Le carnet de Loreta : avril 2013, dix-huitième volet
Écrit par Loreta Mander   
Lundi, 29 Avril 2013 18:47

Loreta, nous partage sans fausse pudeur, avec simplicité, coeur et passion, son carnet de bord, celui d'une femme sur le chemin, là où la montagne se dresse.


Son 18ième volet est comme toujours touchant ou bouleversant,... comme les autres lettres qui ont précédé ! 

Comme un cri, elle nous disait : "Il ne faut pas attendre le pire pour s'arrêter et réfléchir un peu à soi.  Je ne suis pas plus forte qu’une autre, mais une espèce d’instinct animal me pousse à me battre de plus en plus hargneusement et ça je ne peux l’expliquer

Lors de son premier échange Loreta se présentait ainsi : "La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie".
Tout allait pour le mieux pour moi : j’ai rencontré mon cœur jumeau, je reconstruis ma vie et je suis tout simplement heureuse.
J’ai 2 enfants. Il a 2 enfants. Nous voici famille recomposée de 4 enfants, qui s’entendent très bien.
Je suis née à Verviers et y ai vécu jusqu’en 2000. Pour des raisons professionnelles et amoureuses, j’ai migré vers la périphérie bruxelloise, où je réside encore à l’heure actuelle".
Voici son carnet de bord, dix-huitième volet

 

Dimanche 07 avril 2013

Qu’il est doux d’ouvrir les yeux en apercevant un grand ciel bleu et un beau grand soleil au milieu. J’attendais ce jour plus doux depuis des lustres. Que cet hiver m’a paru long.
Hier, Arnaud mon fils et Aude sont venus nous faire un petit coucou. On a passé un super moment.
Après leur départ, je commence à greloter. Un froid intense m’envahit. Ca y est, environ 10 jours après la chimio, les vieux démons apparaissent. A cours de tout ce qui nous donne du punch, je m’étale comme une vieille serpillère dans le divan. J’ai de plus en plus froid. Notez que c’est mieux que les autres fois, je n’ai pas de fièvre, mais j’ai froid quand même. Aux grands maux, les grands remèdes, sous 3 plaids surmontés d’un sac de couchage, je me love au milieu de ces loques qui me tiennent bien chaud. Sans compter les 3 couches de pull que j’ai ajouté. Mon double commence à éternuer et avoir mal de gorge. Ca y est, il est bien pris par la bactérie. Pourvu qu’il ne me la refile pas. Entre endormissement et glagla, j’émerge de temps en temps, puis direction le bon lit douillet où je vais me passer une nuit d’enfer. Le mot n’est pas faible, puisque sans fièvre, j’avais super chaud et je transpire comme un bœuf. Un coup de froid, un coup de chaud, ça prouve au moins que ça vit à l’intérieur. C’est le principal.
Ce matin, par contre, encore très faible, je ne grelotte plus, mais JM n’arrête pas d’éternuer et a ses petits yeux malades.
Laisser faire le temps et ses œuvres, disait le poète !

 

 

Jeudi 11 avril 2013

Ca commence à sentir le printemps. Les bourgeons grossissent de plus en plus. Mardi et mercredi, nous avons passé une nuit dans une maison d’hôtes à Tellin en province de Luxembourg. Dommage, la météo n’était pas très clémente et il faisait froid, mais une fois passé la porte de la demeure, on a eu comme l’impression que tous nos fardeaux étaient restés à l’extérieur. Un accueil chaleureux comme on n’en voit plus beaucoup. Des rencontres avec les hôtes d’abord et les autres « logeurs » ensuite. Une très belle découverte qui vaut vraiment le détour. On s’y est senti de suite bien et comme chez soi. Rare aussi de nos jours. Enfin des gens qui font de leur métier une série de rencontres enrichissantes et chaleureuses. C’est tellement précieux que ça mérite d’être souligné. On a voulu faire un tour à Redu, la « capitale » du livre ! Le froid, pire dans les boutiques qu’à l’extérieur. Ce n’est pas peu dire, il faisait froid physiquement mais les commerçants n’étaient pas très chaleureux. On les comprend un peu quand on sait qu’ils poireautent pendant des heures avec 3 couches sur le corps à attendre le client. Ceci dit, on ne les a pas obligés non plus. Le village ressemblait à une ville déserte et triste.

