Le carnet de Loreta : mars 2013, dix-septième volet
Écrit par Loreta Mander   
Vendredi, 29 Mars 2013 17:24

Loreta, nous partage sans fausse pudeur, avec simplicité, coeur et passion, son carnet de bord, celui d'une femme sur le chemin, là où la montagne se dresse.


Son 17ième volet est comme toujours touchant ou bouleversant,... comme les autres lettres qui ont précédé ! 

Comme un cri, elle nous disait : "Il ne faut pas attendre le pire pour s'arrêter et réfléchir un peu à soi.  Je ne suis pas plus forte qu’une autre, mais une espèce d’instinct animal me pousse à me battre de plus en plus hargneusement et ça je ne peux l’expliquer

Lors de son premier échange Loreta se présentait ainsi : "La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie".
Tout allait pour le mieux pour moi : j’ai rencontré mon cœur jumeau, je reconstruis ma vie et je suis tout simplement heureuse.
J’ai 2 enfants. Il a 2 enfants. Nous voici famille recomposée de 4 enfants, qui s’entendent très bien.
Je suis née à Verviers et y ai vécu jusqu’en 2000. Pour des raisons professionnelles et amoureuses, j’ai migré vers la périphérie bruxelloise, où je réside encore à l’heure actuelle".
Voici son carnet de bord, dix-septième volet

 

 

Ca y est. Mes démons se sont enfuis. Je me sens à nouveau au top (enfin à mon top à moi, c’est-à-dire que je ne courrais pas le marathon de New-York là tout de suite, mais mon top à moi me suffit). Mes idées sont bien claires, mes petits vélos ont cessé de tourner dans ma tête.

On annonce l’arrivée d’un petit printemps pour les jours à venir, que demander de plus ?
Hier, visite de Maud et Mila. Quel pied. Encore un bon coup de boost pour mes neurones. Mila est très active, donc un peu difficile pour moi de récupérer, mais elle me fait tellement de bien.

Maud commence à voir le bout du tunnel avec ses cicatrices récalcitrantes. Coup de fil d’Arnaud également. Lui, il me fait aussi un bien fou. Ca fait toujours drôle quand on est une maman de pouvoir parler à ses enfants entre adultes. Pour une maman, un enfant, même « vieux », reste toujours son bébé. Les dates anniversaires sont toujours des moments uniques.

On a l’impression que c’était hier et pourtant quelques 30 années ont passé, sans qu’on ne s’en aperçoive. Et les blessures du passé s’atténuent lentement. Les enfants commencent à voir leurs parents comme des grand-parents, comme des adultes mûrs qui auront tant à apprendre à leurs enfants et qui, selon eux, possèdent la connaissance finale.

Un parent est souvent le dernier refuge quand plus rien ne va. Et parfois, nous, parents, n’avons pas toujours LA solution pour conseiller ou agir.

Mais, on a l’écoute, ce qui manque cruellement à notre époque où tout va si vite. Ecouter, c’est déjà rejoindre l’autre sur le bord opposé de la rive. Il se sent déjà mieux quand une oreille est tendue, mais pas seulement pour entendre.

 

Mardi 05 mars 2013
Alors Pepette, c’est le grand jour ?

Assez bizarrement, je ne suis pas trop inquiète. Mon cœur jumeau m’accompagne. Scanner à 7h20, ça c’est un peu tôt pour moi, d’autant plus qu’il faut être là à 7h. Puis, se carapater du rez-de-chaussée au 4°étage à l’autre bout du bâtiment pour la prise de sang. Prendre mes jambes à mon cou pour être à 9h à l’autre bout du bout du bâtiment pour la résonance magnétique. Examen à 9h10, puis échographie du cœur à 9h30 à 800m de là… autant dire que je n’y serai pas à l’heure, en supposant qu’il n’y ait pas de retard à la résonance magnétique. Je préviens la cardiologie, ils n’apprécient pas, mais moi pas encore être un oiseau pour voler d’un service à l’autre, sorry Mevrouw ! Ik doe juist mijn best. Ils n’ont qu’à donner des rendez-vous logiques, moi je dis. Alors, t’arrives à 10h du mat et tu t’es déjà désappé 3 fois, resappé 3 fois, sans compter le délice du gel de l’échographie qui est juste glacial dans une pièce qui ne l’est pas moins. Aurais-je cru qu’un jour je devrais me farcir tout cela sans broncher.

