Le carnet de Loreta : mars 2013, dix-septième volet |
Écrit par Loreta Mander | ||
Vendredi, 29 Mars 2013 17:24 | ||
Lors de son premier échange Loreta se présentait ainsi : "La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie".
Ca y est. Mes démons se sont enfuis. Je me sens à nouveau au top (enfin à mon top à moi, c’est-à-dire que je ne courrais pas le marathon de New-York là tout de suite, mais mon top à moi me suffit). Mes idées sont bien claires, mes petits vélos ont cessé de tourner dans ma tête. On annonce l’arrivée d’un petit printemps pour les jours à venir, que demander de plus ? Maud commence à voir le bout du tunnel avec ses cicatrices récalcitrantes. Coup de fil d’Arnaud également. Lui, il me fait aussi un bien fou. Ca fait toujours drôle quand on est une maman de pouvoir parler à ses enfants entre adultes. Pour une maman, un enfant, même « vieux », reste toujours son bébé. Les dates anniversaires sont toujours des moments uniques. On a l’impression que c’était hier et pourtant quelques 30 années ont passé, sans qu’on ne s’en aperçoive. Et les blessures du passé s’atténuent lentement. Les enfants commencent à voir leurs parents comme des grand-parents, comme des adultes mûrs qui auront tant à apprendre à leurs enfants et qui, selon eux, possèdent la connaissance finale. Un parent est souvent le dernier refuge quand plus rien ne va. Et parfois, nous, parents, n’avons pas toujours LA solution pour conseiller ou agir. Mais, on a l’écoute, ce qui manque cruellement à notre époque où tout va si vite. Ecouter, c’est déjà rejoindre l’autre sur le bord opposé de la rive. Il se sent déjà mieux quand une oreille est tendue, mais pas seulement pour entendre.
Mardi 05 mars 2013 Assez bizarrement, je ne suis pas trop inquiète. Mon cœur jumeau m’accompagne. Scanner à 7h20, ça c’est un peu tôt pour moi, d’autant plus qu’il faut être là à 7h. Puis, se carapater du rez-de-chaussée au 4°étage à l’autre bout du bâtiment pour la prise de sang. Prendre mes jambes à mon cou pour être à 9h à l’autre bout du bout du bâtiment pour la résonance magnétique. Examen à 9h10, puis échographie du cœur à 9h30 à 800m de là… autant dire que je n’y serai pas à l’heure, en supposant qu’il n’y ait pas de retard à la résonance magnétique. Je préviens la cardiologie, ils n’apprécient pas, mais moi pas encore être un oiseau pour voler d’un service à l’autre, sorry Mevrouw ! Ik doe juist mijn best. Ils n’ont qu’à donner des rendez-vous logiques, moi je dis. Alors, t’arrives à 10h du mat et tu t’es déjà désappé 3 fois, resappé 3 fois, sans compter le délice du gel de l’échographie qui est juste glacial dans une pièce qui ne l’est pas moins. Aurais-je cru qu’un jour je devrais me farcir tout cela sans broncher. Ah là là charogne de crabe, tu m’en fais faire des péripéties. Tout cela terminé, j’ai faim. On s’attable donc à la charmante cafetaria devant une bonne tasse de déca et une couque suisse. Se refaire tout le chemin inverse pour remonter à l’hôpital de jour oncologie E633, 4° étage. Salut Mevrouw, je suis de retour. Maintenant, commence l’attente de passer à la visite médicale, recevoir le verdict et la chimio. Dehors, le soleil brille et la température est ultra-douce, tout ce que j’aime. Ca y est, le devoir m’appelle. Mon oncologue Wildiers, Hans de son prénom, me sourit et me dit que ça va aller vite puisqu’il n’y a rien à dire. Tout est stable. Pas de nouvelles métastases, pas de propagation, tout le monde est content. Et moi donc. Bien que je n’appréhendais pas le résultat ce mois-ci, je fais un gros « give me five » à mon loulou, on se sourit, on est apaisés, et on repart pour un tour. De retour à la maison, je suis à nouveau saisie par une fatigue indescriptible. Une seule solution : direction divan et dodo. J’ai passé une super nuit…. Tu m’étonnes après 16h de sommeil ! Mais demain est un nouveau jour….