Là-dessus, Jean-Marie s’est repayé le rhume/sinusite dont il venait d’être quitte. Ah pas de chance. En bonne épouse, qui partage tout, le meilleur et le pire, je l’ai chopé aussi. Nous voici reniflant et grelotant. C’est plus du jeu.


Mercredi 17 avril 2013

Tant de choses se sont passées en une semaine. JM est quitte de son rhume. Le soleil est revenu. Un attentat révoltant à Boston. Ma 25ème séance de chimio hier. Première tonte de la pelouse après l’hiver. Certains vont me prendre pour une cinglée, mais j’adore tondre la pelouse. Ca me repose, ça me fait un peu d’exercice et j’ai toujours le bonheur du travail accompli quand c’est terminé. Alors, je m’assied à terre et je regarde mon œuvre. On se contente de petits plaisirs !


Un attentat à Boston. La folie humaine n’a pas de frontières. Quelqu’en soit la raison, on ne peut pas disposer de la vie d’innoncents, comme ça, uniquement pour faire parler de soi ou pour faire accepter une idée, une religion ou un malaise. Quelque chose m’a quand même frappé : alors que chaque jour, il y a des attentats au moyen-orient, en afrique, on en fait une capsule d’une demi-minute qu’on regarde d’un œil distrait. Quand ça se passe près de chez nous, ça devient l’édition spéciale du journal télévisé. On regarde, on compte les morts, les blessés et on se sent, tout à coup, dans l’insécurité. Et oui, ça peut se passer n’importe où. Le mauvais endroit au mauvais moment et hop…… une vie qui s’envole ! C’est juste révoltant, nauséeux et inacceptable.

 

 

Hier, 25ème séance de chimio. Je n’étais pas trop d’humeur à me laisser emmerder. Il y a des jours comme ça. Je suis aussi un être humain, pas uniquement une amazone combattante, les gars, il faut se faire une raison. Lors de l’entretien avec le médecin, encore une nouvelle stagiaire. Je ne la trouvais pas trop sympa, non plus. Elle avait oublié son sourire au vestiaire. En plus elle parlait avec un fort accent limbourgeois, difficile à comprendre, même en lui ayant demandé de parler plus lentement. Elle ma posait des questions, auxquelles je répondais avec beaucoup de mauvaise volonté, je l’avoue. En huit ans, j’en ai vu défiler des jeunes médecins en devenir. Malgré tout le respect que j’ai pour la longueur de leurs études, pour la vocation qu’ils portent en eux, ils sont parfois juste pénibles. Ils font juste leur boulot et n’écoutent pas les réponses qu’on leur donne. Heureusement, il s’agit d’une minorité, mais quand j’en ai un en face de moi, j’ai juste envie de le remettre à sa place. Tu as choisi une branche, l’oncologie, qui demande beaucoup de respect mutuel, une écoute au-delà du raisonnable et surtout énormément de compassion et de compréhension. A chaque nouveau médecin, ils reposent les mêmes questions, on émet les mêmes réponses et ça devient lassant à la fin.

On a l’impression que, malgré les 8 années qu’ont a passé dans ce même service, on doit chaque fois raconter son histoire. Mais vous la connaissez mon histoire, nom d’une pipe. Tout le curriculum se trouve sur l’écran de la petite boîte magique. Mais, ce coup-ci, j’ai été très surprise de voir la jeune médecin passer sur internet, chercher le nom de l’essai clinique que je suis pour y voir le genre de questions à poser ! J’espère qu’elle n’était pas sur doctissimo ou autre site de consultation médicale en ligne. JM me faisait des grands yeux, presque honteux, car il semblerait que j’ai été presque odieuse avec cette jeune fille. Tant pis, c’est tombé sur elle. Ca lui fera un sujet pour sa thèse de fin d’études. De toute façon, si elle en parle autour d’elle dans le service, on ne la croira pas, parce que chacun me connaît pour ma discrétion et ma gentillesse. Ce n’est pas moi qui le dit, mais les infirmières et les médecins. Pauvre fille, ce n’était pas sa journée. SI elle avait souri, je lui aurais pardonné le coup d’internet.