Ah là là charogne de crabe, tu m’en fais faire des péripéties.

Tout cela terminé, j’ai faim. On s’attable donc à la charmante cafetaria devant une bonne tasse de déca et une couque suisse. Se refaire tout le chemin inverse pour remonter à l’hôpital de jour oncologie E633, 4° étage. Salut Mevrouw, je suis de retour.

Maintenant, commence l’attente de passer à la visite médicale, recevoir le verdict et la chimio. Dehors, le soleil brille et la température est ultra-douce, tout ce que j’aime.

Ca y est, le devoir m’appelle. Mon oncologue Wildiers, Hans de son prénom, me sourit et me dit que ça va aller vite puisqu’il n’y a rien à dire. Tout est stable. Pas de nouvelles métastases, pas de propagation, tout le monde est content. Et moi donc. Bien que je n’appréhendais pas le résultat ce mois-ci, je fais un gros « give me five » à mon loulou, on se sourit, on est apaisés, et on repart pour un tour.

De retour à la maison, je suis à nouveau saisie par une fatigue indescriptible. Une seule solution : direction divan et dodo. J’ai passé une super nuit…. Tu m’étonnes après 16h de sommeil ! Mais demain est un nouveau jour….

 


 

Vendredi 08 mars 2013
Mercredi et jeudi n’ont pas été top. Pas de fièvre, mais une grosse fatigue. Je me remue donc à mon propre rythme, c’est-à-dire proche de la moule qui pique un sprint sur un brise-lame. Plus les séances de chimio s’accumulent, plus la fatigue se fait sentir. Je ne prévois donc rien. Ce matin, je le sentais bien, il faisait beau, je suis allée au marché. En rentrant, j’étais épuisée, mais ça m’a fait un bien fou de prendre l’air.


C’est la journée de la femme, à que voilà une bonne nouvelle. Finalement, à chaque jour sa fête de quelque chose.

Existe-t-il une journée de l’homme ? La journée du sommeil, la journée du cancer, la journée du lancer de noyau, la journée du mac qui connaît un mec qui connaît un mec qui…, la journée du commerce oui. Tout est bon chez Léon pour faire vendre ! 

Si, chaque jour, on faisait la fête à ceux qu’on aime, le monde tournerait peut-être plus rond. Si on instaure la journée de la femme, c’est qu’elle est oubliée les autres jours ?

Une femme a environ 20 vies en une seule : petite fille modèle, rebelle, amoureuse, épouse, amante, infirmière, maman, travailleuse, nettoyeuse, lessiveuse, répareuse de chaussettes, tricoteuse, cuisinière, voyageuse…. mais doit être parfaite en tout ! 

Je me souviens encore de la réflexion d’un DRH il y a très longtemps qui me demandait si je comptais avoir des enfants. Ma réponse fût oui, bien entendu. Il a grimacé et m’a dit que je ne serais donc pas fiable dans les prochaines années. Je lui ai alors demandé s'il était marié et s'il avait des enfants. Il me dit que oui. Je lui donc demandé qui avait fait ses enfants et qui s’en occupait quand ils étaient malades. Mon épouse, me dit-il. Je lui ai dit qu’en plus d’être macho, c’était un négrier qui obligeait sa femme à sacrifier sa carrière, afin que lui puisse en avoir une. De toute façon, c’était au temps où on avait encore le choix des jobs, et celui-là, je ne le sentais pas trop. On s’est quittés un peu « en froid », mais je m’en fiche encore aujourd’hui car j’ai horreur de ce genre de questions. Je l’ai rencontré bien des années plus tard et il m’a avoué que depuis notre entretien, il n’avait plus posé la question à une candidate, car il s’était rendu compte qu’elle n’était vraiment pas sensée. Si toutes les femmes qui travaillent, me dit-il, devaient ne pas avoir d’enfants, que deviendrait le monde ? Et bien, j’étais assez fière de moi, je l’avoue. Même au 21ème siècle, la femme ne sera jamais reconnue à sa juste valeur, parce qu’elle a trop d’emplois à cumuler pour être « parfaite ». Je ne suis pas une féministe convaincue, mais je me dis qu’il serait grand temps qu’on arrête de seriner aux petits garçons qu’ils ne doivent pas pleurer parce qu’un garçon, ça ne pleure pas. Comment peut-on faire évaluer les mentalités avec des réflexions pareilles ?


