Le carnet de Loreta du 01/01 au 28/01/2012
Écrit par Loreta Mander   
Samedi, 28 Janvier 2012 21:27

Loreta, nous partage sans fausse pudeur, avec simplicité, coeur et passion, son carnet de bord, celui d'une femme sur le chemin, là où la montagne se dresse

Comme un cri, elle nous disait : "Il ne faut pas attendre le pire pour s'arrêter et réfléchir un peu à soi.  Je ne suis pas plus forte qu’une autre, mais une espèce d’instinct animal me pousse à me battre de plus en plus hargneusement et ça je ne peux l’expliquer."

Lors de son premier échange Loreta se présentait ainsi : "La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie.
Tout allait pour le mieux pour moi : j’ai rencontré mon cœur jumeau, je reconstruis ma vie et je suis tout simplement heureuse.
J’ai 2 enfants. Il a 2 enfants. Nous voici famille recomposée de 4 enfants, qui s’entendent très bien.
Je suis née à Verviers et y ai vécu jusqu’en 2000. Pour des raisons professionnelles et amoureuses, j’ai migré vers la périphérie bruxelloise, où je réside encore à l’heure actuelle".

Voici son carnet de bord, cinquième volet

 

Janvier 2012

Comment commencer une nouvelle année ? Présenter ses vœux. La formule traditionnelle ? Bonne santé, des sous, du bonheur, des moments intenses et que sais-je encore ?

Moi je vous dirai tout simplement : et si nous redevions nous-mêmes en retrouvant notre âme et nos yeux d’enfant ?

Le monde va mal, ça, tout le monde le sait ! Mais, pensez-vous qu’aller aussi mal que lui le rendra meilleur ? La réponse est claire et nette : NON !!!

Et si, tout simplement, on essayait d’être enfin nous mêmes, sans jouer un rôle pour plaire à la société, à son patron, à son conjoint, à ses enfants…. aux autres.

Avoir envie de chanter, de danser, de rire, même quand tout va si mal autour de nous…. tout simplement !

Je vous entends me dire : elle a facile, elle. Pourtant, j’ai connu des moments si difficiles que j’aurais pu laisser tomber les bras et pleurer au bord du trottoir. Si je l’avais fait, je serais aujourd’hui de l’autre côté du miroir. J’ai donc pris le parti de ne voir que le côté positif des choses, car toute médaille a deux côtés, comme les pôles, le positif et le négatif. Une formule existe aussi avec le verre à moitié vide ou à moitié plein. Les conversations de comptoir tournent toujours autour de ce qui va mal. Jamais autour de ce qui va bien.

La pluie, c’est moins bien que le soleil, mais quand il ne pleut plus, on s’aperçoit que l’eau est essentielle pour la nature, pour nous. Ne pourrait-on pas plutôt se dire qu’après la pluie vient le soleil et qu’ils ont chacun leur place en alternance dans notre vivier.

Si chacun faisait cet effort, tout s’enchaînerait et on vivrait bien plus heureux. Rien que des gens qui ne râlent pas, qui sourient, qui sont heureux.

Une expérience à faire : vous êtes face à une personne hargneuse, râleuse. On en rencontre chaque jour : à la caisse du supermarché, dans le trafic. Quand cette personne nous agresse, répondez-lui simplement par un sourire, qui signifie « ta mauvaise humeur ne m’atteint pas, je suis serein(e) ». Assez bizarrement, la personne est désarmée car vous n’entrez pas dans son jeu et elle se calme, immédiatement. Ca remplacerait bien le doigt d’honneur ou l’injure et c’est vachement plus agréable. Mais, on veut être le plus fort et on répond à l’agressivité par l’agressivité. Ca n’est pas une preuve de faiblesse que de ne pas monter le ton. C’est plutôt une preuve d’intelligence. Bon, face aux cons, c’est plus compliqué. Mais pourquoi vous pourrir la vie à cause d’un con. On répond aux imbéciles par le silence, c’est la meilleure arme.