J’ai aussi réussi à négocier la date de la prochaine injection. On avance de quelques jours, afin que je sois en forme pour mes prochaines vacances en mai. Le 28 mai, ça sera à nouveau l’attente du verdict des contrôles. Mais je suis confiante.


Samedi 20 avril 2013

Allez hop… en route pour Bel’Zik Festival à Herve. Que des groupes belges. Cette année, le festival porte vraiment bien son nom. De belles découvertes et d’autres déjà vus, mais toujours super à voir et photographier. En ce qui concerne le shooting, je n’y suis pas pour grand chose. Je commençais mon « jour sans », j’étais assez faible et je n’arrivais pas à shooter. D’ailleurs les quelques photos que j’ai prises sont juste bonnes pour la poubelle. On voit que ce n’était pas la grande forme.

Contente aussi de revoir nos amis photographes. Ils n’étaient pas très nombreux, mais ça fait vachement plaisir. Contente aussi de revoir Nadine, Carole, Charles, Marc et les autres. C’est comme un avant-goût des Francos. Heureuse de revoir Fabienne, ma kiné préférée, en forme pour masser les artistes. Elle a trouvé un petit moment pour me faire un petit shiatsu du dos. Je suis très nouée et de travers, ben voilà autre chose maintenant….. mais ça n’est pas un scoop, je le sentais bien. Ce massage m’a fait un bien fou. Vers 20 heures, j’ai senti la faiblesse me gagner peu à peu. De plus en plus faible, au point que nous sommes rentrés.

 

 

Dimanche 21 avril 2013

Je me lève, mais franchement je ne te bouscule pas comme dans la chanson, c’est plutôt moi qui chancelle. Je suis tellement faible, que je me tiens quasi aux murs pour descendre à la cuisine. Même le petit-déjeûner me semble lourd. Je décide de me remettre au lit. J’ai dormi à poings fermés jusqu’à 14 heures. Puis, j’ai juste changé de couche, du lit au divan, où je me suis endormie de plus belle. Encore une journée foutue. Parfois je me demande si je ne suis pas une survivante, une zombie. Est-il humain de vivre dans cet état ? Cela vaut-il la peine ? Quand je suis dans cet état, les pensées me traversent l’esprit sur un vélo de course. Il y a des jours où je me dis que je ferai bien de stopper le test clinique le temps de me refaire une santé et souffler un peu. Mon corps s’use au fur et à mesure que les séances de chimio augmentent. Jusqu’où est-ce supportable ?

Oui, mais…. Si les métastases reviennent après cet arrêt, on fait quoi ? Je perds parfois confiance, je suis lasse de tout cela. Je n’avais franchement pas rêvé ma retraite de cette façon là. Toujours calculer pour organiser quelque chose ou aller quelque part. Attention, si c’est dans les 10 jours après l’injection, risque de faiblesse…. Ca n’est pas ainsi que je vois ma vie dans les années à venir. Il faudra pourtant que je prenne une décision, la meilleure qui soit pour moi. Je me rends finalement compte que la confiance que j’ai en moi, commence à faiblir. Je me reprends toujours, mais les bas commencent à dépasser les hauts. Il faut inverser la tendance, il le faut vraiment. Après ce jour pourri, je verrai de quoi demain sera fait. Carpe Diem !

 


 

 

Lundi 22 avril 2013

Levée fraîche comme un gardon à 6heures du mat. Et bien, il y a longtemps que ça ne m’était plus arrivé. Encore un peu vaseuse, mais un bon daffalgan, et ça va aller. Mais j’ai la nausée. Un peu de primpéran, et ça va aller. Stop avec les médocs, j’en suis au max. Mais finalement, ça se tasse et je me sens à nouveau en forme, non pas prête à escalader le Kilimandjaro, mais en tout cas m’asseoir à ses pieds pour le regarder, c’est un bon début.