C’était juste un clin d’œil en cette journée spéciale. Une femme ne peut pas vivre seule, que ça soit avec un homme ou une femme. Une vie solitaire, c’est un peu comme un baba sans rhum. On vit mais sans saveur. Le tout est de trouver le partenaire adéquat. Et pourtant, il croise notre route, il suffit de le voir passer et de le regarder. Comme dit Cabrel, un jour tu fermes les bras et il y a quelqu’un dedans. Je souhaite à tous de trouver la perle rare que j’ai harponné il y a 12 ans. Que du bonheur, que de la quiétude malgré les aléas de la vie. Sur ces bonnes paroles, je m’en retourne dans mon divan parce que la fatigue me ratrappe.

 

Dimanche 10 mars 2013
Oh oh….. j’ouvre les yeux…. J’hallucine !  Il neige. Zut, j’ai oublié de commander la bûche et la dinde…. J’ai acquis énormément de patience, mais là, mon bon soleil, tu commences à tarder un peu trop. 15 degrés en moins juste en une nuit. Quelle santé ces belges.

Un petit tour à la foire du livre nous a bien requinqués. J’ai toujours trouvé ça beau, un livre. Je n’imaginais pas le marché que cela pouvait représenter. Il y en a partout. On a envie de tout acheter. Une petite visite à notre éditeur qui aiguise encore un peu plus notre envie de tenir notre bébé entre les mains. Un petit tour au stand Bretagne pour quelques renseignements sur nos futurs projets photographiques. J’ai rencontré Martine Garnier. Je la connais via facebook. Elle a un parcours identique au mien après une leucémie. On avait échangé quelques posts entre battantes. Elle y dédicaçait son livre « En mode veille », chronique de son parcours.

Ce fût une super rencontre. Comme quoi, les « amitiés » facebook peuvent se transformer en accueil d’un vrai nouvel ami.


En parcourant les allées, je vois Jacques Salomé qui dédicaçait son dernier livre (ben oui, sinon qu’y ferait-il ?). Ce livre, je l’ai déjà acheté, comme plusieurs de ses ouvrages. J’aime lire ce monsieur « philosophe » de l’amour et du bonheur. Je me suis permise de mettre « philosophe » entre apostrophes. Je lui ai dit que j’aimais ce qu’il faisait (oui, je sais c’est vraiment con) et j’ai essayé d’avoir une petite conversation avec lui. Sa réaction m’a vraiment surprise : il m’a toisé cherchant probablement son livre dans mes mains et voyant que je ne l’avais pas acheté, il m’a à peine répondu, il m’a donné le catalogue de ses ouvrages précédents et m’a signalé que je pouvais aller sur le stand du Quebec, où il a aussi son dernier livre sur l’amour qui permet de rendre heureux. Me voyant un interloquée, il a entrepris la conversation avec la dame assise à côté de lui qui, elle aussi, paraphait ses opus. Comme si, sans son livre dans les mains, j’étais devenu transparente, sans intérêt.


Et ben ! Votre philosophie et votre philanthropie n’ont d’égal que l’intérêt surdimensionné que vous accordez à vos revenus. En fait, le bonheur, l’amour, vous vous en fichez. C’est dans l’air du temps et ça rapporte. Je ne pense pouvoir lire ses bouquins avec le même intérêt. Comme quoi. Je vais rester positive et me persuader qu’il a dû passer une très mauvaise nuit et qu’il n’est pas du matin.