Lundi 9 janvier 2012

Grand jour aujourd’hui, mais longue journée à l’hôpital. Encore des heures d’attente, mais pour la bonne cause. Scanner, prise de sang. Je vais enfin savoir si ça vaut la peine de continuer à se battre. La réponse est O U I ! Les métastases sont passés de la taille d’une petite pomme à celle d’un raisin de Corinthe tout dessèché. C’est pas beau ça ? Quand le médecin me l’a annoncé, j’ai fait ma petite danse de joie, ce qui l’a bien fait marrer. Vite, un coup de fil à mon homme, qui était occupé à shooter à l’hôpital des enfants. Un vrai bonheur à partager. On se contente de peu quand le principal vous manque. Juste un résultat, comme si j’avais gagné le gros lot au loto. En tout cas, à mes yeux, ça a bien plus de valeur.


Mardi 10 janvier 2012

Retour à l’hôpital pour la troisième injection de chimio. RAS, tout s’est bien passé. Pas d’allergie, pas d’effet secondaire immédiat.


Samedi 14 janvier 2012

Aujourd’hui, on prépare les appareils photos. C’est la fête des enfants à l’hôpital. Les enfants malades, leurs parents, frères et sœurs, grand-parents sont également invités. Intervention de BJ Scott, un coach vocal, une amie américaine et un batteur sont de la partie. Encore une belle leçon d’humilité pour nous tous. Une cinquantaine de personnes sont présentes. Un atelier d’écriture avec BJ, un atelier percu avec le batteur, des maquillages de visages, un atelier bricolage (pâpier mâché, serviettes, …) …  le tout accompagné d’une tonne de bonne humeur. J’ai beau être habituée à croiser toutes sortes d’éclopés à l’hôpital, un enfant, ça n’est jamais pareil. Le plus jeune doit avoir 1 an et le plus âgé, environ 16-17 ans. Et tout ce petit monde grouille dans la joie et les rires. On commence par un mini-récital de BJ avec une guitare, une amie américaine à la guitare et le coach vocal au chant. Grand moment unique plein d’émotions. Les yeux des gosses sont truffés d’étoiles.

On se partage les instants avec JM. L’atelier d’écriture, en néerlandais et anglais, accouche d’un super blues très simple mais avec des mots écrits par les enfants. L’atelier percu est très comique. Ils y mettent tout leur cœur et on voit déjà lesquels aimeraient jouer de la batterie plus tard. Ils posent des questions, ils s’intéressent. C’est que l’urgence de leurs situations les pousse à la curiosité immédiate. Le batteur leur explique le nom des différents éléments d’une batterie, leur apprend les mouvements des percus et ils finissent par créer une intervention de 3-4 minutes à l’unisson.

L’atelier bricolages accueillent les plus petits et leurs parents. Qu’est-ce qu’ils sont créatifs et savent déjà ce qu’ils veulent réaliser, même les plus petits. On dirait que les épreuves de leurs jeunes vies les a fait grandir vite, peut-être trop vite. Le tout se clôture par une présentation aux parents de ce qu’ils ont réalisé. Je dois dire que la prestation aux percus, dans un hall d’hôpital par une vingtaine de gosses, donne une résonance très particulières à chaque battement. Ca devient comme un cœur qui bat à l’unisson avec plein de réverb. Ils sont fiers et heureux. Une petit larme au coin de l’œil d’un papa, un sourire béat de papy ou la fierté d’une maman, tous sont là main dans la main pour donner à leurs petits bouts cet espoir de vie, leur souffle de la vie.

Un papa m’a fasciné. Son petit garçon avait de grands yeux bleus et cachait son crâne sous le capuchon de son sweat-shirt. Il n’aimait pas trop qu’on le prenne en photo. Mais j’ai capté ce moment unique où le père droit dans les yeux de son fils lui envoie un sourire au nul autre pareil. Quel beau moment de tendresse. On a presqu’envie de s’échapper sur la pointe des pieds pour le faire durer plus longtemps. Et puis, ce même petit garçon est passé au maquillage. Très simple, le visage bleu et une colombe blanche stylisée entre les 2 yeux. Un véritable tableau de Folon. Superbe. La fierté dans ses yeux d’avoir ce masque de peinture.