Lundi 29 avril 2013

Je n’ai pas eu beaucoup de courage ces derniers jours pour écrire. Un bon résumé de la situation ? Le tour de France est en train de tourner dans ma tête et m’empêche de raisonner. J’avoue que je suis arrivée à saturation des chimios. Je ne les supporte plus. Que faire ? Demander l’arrêt du test clinique ? OK, mais si les métastases se repointent ? On fait quoi ? Ne pas arrêter le test clinique ? Oui, mais que signifie « jusqu’à ce que mon corps le supporte » ? Arriver aux dernières miettes de courage ? Toutes ces questions sont juste insupportables. Elles m’empêchent de me concentrer sur l’essentiel et cet essentiel consiste à me battre, de plus en plus fougueusement pour mettre à mal cette charogne de crabe. Plus les jours passent et plus je m’épuise dans mes questionnements.

Pourtant, je ne dois pas lâcher la barre, je dois rester maître de mon navire. Pour l’instant, la boussole est brisée et le navire va un peu où le vent le pousse, c’est-à-dire nulle part. Un peu comme ces gens qui rament tous à contre-sens dans le même bateau, qui finit par tourner en rond. En plus, ça m’énerve toutes ces pensées ni négatives, ni positives. J’aime les choses claires et nettes et là, les choses sont tout sauf claires et nettes !!! J’ai un grand besoin de me ressourcer, de rentrer en moi pour débloquer le rouage défectueux, mais c’est comme si je ne trouvais plus le chemin. Heureusement, mi-mai, on part quelques jours au bord de l’atlantique avec des amis. On appelle cela des vacances. Ce mot n’a plus le même impact qu’au moment où je travaillais. Je les attendais avec impatience parce que j’avais besoin de repos, de calme et d’autres paysages. Aujourd’hui, je les attends mais pour d’autres raisons. J’ai l’impression que l’hiver a été si long que je ne reverrai plus le soleil. Or, la lumière et le soleil sont si importants dans nos vies. Il nous chauffent les os, mais ils éclairent aussi notre chemin. Le soleil est un peu le réverbère du cœur, il nous guide, il nous donne envie de sortir, de respirer et d’avancer. Le fait d’écrire ces quelques mots me fait déjà sentir un peu mieux. Quand je serai en mode « autres horizons » près de la mer, je récupèrerai ma hargne un peu perdue, ma volonté et mon envie de continuer à me battre.

D’autant plus que nous nous y retrouverons avec des amis que j’aime vraiment, avec ma fille, ma petite-fille. Que demander de plus ? Je m’en veux d’être devenue un peu négative avec moi-même. Cela ne me ressemble pas vraiment, mais parfois les bas sont si longs qu’on a du ma à remonter la pente. J’irai y retrouver le mousqueton que j’ai perdu et qui me permets de m’accrocher à la pente pour mieux la grimper.

Et puis, il y a le livre qui va bientôt tenir dans nos mains. C’est un beau bébé quand même et je n’arrive pas à me réjouir vraiment. Il y a aussi l’envie d’explorer d’autres facettes de la photographie. L’envie d’y aller plus avec l’âme qu’avec l’envie de plaire. Voir avec nos cœurs jumeaux. Interpréter les paysages, les ciels, l’eau dans le même ton mais avec une sensibilité différente. C’est un beau challenge. Il ne nécessite aucune accréditation ou autorisation de qui que ce soit. Juste être là au bon moment, quand la nature nous offre ses plus beaux atours. Retourner plusieurs fois au même endroit pour être certain d’être à l’heure au rendez-vous. Observer, voir, écouter et traduire tout cela dans un moment unique d’émotion, celui qui nous a touché au plus profond de l’âme, celui qui nous permettra d’élargir notre quête photographique. Une nouvelle motivation, une autre façon de rendre les choses plus sensibles, empreintes d’émotions comme un tableau qui se construit à coups de pinceau… le pinceau du cœur !

Je clôture ici le mois d’avril pour tourner la page à mai. Ca commencera avec une 28ème séance de chimio le 3, la conférence de presse des Francofolies, le livre enfin matérialisé, les vacances et un gros contrôle fin du mois de mai, celui qui va me fixer sur ce que je voudrais que demain soit.

Entretemps, je vis le moment présent, je retrouve l’équilibre et le sourire et je continue à pense que take the best, fuck the rest devient ma réalité quotidienne.

Mise à jour le Jeudi, 02 Mai 2013 05:40