Maud a 31 ans aujourd’hui. Déjà 31 ans. Elle, qui a fêté ses 30 ans sur un lit d’hôpital est bien récompensée de sa force, elle commence à aller réellement mieux.  Je la sens remonter la pente de jour en jour. Je revois son arrivée sur notre planète comme si c’était hier. Petit bout’chou de même pas 3 kgs, arrivée 3 semaines en avance et retirée directement pour un petit séjour en réanimation. Quelle aventure nous avons vécu. Pour une maman, le temps n’a aucune prise. On a l’impression qu’il passe trop vite mais s’arrête en même temps. Les anniversaires sont toujours une bonne occasion de revoir ce moment si précieux et rare qu’est la naissance de son enfant. Une réussite de laquelle je suis si fière. Bon anniversaire, ma petite princesse.



Jeudi 14 mars 2013
Après toutes les péripéties neigeuses, on dirait que le soleil repointe le bout de son dard. Ca fait un bien fou. Même si j’ai pris l’habitude de me contenter ce que la nature m’offre au jour le jour, j’apprécie la lumière et la chaleur. Mais ça vous le savez déjà, vu que je vous le répète depuis le début de l’hiver.  Super nouvelle aujourd’hui. Maud a vu le chirurgien. La cicatrisation de sa dernière plaie se termine. Ouf. Après 14 mois de réelle souffrance, la traversée du tunnel se termine.

Elle devra muscler tout cela pour assouplir les cicatrices. Maintenant, elle va avoir de la place pour penser à autre chose. Quelle aventure, pendant laquelle je n’ai pu que regarder sans participer. C’est dur de voir souffrir son enfant. Elle a démontré une force extraordinaire, je suis très fière d’elle. Bravo ma fille !


Et voilà que nous avons un nouveau pape. Ils ont fait vite les cardinaux en costume, comme dirait Cabrel. Maintenant que nous savons tout, tout, tout sur les us et coutumes de l’élection pontificale, on va pouvoir passer aux problèmes sérieux. Pourvu que celui-ci soit plus près de la réalité et accepte enfin le port du préservatif, l’homosexualité et tous ce que l’église qualifie de travers. Ca ne se fera pas en un clin d’œil. Faut-il contenter tous les fervents ou ouvrir des brèches pour y enrôler de nouvelles ouailles ? Ca devient du marketing. Il est, à première vue, assez relax. Il dit bonjour et bonne nuit, c’est la preuve qu’il est bien élevé. Pour le reste, espérons qu’il n’envoie pas au casse-pipe des milliers de gens qui suivent à la lettre tout ce qu’il dit et pense. L’avenir nous le dira.
Je dis ça, je ne dis rien….. c’est juste une réflexion !

 



Samedi 16 mars 2013

Bientôt, 100.000.000 d’euros à gagner à l’Euro-Millions. Mazette ! Que pourrais-je faire d’une telle somme puisque je ne peux quand même pas me payer mon rêve ultime… guérir définitivement
.

Il y a une justice quand même, on est tous sur le même pied pour une fois. La santé se préserve, elle ne se rachète jamais. On peut juste l’améliorer. La maladie laisse toujours des traces indélébiles, bonnes et mauvaises.
Si on me donnait carte blanche pour réaliser mes rêves, j’excepte déjà la santé, puisque ça, c’est fait, je ne peux la racheter. J’aimerais une fois dans ma vie, me retrouver au milieu d’une piste de cirque, habillée en clown et jouer un moment avec le clown attitré.

 

Ca, j’aimerais vraiment bien, mais je ne connais pas de clown, je ne connais pas de cirque, donc, ça restera du domaine du rêve. Je reste donc les pieds sur terre et me contente de ce que j’ai. Pour le clown, on verra. Sauf si vous avez un bon plan à me proposer.

