Le carnet de Loreta : octobre 2012, douzième volet |
Écrit par Loreta Mander | ||
Jeudi, 01 Novembre 2012 19:13 | ||
Lors de son premier échange Loreta se présentait ainsi : "La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie". Tout allait pour le mieux pour moi : j’ai rencontré mon cœur jumeau, je reconstruis ma vie et je suis tout simplement heureuse. Voici son carnet de bord, douzième volet
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Lundi 1 octobre 2012 Si la maladie ne m’obligeait à bloquer une date toutes les 3 semaines, je pense que je glisserais vers le sud pour profiter de la douceur du climat. Celui qui te permet de voir la lumière du soleil le matin, quelques 18 à 20 degrés. Et pourtant je suis née en octobre. Mais pas de cause à effet, j’en suis certaine. Pfff, vieillir d’un an le 31, le jour d’Halloween avant la fête des saints. Tu parles c’est pour moi ça, la fête du sein !!!!! Bah mieux vaut en rire. Aux chiottes les jolis décolletés pigeonnants, mais ça n’est pas nécessaire non plus. Mais c’est quand on manque de quelque chose qu’on se dit que ça serait bien si on l’avait. Avant d’être une amazone, je n’ai jamais affiché des décolletés pigeonnants, donc pourquoi avoir ce regret aujourd’hui ? C’est quand tu as le ventre et le porte-monnaie vides que tu regardes les gâteaux à l’étalage du pâtissier, non ? Notez que c’est juste pour encrer les lignes, sinon je n’ai aucun regret, ne vous en faites pas.
![]() Vendredi 3 octobre 2012 Rendez-vous fixé le soir dans un hôtel de la périphérie bruxelloise avec Monsieur X (nous l’appelerons ainsi pour le moment) pour définir les envies du projet. Ca roule. On est sur la même longueur d’ondes. Il ne faut vraiment pas se planter. Samedi et dimanche seront donc dédicacés entièrement à Monsieur X. Super séance photos, entrecoupées par des fans qui demandent des autographes. C’est étrange, pour une fois, de se retrouver de l’autre côté de la vie d’artiste. On a beaucoup parlé, débattu pour finalement se mettre d’accord sur un style. Vraiment belle rencontre, teintée de confiance totale.
A chaque séance, Hilde, l’infirmière responsable des tests cliniques, m’amène son ordinateur portable afin que je remplisse le questionnaire. Comment vous êtes-vous senti la semaine dernière ? Avez-vous été angoissée ? Avez-vous bien mangé ? Bien fait caca ? Pas vomi ? Pouvez-vous vous déplacer seule ? Avez-vous eu des difficultés financières à assumer vos traitements ? et blablabla et blablabla…. Alors, en gentille collaboratrice, je réponds. C’est un boulot à temps plein, tout ça ! Pour une fois, ça a été rapide. Entrée à 9h30, sortie à 14h30. J’ai re-tenté la question à l’oncologue : ça finira quand les chimios ? Et éternelle même réponse : « jusqu’à ce que votre corps le supporte ». Bien avancée avec ce genre de réponse. Bien que pas trop dur à assumer, j’ai quand même des petites choses qui se détraquent lentement : les pieds et les mains qui « dorment » tout le temps, ce qui supprime certaines sensations. La vaisselle me glisse des mains parce que je ne la sens plus. J’ai même du mal à écrire parfois. Les pieds et les mains sont donc toujours froids. Mes ongles partent en peau de couille, se dédoublent et se détachent légèrement. Et puis, le régime alimentaire…. Viande blanche cuite sans graisse, légumes vapeur, patates vapeur ou riz ou pâtes sans sauce, des fruits, beaucoup de fruits et des produits laitiers. J’ai découvert le quinoa pour un peu changer, mais ça reste comme du couscous sans bouillon, un peu sec à avaler, mais pas mal comme goût. Comme quoi, on se réjouit de peu. Le plus dur est de boire 2 litres d’eau par jour. Je n’ai jamais la sensation de soif. En fin de journée, je me sens comme une outre qui fait flip flop quand elle remue. Je rentabilise ma taxe d’égouts, si je peux me permettre. Si c’est le prix à payer, je paye de ma personne. Depuis le temps que je paye de ma personne au cancer, au régime, à la victoire, je devrais être sur la paille.