Vendredi 08 mars 2013
Existe-t-il une journée de l’homme ? La journée du sommeil, la journée du cancer, la journée du lancer de noyau, la journée du mac qui connaît un mec qui connaît un mec qui…, la journée du commerce oui. Tout est bon chez Léon pour faire vendre ! Si, chaque jour, on faisait la fête à ceux qu’on aime, le monde tournerait peut-être plus rond. Si on instaure la journée de la femme, c’est qu’elle est oubliée les autres jours ? Une femme a environ 20 vies en une seule : petite fille modèle, rebelle, amoureuse, épouse, amante, infirmière, maman, travailleuse, nettoyeuse, lessiveuse, répareuse de chaussettes, tricoteuse, cuisinière, voyageuse…. mais doit être parfaite en tout ! Je me souviens encore de la réflexion d’un DRH il y a très longtemps qui me demandait si je comptais avoir des enfants. Ma réponse fût oui, bien entendu. Il a grimacé et m’a dit que je ne serais donc pas fiable dans les prochaines années. Je lui ai alors demandé s'il était marié et s'il avait des enfants. Il me dit que oui. Je lui donc demandé qui avait fait ses enfants et qui s’en occupait quand ils étaient malades. Mon épouse, me dit-il. Je lui ai dit qu’en plus d’être macho, c’était un négrier qui obligeait sa femme à sacrifier sa carrière, afin que lui puisse en avoir une. De toute façon, c’était au temps où on avait encore le choix des jobs, et celui-là, je ne le sentais pas trop. On s’est quittés un peu « en froid », mais je m’en fiche encore aujourd’hui car j’ai horreur de ce genre de questions. Je l’ai rencontré bien des années plus tard et il m’a avoué que depuis notre entretien, il n’avait plus posé la question à une candidate, car il s’était rendu compte qu’elle n’était vraiment pas sensée. Si toutes les femmes qui travaillent, me dit-il, devaient ne pas avoir d’enfants, que deviendrait le monde ? Et bien, j’étais assez fière de moi, je l’avoue. Même au 21ème siècle, la femme ne sera jamais reconnue à sa juste valeur, parce qu’elle a trop d’emplois à cumuler pour être « parfaite ». Je ne suis pas une féministe convaincue, mais je me dis qu’il serait grand temps qu’on arrête de seriner aux petits garçons qu’ils ne doivent pas pleurer parce qu’un garçon, ça ne pleure pas. Comment peut-on faire évaluer les mentalités avec des réflexions pareilles ?
Dimanche 10 mars 2013 Un petit tour à la foire du livre nous a bien requinqués. J’ai toujours trouvé ça beau, un livre. Je n’imaginais pas le marché que cela pouvait représenter. Il y en a partout. On a envie de tout acheter. Une petite visite à notre éditeur qui aiguise encore un peu plus notre envie de tenir notre bébé entre les mains. Un petit tour au stand Bretagne pour quelques renseignements sur nos futurs projets photographiques. J’ai rencontré Martine Garnier. Je la connais via facebook. Elle a un parcours identique au mien après une leucémie. On avait échangé quelques posts entre battantes. Elle y dédicaçait son livre « En mode veille », chronique de son parcours. Ce fût une super rencontre. Comme quoi, les « amitiés » facebook peuvent se transformer en accueil d’un vrai nouvel ami.
Maud a 31 ans aujourd’hui. Déjà 31 ans. Elle, qui a fêté ses 30 ans sur un lit d’hôpital est bien récompensée de sa force, elle commence à aller réellement mieux. Je la sens remonter la pente de jour en jour. Je revois son arrivée sur notre planète comme si c’était hier. Petit bout’chou de même pas 3 kgs, arrivée 3 semaines en avance et retirée directement pour un petit séjour en réanimation. Quelle aventure nous avons vécu. Pour une maman, le temps n’a aucune prise. On a l’impression qu’il passe trop vite mais s’arrête en même temps. Les anniversaires sont toujours une bonne occasion de revoir ce moment si précieux et rare qu’est la naissance de son enfant. Une réussite de laquelle je suis si fière. Bon anniversaire, ma petite princesse.
Elle devra muscler tout cela pour assouplir les cicatrices. Maintenant, elle va avoir de la place pour penser à autre chose. Quelle aventure, pendant laquelle je n’ai pu que regarder sans participer. C’est dur de voir souffrir son enfant. Elle a démontré une force extraordinaire, je suis très fière d’elle. Bravo ma fille !