Cette session « chimio » a l’air de se passer plutôt bien. Je n’ai pas encore eu de fièvre, je me suis sentie très, très fatiguée. Je suis maintenant en carence de globules rouges et blancs et de plaquettes, avec les inconvénients qui vont avec. Saignements de nez intempestifs, blessures à répétition, sensibilité aux microbes (je fuis donc celui qui m’éternue en plein visage…. De toute façon, c’est mal élevé !) et anémie. Ca va remonter, mais pendant quelques jours, ce sont des points un peu sensibles. Quand quelqu’un veut me faire la bise ou m’inviter, je m’inquiète de savoir si personne n’a un rhume ou la grippe. C’est gai, hein ?
J’ai parlé trop vite. Vers midi, je commence à me sentir faible, très faible, un pe

u comme une hypoglycémie permanente. Ca va, j’ai compris, ma petite session fièvre-dodo rapplique ! Je mange un bout mais ça ne passe pas. Je ne peux même plus tenir sur mes jambes, le sol se dérobe sous mes pas et j’ai une de ces envies de dormir. Direction le divan….

Toi, si accueillant quand mes jambes me lâchent. J’arrive. Et là, gros dodo jusqu’à 20 heures. Thermomètre. Température OK, elle monte lentement mais sûrement… pour s’arrêter à 38°6. J’ai froid sous 4 couvertures et 3 épaisseurs de vêtements. Le pauvre Jean-Marie qui commence à se sentir sous les Tropiques et largue les couches une à une. Bientôt, il va transpirer et moi, je suis là à grelotter. Daffalgan et re-dodo puis direction Le Lit. Mon cœur jumeau me veille comme une nounou. Je sens sa main frôler ma joue pour voir si la température baisse. Quand j’émerge dans un demi-sommeil, il est là, il est mon veilleur. Même le chat s’y est mis. Il vient de temps en temps se blottir comme pour emporter cette saleté de fièvre.



Dimanche 17 mars 2013
Il est 8 heures. J’ouvre les yeux. Comment va se passer la journée ? Dormir ou être plus ou moins en forme ? La tête tourne et les pieds donnent l’impression de piétiner une masse ouateuse sur le sol. Non, ça ne sera pas le meilleur jour non plus. Je me lève tant bien que mal en titubant un peu. Si au moins, j’avais la raison de la gueule de bois, mais même pas ! Je me force à prendre un petit-déjeûner, mais même la tartine pèse une tonne et le café ne passe pas trop bien. Retour à la couche départ, le divan. Et j’y resterai toute la journée.
Je n’aime pas me sentir faible, dépendante. Je n’ai jamais aimé dépendre des autres et je n’aimerai jamais, c’est ma nature. Je suis idiote dans ces moments, car, pour ne pas demander 100.000 petites choses, je ne demande rien.


Ca me rappelle ma première chimio en 2004. Elle était très dure. Les effets secondaires étaient terribles : nausées, aphtes, perte de goût, perte d’appétit, envie de rien, perte des cheveux, des cils, et une fatigue innommable. Je n’avais même plus la force de soulever un verre d’eau pour le porter à ma bouche. Comme Jean-Marie travaillait encore à cette époque, j’étais seule pendant la journée et je crevais de soif, car je n’avais pas la force d’effectuer le trajet divan-cuisine pour me servir un verre d’eau et la bouteille qui était à mes pieds était beaucoup trop lourde. Heureusement, que la mémoire a cette faculté d’occulter les choses moches quand elles sont passées. J’ai le souvenir d’un jour, où j’ai voulu faire la forte en me disant que prendre un bain me ferait du bien. Tu parles.

A peine entrée dans l’eau, mes forces m’ont quitté, plus possible de me relever, même en me tenant au bord de la baignoire. J’ai attendu longtemps avant de rassembler les miettes de force qui me restaient pour enfin émerger de ce bain devenu glacé et ramper jusqu’au divan. Ca m’a valu une bonne crève et l’engueulade du jour par le chef. Ceci dit, il avait bien raison le chef. Je n’ai plus réitéré l’expérience.


La fatigue n’en est pas à ce point avec la présente chimio et je sais maintenant qu’entre deux séances, j’aurai ces fameux 2 jours qui me laissent le cul par terre, si je peux me permettre. Essayes donc de faire des projets de sortie ou de voyage dans ces conditions. Impossible.

 

Mardi 19 mars 2013
Comme je m’en doutais un peu, lundi, je me suis réveillée à 5 heures du mat, j’ai tenu jusqu’à 6 heures et je me suis levée, fraîche comme un gardon. Comme si la fatigue avait disparu. Magia ! Le grand marabout est passé par là et est reparti avec ma fièvre sous le bras.