Mercredi 10 octobre 2012
Pour tromper mon impatience, je fais des cupcakes de princesse avec plein de billes colorées, des traîts, des dessins pour faire plaisir aux yeux de Mila, ma petite princesse. Quand je vois Maud, j’ai l’impression qu’elle n’a pas vécu ces derniers 9 mois à l’hôpital. Elle est belle, relax et calme. Mila, égale à elle-même. Pleine de vie, de sourires et de bons mots. J’ai vraiment passé une superbe journée. Ce sont mes rayons de soleil, ceux qui me poussent vers l’avant, vers l’envie de la voir vieillir et grandir. Je suis très zen, je savoure le vrai moment présent.
![]() Dimanche 14 octobre 2012 Une pensée pour ma nonna à moi. Elle est décédée il y a bien longtemps et aujourd’hui, elle aurai soufflé ses 113 bougies, mais elle ne sera jamais au Guinness Book de la plus ancienne nonna du monde. Elle est là-haut.
Si on me disait aujourd’hui que je dois encore user mes culottes sur des bancs d’école pendant environ 20 ans, je me dis que je ne pourrais pas. En tout cas, on ne pourra jamais me dire que je n’ai pas essayé. Même si les mains sont un peu engourdies, je ne baisserai jamais les bras, quoiqu’il arrive. Je me battrai jusqu’au dernier souffle. Je tiens bien trop à la vie.
Maintenant, il n’y a plus qu’à …. Du pain sur la planche, il y en a, croyez-moi. Trier, sélectionner, peaufiner et mettre en page. Des milliers de photos à visionner. Mais quelle récompense quand nous le tiendrons enfin entre nos mains.
![]() Vendredi 19 octobre 2012 Quelle mouche a bien pu piquer le grand barbu là-haut ? 23° au thermomètre. Au saut du lit, j’y regarde à deux fois. Et bien non, il fait 23°. L’été indien ? Alors, je savoure la douceur de l’air qui effleure mon visage et mes mains (ben oui, le reste du corps est sous une couche de vêtements…). J’avais oublié que c’était si bon. Même si je sais que ça ne durera que quelques heures, voire quelques jours, je savoure quand même ce moment présent unique.
Autour de moi, j’entends les gens qui parlent déjà du temps qu’il fera lundi. Pffff, ils passent à côté de ce qui est dans leurs mains… le moment présent. Il faudrait quand même apprendre à ne pas toujours vivre dans ses souvenirs ou dans l’avenir. Ca devrait d’ailleurs être enseigné aux enfants dès leur plus jeune âge. C’est juste une habitude à prendre que de se contenter de ce qu’on reçoit, maintenant. Un site français « La chaîne rose » m’avait contacté pour demander la permission d’ajouter mon témoignage-carnet de bord sur leur site. J’ai bien entendu accepté. Aujourd’hui, ça y est, la publication est en ligne. Le lien se trouve sur ma page facebook. Ce n’est pas de la prétention, loin de là, mais juste une petite pierre à l’édifice des femmes qui vont commencer le long chemin vers la rémission et la sérénité à accepter les choses telles qu’elles vont se présenter. Ce site d'origine française met une vitrine à disposition des personnes qui ont envie d'y écrire leur expérience. Il y a quelques années, le magazine Femmes d’Aujourd’hui m’avait fait l’honneur de 4 pages dans leur numéro spécial d’octobre rose.
Quand j’avais envie de lâcher la barre, parce que c’était devenu trop difficile, ils m’ont supplié de garder la tête hors de l’eau, surtout ne pas sombrer. Même si ils ne le montrent pas, on sent dans leur regard qu’ils ne veulent pas rester seuls sur le carreau. Ils ont besoin de nous, disent leurs regards. Mais si ils savaient combien j’ai besoin d’eux. Un rayon de soleil au travers des arbres. Mais un jour, l’arbre ne cachera plus les rayons, ils seront là, plein les yeux à nous aveugler et ce jour-là, ça fera un bien fou. Même si on est en rémission, le mot dit bien ce qu’il veut dire : sursis pas guérison ! Le sursis est plus ou moins long, mais chaque minute de notre vie sera toujours rythmée par le va-et-vient du pendule. Un jour à gauche, un jour à droite. Jamais il ne s’arrêtera. On restera toujours suspendu au verdict du scanner, au bon vouloir du crabe qui sait quand il peut attaquer à nouveau. Il trouvera la faille, car il est sournois, toujours à l’affût du moment négatif, des questionnements qui tournent comme un vélo dans notre tête. En quelques jours, l’annonce du décès de plusieurs personnes rattrapées par le crabe. Même si nous ne les connaissons pas, la nouvelle nous frappe et nous choque au plus profond de nous. On se dit : nondidju, et le prochain ? Ces états d’âme sont fréquents chez les malades. Notre sensibilité à la question est plus acérée. Mais je fais avec. Les jours passent et chaque jour est un jour gagné pour la vie.