Samedi 16 mars 2013 Bientôt, 100.000.000 d’euros à gagner à l’Euro-Millions. Mazette ! Que pourrais-je faire d’une telle somme puisque je ne peux quand même pas me payer mon rêve ultime… guérir définitivement. Il y a une justice quand même, on est tous sur le même pied pour une fois. La santé se préserve, elle ne se rachète jamais. On peut juste l’améliorer. La maladie laisse toujours des traces indélébiles, bonnes et mauvaises.
Ca, j’aimerais vraiment bien, mais je ne connais pas de clown, je ne connais pas de cirque, donc, ça restera du domaine du rêve. Je reste donc les pieds sur terre et me contente de ce que j’ai. Pour le clown, on verra. Sauf si vous avez un bon plan à me proposer. Cette session « chimio » a l’air de se passer plutôt bien. Je n’ai pas encore eu de fièvre, je me suis sentie très, très fatiguée. Je suis maintenant en carence de globules rouges et blancs et de plaquettes, avec les inconvénients qui vont avec. Saignements de nez intempestifs, blessures à répétition, sensibilité aux microbes (je fuis donc celui qui m’éternue en plein visage…. De toute façon, c’est mal élevé !) et anémie. Ca va remonter, mais pendant quelques jours, ce sont des points un peu sensibles. Quand quelqu’un veut me faire la bise ou m’inviter, je m’inquiète de savoir si personne n’a un rhume ou la grippe. C’est gai, hein ? u comme une hypoglycémie permanente. Ca va, j’ai compris, ma petite session fièvre-dodo rapplique ! Je mange un bout mais ça ne passe pas. Je ne peux même plus tenir sur mes jambes, le sol se dérobe sous mes pas et j’ai une de ces envies de dormir. Direction le divan…. Toi, si accueillant quand mes jambes me lâchent. J’arrive. Et là, gros dodo jusqu’à 20 heures. Thermomètre. Température OK, elle monte lentement mais sûrement… pour s’arrêter à 38°6. J’ai froid sous 4 couvertures et 3 épaisseurs de vêtements. Le pauvre Jean-Marie qui commence à se sentir sous les Tropiques et largue les couches une à une. Bientôt, il va transpirer et moi, je suis là à grelotter. Daffalgan et re-dodo puis direction Le Lit. Mon cœur jumeau me veille comme une nounou. Je sens sa main frôler ma joue pour voir si la température baisse. Quand j’émerge dans un demi-sommeil, il est là, il est mon veilleur. Même le chat s’y est mis. Il vient de temps en temps se blottir comme pour emporter cette saleté de fièvre.
A peine entrée dans l’eau, mes forces m’ont quitté, plus possible de me relever, même en me tenant au bord de la baignoire. J’ai attendu longtemps avant de rassembler les miettes de force qui me restaient pour enfin émerger de ce bain devenu glacé et ramper jusqu’au divan. Ca m’a valu une bonne crève et l’engueulade du jour par le chef. Ceci dit, il avait bien raison le chef. Je n’ai plus réitéré l’expérience.
Mardi 19 mars 2013 Vers 10heures, Classic21 m’a appelé pour mon intervention dans une émission qui présente des sociétés ou associations. Comme je perd un peu le fil de la conversation ces derniers temps, j’avais un peu le trac de ne pas être cohérente, mais je m’en suis bien sortie.
Vendredi 22 mars 2013 Et pourtant plus de 40 ans après, rien n’a encore changé. Le monde devient de plus en plus violent au nom de je ne sais quelle religion ou credo. Ils vouent leurs forces à Saint-Pognon, se planquent, laissent les moins lotis encore plus pauvres et au 21ème siècle, on se tape encore sur la g…., on dort encore dans la rue et le burn-out est devenu le mal le plus répandu dans la population active. Mais nom de dieu, on oublie de vivre sa vie et on la perd à essayer de la gagner. Ca n’est pas de moi, c’est le Dalaï Lama qui l’a dit. Et on pourra encore écrire ces phrases dans les siècles qui viennent.