Vers 10heures, Classic21 m’a appelé pour mon intervention dans une émission qui présente des sociétés ou associations. Comme je perd un peu le fil de la conversation ces derniers temps, j’avais un peu le trac de ne pas être cohérente, mais je m’en suis bien sortie.
Aujourd’hui, ça va bien. J’ai vaqué à mes occupations. Normalement.

 

Vendredi 22 mars 2013
Je me sens bien. Le temps est froid mais lumineux. Ca donne des parfums de pré-printemps. Nous sommes allés à Spa jeudi. Il y avait une petite manifestation : des tambours pour la paix. Des enfants des écoles locales arrivaient avec des ballons plein les mains, le texte d’une chanson et de quoi faire du bruit. J’ai écouté les « intentions » des enfants très attentivement. Et je me suis dit que j’ai dit ces mêmes mots quand j’avais leur âge. Les enfants veulent la paix, il faut aimer plutôt que de montrer de la violence, noir, jaune, rouge ou blanc, nous sommes tous pareils, …..

Et pourtant plus de 40 ans après, rien n’a encore changé. Le monde devient de plus en plus violent au nom de je ne sais quelle religion ou credo. Ils vouent leurs forces à Saint-Pognon, se planquent, laissent les moins lotis encore plus pauvres et au 21ème siècle, on se tape encore sur la g…., on dort encore dans la rue et le burn-out est devenu le mal le plus répandu dans la population active. Mais nom de dieu, on oublie de vivre sa vie et on la perd à essayer de la gagner. Ca n’est pas de moi, c’est le Dalaï Lama qui l’a dit. Et on pourra encore écrire ces phrases dans les siècles qui viennent.


Dimanche 24 mars 2013

Didju qu’il fait froid. La Sibérie transorientale, c’est ici ! Hier, re-neige, re-froid, re-glagla. Qu’on est bien sous sa couette. Aujourd’hui, on a fait un pas en avant, on a tout ça moins la neige. Attendre, attendre….. le soleil luit toujours après la pluie. Ceci dit, j’observe les arbres qui, lentement, commencent à déployer leurs bourgeons. C’est vachement patient un arbre. Pour parler d’autre chose que de la météo, je me dis que la vie est quand même belle.


C’est parti pour le bouquin. Les offres de pré-commande viennent d’être envoyées par l’éditeur. On entre dans l’aventure. Les fichiers partiront début avril chez l’imprimeur, bon à tirer et après…. le livre fera sa vie. Plusieurs amis en ont déjà commandés et il faudra être inventif pour les dédicaces personnalisées. Merci les amis d’aimer notre travail. J’ai reçu une demande d’une œuvre caritative qui s’occupe d’enfants maltraités dans leurs familles nous ont demandé si on serait d’accord de donner une photo, destinée à récolter des fonds via une vente aux enchères. Bien sûr, que nous sommes d’accord.


L’énergie revient. Mon sang a retrouvé ses marques. Dommage pour toi, Mr Hemo, mais mardi, on remet ça et tu devras encore t’adapter. Je te soutiens, mais il faudrait y aller un peu plus vite, parce que la fatigue devient vraiment insupportable. Je ne supporte pas la fatigue. Cette impression de laisser couler les heures sans pouvoir rien faire, ce sentiment d’inutilité. Pourtant, je mets ces moments à profit pour faire le ménage dans mon esprit et mon âme. Mais, il faudra bientôt que je m’invente des problèmes, car j’ai trop de temps. Ca risque de faire pâlir d’envie ceux qui estiment que 24 heures dans une journée, c’est trop court.

Quand je suis active, c’est vrai pour moi aussi. Je n’ai jamais aimé dépendre des autres, que ça soit mes proches ou mes amis. Je suis toujours disponible pour eux, mais le contraire me met très mal à l’aise. Je préfère crever de soif que de demander qu’on me donne à boire. C’est ainsi. C’est même génétique, puisque ça me rappelle ma mère. Mais à l’impossible, nul n’est tenu.

