| Marianne Doucet, vous voici récompensée avec une seconde fontaine à Verviers. Quel effet cela vous fait-il ? Je suis super heureuse et ceci dit sans prétention, aussi très fière de l’honneur que me fait la Ville de Verviers dont je suis originaire. Ville que je porte dans mon cœur avec beaucoup de tendresse. J’espère la servir au mieux et lui apporter une part de poésie, de rêve et de beauté. |
Verviers a été délaissée et lui rendre quelque prestige est primordial. Cette place donnée à l’art est nécessaire pour sauvegarder une vision d’espérance sur un monde très bousculé par la crise. Un monde qui a des valeurs à réapprendre comme - la beauté, par exemple. Beauté du geste, beauté du mot, beauté de la générosité, beauté de la vérité, beauté du regard, beauté de l’effort…et il y a du travail à accomplir pour retrouver toutes ces valeurs. Monsieur Desama et les édiles communaux verviétois l’ont bien compris, eux qui font le pari de remettre l’art au centre de la Ville pour lui donner âme et souffle.
En quoi a consisté votre travail de création ?
Mon travail de création s’est développé après diverses lectures concernant les entreprises Marabout. Je tenais à ce que le logo « Marabout » soit visible au premier coup d’œil. Il n’était pas question pour moi, de réaliser un oiseau plus ou moins ressemblant, ou juste une référence lointaine. J’ai pensé un instant, réaliser un oiseau beaucoup plus aérien, ce qui correspondait plus à mon imaginaire artistique, puis me suis ravisée, réalisant que je devais respecter le souvenir de la Maison d’Edition Marabout et rester la plus proche possible de sa réalité. (Ce qui différait du travail de « La Grâce » pour lequel, je n’avais aucun thème à respecter.) Cette fontaine devait être un hommage rendu à une entreprise qui a été très prospère et qui a exporté Verviers et son image loin, très loin. Je me devais de la servir « elle » et non moi. L’imaginaire devait venir, cette fois, de la mise en relation d’un pan de l’histoire des éditions Marabout à faire redécouvrir aux visiteurs.
Fontaine Marabout, quel a été votre lien artistique avec les célèbres éditions du même nom rue de Limbourg ?
Mon lien artistique est assez évident, car comme vous le savez peut-être, l’écriture est un art par lequel j’ai la chance de m’exprimer, tout autant que la sculpture. On me demande souvent si je préfère écrire ou sculpter et je ne sais que répondre, ces deux arts s’entremêlent dans ma vie et se complètent à des moments différents. Je sculpte les mots et inscris les sculptures de mon âme.
Allier sculpture et écriture par la réalisation d’une œuvre est extraordinaire et en même temps, le lien me semblait évident. J’ai d’ailleurs fait un petit clin d’œil aux visiteurs et gravé le titre de mon premier livre sur le livre en bronze que lit la « Demoiselle Curieuse » !
Parlez-nous de votre travail de réalisation.
Mon travail de réalisation est un travail très technique, qui demande volonté, ténacité, courage, exigence et en même temps, un peu paradoxalement : souplesse et ouverture. Tout un programme, donc !
Quand vous réalisez une œuvre d’art de cette envergure, il est nécessaire de passer par de nombreuses étapes. Je comparerais ce travail à celui d’un athlète qui courrait le 110 M haie. Il doit sauter une haie à la fois tout en pensant toujours à arriver sur la ligne d’arrivée avec le meilleur résultat possible. 1° haie : l’idée. 2° haie : la conception. 3°haie : la réalisation 4°haie : le travail spécifique au matériau choisi : cire perdue, moulages, coulage, soudure, patine…et j’en passe pour ne pas être fastidieuse. 5°haie : le cahier des charges à respecter scrupuleusement. 6°haie : le volet pécuniaire à assumer. 7° haie : entendre et contourner les contingences techniques…ce qui n’est pas toujours évident, les contraintes techniques ne rencontrant pas toujours les exigences artistiques. 8° haie : en essayant de ne pas s’être perdue en route, placement et ligne d’arrivée (en espérant que le travail terminé soit respectueux de l’idée d’origine).