![]() Comme toujours à l’approche d’un contrôle : passera ? passera pas ? En étant toujours persuadée que ça passera comme d’habitude. Le petit vélo a bien tourné ces derniers jours dans ma tête. En plus, l’estomac et le pancréas se rappellent de temps en temps à mon souvenir. Malgré la « maigreur » de ma bonne chère, j’étais un peu découragée. Tant d’efforts pour rien ou presque. Mais, depuis 2 jours, je remonte la pente…. En plus, quand je fais mes courses au supermarché, avec Noël et Saint-Nicolas, les rayons regorgent de chocolat. Mmmhhhh….. si ça continue je vais commencer à sniffer des barres de chocolat. Ceci dit, le 1er janvier 2013, je n’aurais pas d’indigestion, pas la tête dans la c…. et surtout rien de neuf sur la balance. Pour la première fois, mes résolutions de l’an nouveau seront un peu différentes !!
Merci le ciel pour ces mouvements d’humeur. Certains font plus plaisir que d’autres, mais il en faut pour la nature aussi. Le jour du contrôle approche et j’espère que ça sera un beau cadeau pour mon anniversaire. Malgré que je ne pense pas toujours à la maladie, les jours qui précèdent les contrôles, m’angoissent et de plus en plus, parce que je sais que si ça ne marche plus avec le test clinique, retour à la case départ ou pas de retour possible. Je me surprends parfois à ne plus rester dans le moment présent, à faire les questions et les réponses de l’avenir. Pas bien du tout ! Foutue bestiole, quand me lâcheras-tu ?
Ca fait un boucan là-dedans, mais des bruits étranges, irréels presque sidéraux. Comme ça dure 40 minutes, je vais un peu m’occuper. Je m’aperçois que les sons sont réguliers. Ca fait comme une petite musique électronique. Alors, je commence à compter les mesures. Zut, il manque quelquefois des temps. Je me mets à construire un morceau de musique électronique, quelque chose entre Pierre Boulez et Daft Punk. C’est amusant et ça passe le temps. Ma rave party terminée, je me prends un bon café. Les dés sont jetés, il n’y a plus qu’à attendre. C’est toujours long l’attente d’un résultat. A vrai dire, ce coup-ci, je manque de confiance. Trop d’amis partis ces dernières semaines, vaincus par le crabe…. Et si c’était mon tour ? Pas possible, j’ai trop donné, trop bataillé que pour que ça s’arrête. Et puis, le rayon de soleil arrive. Enfin, c’est une image, parce que l’interne n’est quand même pas Apollon non plus. Je dirais même qu’il est moche, mais doux et attentif. Après tout, ça n’est pas pour le regarder, mais pour écouter ce qu’il a à me dire. Religieusement, je bois ses paroles ….. alles in oorde, het is perfekt…. Je vole à quelques mètres du sol, je me regarde rire à l’intérieur mais vu de l’extérieur, enfin vous comprenez. Et bien, ça c’est fait aussi, comme dirait l’autre. Dans 6 semaines, prochain contrôle et si on confirme l’état intérieur de mon petit foie, on passera à un contrôle tous les 3 mois. C’est de bonne augure.
Des chouettes cadeaux, une ambiance cool. On sentait l’amitié sincère voler au-dessus de nous. Une raclette de circonstance, sauf qu’avec de la dinde et du fromage light, ça ne fait pas le même effet, mais l’important était de se retrouver ensemble. Merci Michel, Fabienne, Joëlle, Christian, Charles, Carole, Marc et Dominique, merci pour votre amitié sincère, c’est très important pour moi.
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Mise à jour le Jeudi, 01 Novembre 2012 19:31 |