appel qui “rendit l’espérance” ? À Verviers, ce qui est unique hors de France. Quant au 14 juillet, il s’y commémore avec une semaine d’avance sur le calendrier, faut qu’on festoie à Liège aussi, avec le parrainage par l’Union française de notre bonne ville, des tombes, où cela d’ailleurs est inscrit, de soldats bleu-blanc-rouge morts pour nos deux patries en 14-18 et 40-45.
Et comme l’on est à Verviers, les deux manifestations se terminent par le verre de l’amitié dans un hôtel de ville où le chirurgien Georges Grégoire Chapuis osa parler en 1790 de libertés civiles.
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