Tant de moments que je ne saurais décrire, tellement ils sont intenses et se passent de commentaires. Tout ces moments resteront dans nos cœurs pour toujours. Dans les moments difficiles, fermer les yeux et voir tout cet espoir de la part d’enfants dont l’avenir est parfois incertain, ne peuvent que nous donner le coup de pied au cul nécessaire pour passer outre les conneries de la vie.

Le bouquin avance tout doucement. Beaucoup de réunions avec Inge. Surtout énormément de boulot pour JM qui réalise la mise en page. Maintenant, tout cela devra passer par le service juridique de l’hôpital, la recherche des sponsors, mais ce projet avance à grands pas et je serai très fière de l’équipe quand je l’aurai en main.


Vendredi 20 janvier 2012

Je n’avais pas vraiment envie d’écrire ces jours passés. Mais uniquement parce qu’il n’y avait rien de spécial à dire. Je deviens comme les indiens, je parle quand j’ai un mot à dire, sinon je contemple. Rare pour une femme, me direz-vous !!!!

Tout se passe plus ou moins bien. Pas de gros effets secondaires : peau hyper sèche, les ongles qui sont à deux doigts de se détacher tellement ils sont en mauvais état et, hier, ça faisait longtemps, une petite poussée de fièvre entre 18 et 20heures. Ceci dit, c’est vraiment minime par rapport à ce que ça pourrait être avec une chimio « normale ». Donc, j’apprécie de pouvoir continuer à vivre tout à fait normalement. La fatigue est bien là, mais je finis par me demander si le manque de lumière, la paresse de la pré-retraîtée ou simplement une grosse flemme n’en seraient pas la cause. J’en ai profité pour reprendre mes activités artistiques. Une table flightcase pour un ami sur le thème des Francofolies, que je suis occupée à terminer.

Entretemps, mon cœur jumeau a fêté son anniversaire le 17 janvier. On n’a pas fait une bonne bouffe à cause de moi, mais le cœur y était. La maman de JM a eu 87 ans la semaine dernière et on en a profité pour aller lui faire un petit coucou. Quelle pêche ! Elle est en pleine forme et ne s’ennuie jamais, même si je la soupçonne de temps en temps de s’endormir devant Derrick. Elle est extraordinaire. Elle est un peu ma maman de remplacement.

Comme le temps n’était pas particulièrement riant aujourd’hui, j’en ai profité pour balayer du regard les murs de Facebook. Oufti, le nombre de gens qui se plaignent, qui râlent, qui refont le monde…. Si ils continuent à râler comme ça, ils vont raccourcir leur temps de vie et ça, c'est pas bien.

Mais nom de Dieu, qu’attendez-vous pour vivre le moment présent et bien regarder autour de vous. Il y a tant de belles choses à admirer, à créer, à savourer. A force de croire qu'être riche, en bonne santé et beau fait le bonheur, vous vous créez vous-même des contraintes, parfois inaccessibles. Comme disait ma maman, qui était une petite ouvrière dans l'industrie textile, italienne de surcroît au moment où on était des "sales macaronis" (ça a bien changé), qui n'a jamais eu grand chose et avec qui j'allais chercher des "bons de charbon" au CPAS : "Ma fille, si tu te contentes de ce que tu as, sans jamais te dire que c'est mieux ailleurs, tu seras toujours heureuse. Tu n'envieras jamais les autres. Par contre, si tu te bouges le cul pour arriver là où tu veux aller et que tu crois en toi, tu y arriveras". Et elle avait tout à fait raison. Je n'ai rien oublié de ses leçons, elle savait à peine écrire, mais elle était bourrée de bon sens.