 

 
Photo Loreta, pour notre plus grand plaisir lors du film Best of avec Cali

 

 

Mardi 26 mars 2013
Allez Pepette, debout à 7 heures, ce qui est tôt pour moi maintenant. Direction chimio chérie à Mon hôpital. Voilà que j’avais repris du poil de la bête, et on y retourne la jonquille au fusil (ben oui, printemps oblige).


J’arrive pour 9h30. Pas beaucoup de monde, même presque vide. Ca, c’est plutôt bon signe, ça signifierait qu’il y a moins de malade. Ah que nenni. La salle d’attente se remplit. Nous, les malades, ne sommes pas trop du matin, ça doit être ça.


Mevrouw Mander ? ja, ik kom. Eternel rituel : goedemorgen, hoe is het met U vandaag ? Prise de sang. Depuis le temps, j’ai dû abreuver une nation de vampires. On monte sur la balance, on répond gentîment aux questions traditionnelles : nausées ? diarrhées ? fatigue ? et tout le toutim. Je sais que j’ai un temps d’attente d’au moins 3 heures entre la prise de sang et l’injection de la chimio.

Entretemps, le médecin m’appelle puisque mon hémoglobine a rendu son verdict. C’est un petit nouveau, car mon oncologue est malade. Comme à chaque fois que j’ai affaire à un petit nouveau, il faut recommencer à raconter tout (bien que tout se trouve dans mon dossier électronique), mais ils sont souvent plus attentifs, car novices. Je lui dis que la fatigue commence à devenir de plus en plus difficile à gérer et cette fièvre qui apparaît sporadiquement entre les chimios, ça commence à me gonfler et à me brider dans mes activités sociales. Il s’en inquiète.

De plus, les taches rouges sur le corps se multiplient et ça, ça le chipote un peu. Il y a aussi le gros orteil du pied droit (celui que j’avais brisé il y a quelques mois) qui devient de plus en plus paresseux, presque mort. Il note et va en référer au mandarin du service qui le conseillera sur la marche à suivre. Suspicion de bactérie. Et bien voilà une nouveauté. Il me réserve une place pour une écho du foie, pancréas et vésicule. D’abord checker si les stents tiennent encore en place et voir si il n’y a rien de gonflé ou d’aspect douteux. Merde, pour une fois que j’aurais pu sortir un peu plus tôt puisque la chimio était arrivée vite dans le service, bernique….

 

Je parcours les kilomètres qui me séparent du service onco au service écho. Oui, maintenant, je cause comme les pros. Ils ont ½ heure de retard. Bon, il faut me faire une idée, je passerai donc toute la journée à l’hosto. Dommage, il fait très lumineux dehors. Et là, j’ai vécu une scène presque surréaliste. Le praticien en échographie, celui qui te met ce gel glacé sur le ventre pour inspecter ton intérieur, commence son œuvre.

Et je vois qu’il fronce les sourcils, ils marmonne je ne sais quoi en flamand (et il doit être limbourgeois, parce que je ne pige rien). Il se lève, appelle deux collègues qui commencent à scruter l’écran et manipuler le petit pistolet qui glisse sur la peau. Ca n’est vraiment pas agréable, j’ai froid. Un peu excédée et inquiète, je leur demande ce qu’il se passe. Vous n’allez pas me croire, mais la réponse est : on ne trouve pas votre vésicule !  Je ne sais pas si je dois rire ou me fâcher. Ils m’interrogent sur le fait qu’on me l’a peut-être déjà enlevé et scrutent ma peau pour être certains qu’il n’y a pas de trace de cicatrice. Et, les gars, je ne suis pas encore sénile et je sais si on me l’a enlevé ou pas. Ils continuent à scruter pour finalement me dire que chez les femmes, elle est parfois très petite, mais qu’ils sont profondément désolés, mais qu’ils ne la trouvent pas.