Heureusement, pour moi, le travail abouti est tout à fait conforme à mes images conceptuelles et mieux encore, je trouve la fontaine plus belle que celle qui me trottait en tête…
C’est toujours une surprise, pour moi, de découvrir le travail terminé car il existe dans mes oeuvres, une part d’inconscient que j’essaie de sauvegarder et de privilégier pour rester moi-même. Puisque je travaille entièrement seule, je peux prendre chaque décision dans le sens du guidage ou celui du laisser-faire et je prends option pour l’un ou l’autre selon mon objectif. Je planifie tout ce que je peux planifier mais laisse aussi l’imagination et les surprises me happer. Il existe une certaine prise de risque dans ma façon de fonctionner. Tout ceci peut paraître paradoxal mais fait partie du processus de création d’une œuvre d’art, il me semble. Sinon, ce serait de la mécanique…
L'oeuvre terminée, présentez-là nous.
Il s’agit ici, d’une mise en correspondance du Marabout qui distribue le savoir, avec une Demoiselle Curieuse d’apprendre- par l’intermédiaire du livre. La fontaine est le puits du savoir et sa lumière, la lumière de la connaissance.
Pour la petite histoire, sachez que la jeune femme est africaine, ceci pour répondre au besoin d’alphabétisation des hommes et plus particulièrement encore des femmes, partout dans le monde. Dans tout mon travail artistique que ce soit en sculpture ou en écriture, j’essaie de donner une place importante à la femme.
La polémique autour du choix de votre nom pour le choix de cette fontaine, vous a-t-elle touchée ?
Vous savez, quand vous êtes choisie pour une telle réalisation, vous vous attendez à ce que cela provoque des réactions. Vous suscitez l’admiration, la reconnaissance, l’étonnement mais aussi l’envie, la jalousie et la médisance… La nature humaine est ainsi faite et il faut l’accepter.
Tout ce que je peux dire par rapport à cet épisode, c’est que j’essaie d’avoir l’élégance de Lao Tseu qui disait plus ou moins ceci : « Si quelqu’un t’a fait mal, il ne sert à rien de te venger, sois patiente, assieds-toi au bord de la rivière et médite. Un jour, tu verras flotter le cadavre de sa méchanceté. » Alors, je me suis assise au bord de la rivière…
Qu'est-ce qui importe dans votre vie aujourd'hui ?
Tout d’abord, et je dirais presque uniquement, le bonheur de ma famille. Les gens qui m’aiment savent pourquoi je fais tout cela, ils m’encouragent et me soutiennent. J’espère que ma fille et mon petit-fils seront fiers de mon travail et que je leur ouvre la voie du courage et de l’envie d’aller jusqu’au bout de leurs rêves. Chaque réalisation fut pour moi, une victoire : une victoire sur la vie, sur la mort, sur la maladie, sur la médisance… Les difficultés m’ont assagie, elles me permettent d’aller toujours plus loin dans l’écriture et dans la facilité à faire les choix judicieux concernant mes priorités.
Je ressors grandie de ces magnifiques moments que furent la réalisation de la Grâce, la concrétisation et le bel accueil de mon livre « Comme de la pointe d’une plume »,, l’aboutissement de la Fontaine Marabout et de sa Demoiselle Curieuse.
Votre sentiment à l'aube de cette inauguration ce 18 août ? J’ai le sentiment du travail terminé, du travail bien fait. Je suis en paix avec moi-même et ai l’impression d’avoir accompli une partie de mon destin.
J’ai sauté toutes les haies et ai gagné la course avec moi-même… Je me suis assise au bord de la rivière et ai repris mon souffle… Et, le 18 août 2010, à 16 heures, je sauterai de joie dans ma fontaine aux mots d’amour !
Merci Marianne Doucet
Merci à vous pour tout ce que vous faites !
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