Il n’y a aucune recette pour être heureux et bien dans sa peau. La première chose est de s’aimer tel que l’on est, de s’accepter et d’être fier de se regarder dans le miroir. Toujours faire du mieux qu’on peut et puis surtout croire en sa capacité de gérer sa vie. Ne pas s’occuper du regard des autres, ne pas vouloir égaler ou surpasser les autres, mais se surpasser soi-même. A force de le dire, ça finira bien par entrer dans nos têtes. Parfois, je me marre à voir des gens payer très cher pour aller suivre des cours d’une quelconque relaxation, consulter des psys en tout genre pour retrouver la sérénité. Et dès qu’ils sortent de la « séance », s’énerver sur le premier connard qui te coupe la route. Cool, rester cool et souriant…. A toute épreuve !


Samedi 28 janvier 2012

L’indien revient parce qu’il a des choses à dire. Côté santé, tout se déroule comme je l’espérais. Les effets secondaires sont négligeables : bouche très sèche, un peu de fatigue, peau sèche et ongles cassants. Les cheveux semblent toujours bien tenir sur la tête. Pas de nausées, digestion parfois un peu lente, mais pour le reste….. RAS ! Ca c’est plutôt une bonne nouvelle.

On en a profité pour revoir des amis tout au long de la semaine écoulée : anniversaire de Pierre, le frère virtuel de JM. Super soirée avec des gens très sympas, de la musique et surtout plein de bonne humeur. Ca m’a fait un bien fou. Déjeûner avec les anciennes collègues de Lexmark. Ca aussi, c’est toujours un moment privilégié, même si je sens que la vie au boulot n’est plus aussi rose. Rebelote avec les ex-collègues de Burnett. Super moment également à comparer la vie en agence et la vie en tant que retraîté heureux. Quand je pense que ces jeunes en ont encore au moins pour 25 ans de vie active. Ils sont jeunes, mais qu’est-ce qu’ils s’emmerdent au boulot. Je n’échangerais pas ma place ! Petit spaghetti avec Steev et sa nouvelle guitare. Encore des moments privilégiés.

Le seul bémol de taille à cette sérénité : ma fille Maud a été hospitalisée pour un stupide accident domestique. Le pied droit écrasé sous un radiateur électrique qui pesait plus de 200kgs. Seule à la maison avec sa petite fille Mila de 3 ans, ne sachant plus relever le radiateur, elle a vu les 36 étoiles. Le GSM oublié dans la voiture, la casserole qui bout sur la taque, impossibilité de bouger, la seule solution était d’envoyer Mila chercher du secours chez la voisine.

MAIS, en sortant, la porte s’est refermée derrière elle, elle a pris peur et a commencer à pleurer sur le trottoir, en t-shirt par 1° ! Alternative de la dernière chance : crier au secours jusqu’à que quelqu’un entende. Après quasi une heure de cette situation très inconfortable, mais surtout douloureuse, la voisine a quand même entendu et a appelé les pompiers. Son mari, qui est pompier volontaire, a entendu l’appel et a foncé tout droit chez lui avec des milliers d’idées qui lui ont traversé l’esprit. Pompiers, ambulance et le SMUR, 3 forts pompiers pour dégager le pied et là….. pied droit brûlé au 2° degré jusqu’au tibia. Ils ont essayé de faire de leur mieux à l’hôpital d’Eupen, mais n’était pas outillés pour ce genre de blessure.

Donc, transfert aujourd’hui vers le CHU de Liège, où elle sera bien prise en main. Il faut maintenant attendre quelques jours pour voir l’évolution des blessures et envisager une greffe de peau. Mais surtout voir si elle pourra récupérer son pied. En étant enceinte, elle ne peut évidemment pas recevoir tous les sédatifs voulus, donc beaucoup de souffrance. Et je n’étais pas là pour l’aider !!!! Ca prouve encore mieux qu’il faut vraiment bien profiter de l’instant présent, car ce genre de connerie peut te tomber dessus à n’importe quel moment et elle s’en sort vachement bien.

C’était juste pour la petite histoire. Mardi prochain, quatrième injection de TDM1. Croisons les doigts !

En attendant, je m’en vais lire le bouquin d’Axel Bauer en écoutant le dernier Léonard Cohen. Rien que du bonheur !

A bientôt pour le prochain carnet de bord, qui sortira dans environ un mois.

 


 

Mise à jour le Samedi, 28 Janvier 2012 21:45