Avis à la population : si quelqu’un la retrouve saine et sauve, j’offre un kilo de chokotof. Pour le reste, tout est normal, enfin si on peut dire, tout est comme au dernier examen, j’entends bien.
Je remonte donc penaude vers l’onco et là, enfin, je reçois ma chimio. Le petit médecin novice vient me voir pour me dire que tout est normal. Ben oui, ils me l’avaient déjà dit en bas, j’ai compris. Vésicule invisible, mais en bonne santé. Tu te demandes comment ils peuvent en être certains, puisqu’ils n’ont rien vu.

C’est un peu comme lire le Ciné Tele-Revue : personne ne le lit, mais tout le monde sait ce qu’il y a dedans !


Je suis si fatiguée, oh là là, ça en devient insupportable. Mon petit homme m’attend avec un repas chaud. Il est vraiment adorable (pas le repas chaud, mais mon petit cœur jumeau).

Jeudi 28 mars 2013
Direction oculiste pour nos 4 yeux jumeaux. Lui ne voit plus rien de loin et moi plus rien de près. Il est grand temps ! Par contre, bonne nouvelle : ma myopie a disparu. Il paraît que ça s’améliore parfois avec l’âge. Pour une fois qu’il y a quelque chose qui fonctionne parfaitement chez moi, je suis à la fête. Par contre, pour voir de près, je vais pouvoir enfin passer au travers du brouillard. Ca, c’est fait.


Hier soir, nous avons vu un reportage dans l’émission « Des racines et des ailes ». Nous étions vraiment émus et rassurés sur la pureté de certains êtres humains.

Dans le cadre de Marseille Provence, capitale culturelle européenne, Manolo et sa femme ont imaginé « Transhumance », une marche à pied et à cheval de 600 kms, étalée sur 3 mois pour arriver à Marseille début juin. Elle, majestueuse, se tient debout sur son cheval et traverse les plaines, les autoroutes. Une vraie complicité.

Lorsque le journaliste demande à Manolo comment il qualifierait sa relation cavalier cheval, il répond simplement qu’il n’aime pas ces mots, que son cheval est son double et quand le cheval à mal au pied, Manolo ne peut pas courir. Ils vivent dans des caravanes près de Marseille au milieu de leur haras de 20 chevaux. Je ne pourrais tout vous décrire, mais allez découvrir les clips de présentation sur internet, c’est juste humain, gracieux et émouvant.



Vendredi 29 mars 2013

J’ouvre les yeux et là… spectacle émouvant, la neige a de nouveau étendu son grand manteau blanc. Pffff….. Eh le grand barbu là-haut, tu ne te mettrais pas aussi à l’heure d’été ? Enfin, on fera avec, il n’y a rien d’autre à faire.


Je me suis levée avec la nausée, pas fort, mais la nausée quand même. Je sens que mes forces me lâchent petit à petit, j’entre dans ma période faste, celle où je suis dépouillée de la plupart de ces petites bêbêtes qui sont appelées plaquettes et globules de toutes les couleurs. Pendant une petite semaine et demi, je vais déguster et il va falloir que j’y crois très fort pour aller au-delà de mes forces. Je ne veux pas me coucher, je ne veux pas me sentir dépendante, je veux profiter de chaque instant, mais debout et occupée. Pendant tellement d’années de travail, j’ai parfois rêvé d’avoir une bonne grippe pour ne pas me lever le matin et rester dans mon lit à me retourner et à dormir toute la journée. Maintenant, que je devrais le faire, je n’en ai plus envie. Je me sens vivante quand je bouge. Inerte, je me sens malade et ça aussi, c’est au-delà du maximum que je peux supporter.
Je le sais donc j’irai lentement, très lentement, mais j’irai.


Non, charogne de crabe, tu n’auras pas le dessus, je te le promets.


Demain, shooting photo pour le gagnant du Franc’Off 2012, j’espère que je serai d’aplomb, sinon mon cœur jumeau assurera.
Comme dit l’adage : demain est un autre jour. Laissons le venir et savourons.


Le mois se termine lentement mais positivement, puisque je peux partager mes impressions avec vous.
En route vers le printemps et entretemps, take the best, fuck the rest !
Merci les amis de me lire et de prendre un peu de temps pour partager ces moments d’une vie.

Mise à jour le Vendredi, 29 Mars 2013 17:51