Quand je suis active, c’est vrai pour moi aussi. Je n’ai jamais aimé dépendre des autres, que ça soit mes proches ou mes amis. Je suis toujours disponible pour eux, mais le contraire me met très mal à l’aise. Je préfère crever de soif que de demander qu’on me donne à boire. C’est ainsi. C’est même génétique, puisque ça me rappelle ma mère. Mais à l’impossible, nul n’est tenu.
Photo Loreta, pour notre plus grand plaisir lors du film Best of avec Cali
Mardi 26 mars 2013
Entretemps, le médecin m’appelle puisque mon hémoglobine a rendu son verdict. C’est un petit nouveau, car mon oncologue est malade. Comme à chaque fois que j’ai affaire à un petit nouveau, il faut recommencer à raconter tout (bien que tout se trouve dans mon dossier électronique), mais ils sont souvent plus attentifs, car novices. Je lui dis que la fatigue commence à devenir de plus en plus difficile à gérer et cette fièvre qui apparaît sporadiquement entre les chimios, ça commence à me gonfler et à me brider dans mes activités sociales. Il s’en inquiète. De plus, les taches rouges sur le corps se multiplient et ça, ça le chipote un peu. Il y a aussi le gros orteil du pied droit (celui que j’avais brisé il y a quelques mois) qui devient de plus en plus paresseux, presque mort. Il note et va en référer au mandarin du service qui le conseillera sur la marche à suivre. Suspicion de bactérie. Et bien voilà une nouveauté. Il me réserve une place pour une écho du foie, pancréas et vésicule. D’abord checker si les stents tiennent encore en place et voir si il n’y a rien de gonflé ou d’aspect douteux. Merde, pour une fois que j’aurais pu sortir un peu plus tôt puisque la chimio était arrivée vite dans le service, bernique….
Je parcours les kilomètres qui me séparent du service onco au service écho. Oui, maintenant, je cause comme les pros. Ils ont ½ heure de retard. Bon, il faut me faire une idée, je passerai donc toute la journée à l’hosto. Dommage, il fait très lumineux dehors. Et là, j’ai vécu une scène presque surréaliste. Le praticien en échographie, celui qui te met ce gel glacé sur le ventre pour inspecter ton intérieur, commence son œuvre. Et je vois qu’il fronce les sourcils, ils marmonne je ne sais quoi en flamand (et il doit être limbourgeois, parce que je ne pige rien). Il se lève, appelle deux collègues qui commencent à scruter l’écran et manipuler le petit pistolet qui glisse sur la peau. Ca n’est vraiment pas agréable, j’ai froid. Un peu excédée et inquiète, je leur demande ce qu’il se passe. Vous n’allez pas me croire, mais la réponse est : on ne trouve pas votre vésicule ! Je ne sais pas si je dois rire ou me fâcher. Ils m’interrogent sur le fait qu’on me l’a peut-être déjà enlevé et scrutent ma peau pour être certains qu’il n’y a pas de trace de cicatrice. Et, les gars, je ne suis pas encore sénile et je sais si on me l’a enlevé ou pas. Ils continuent à scruter pour finalement me dire que chez les femmes, elle est parfois très petite, mais qu’ils sont profondément désolés, mais qu’ils ne la trouvent pas. Avis à la population : si quelqu’un la retrouve saine et sauve, j’offre un kilo de chokotof. Pour le reste, tout est normal, enfin si on peut dire, tout est comme au dernier examen, j’entends bien. C’est un peu comme lire le Ciné Tele-Revue : personne ne le lit, mais tout le monde sait ce qu’il y a dedans !
Dans le cadre de Marseille Provence, capitale culturelle européenne, Manolo et sa femme ont imaginé « Transhumance », une marche à pied et à cheval de 600 kms, étalée sur 3 mois pour arriver à Marseille début juin. Elle, majestueuse, se tient debout sur son cheval et traverse les plaines, les autoroutes. Une vraie complicité. Lorsque le journaliste demande à Manolo comment il qualifierait sa relation cavalier cheval, il répond simplement qu’il n’aime pas ces mots, que son cheval est son double et quand le cheval à mal au pied, Manolo ne peut pas courir. Ils vivent dans des caravanes près de Marseille au milieu de leur haras de 20 chevaux. Je ne pourrais tout vous décrire, mais allez découvrir les clips de présentation sur internet, c’est juste humain, gracieux et émouvant.
|
||
Mise à jour le Vendredi, 29 Mars 2013 17:51 |