A tous ceux qui sont sur le chemin ! A celui qui arrive là où la montagne se dresse...: Lettre de Loreta
Écrit par Loreta Mander   
Samedi, 12 Novembre 2011 11:33
La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie.
Tout allait pour le mieux pour moi : j’ai rencontré mon cœur jumeau, je reconstruis ma vie et je suis tout simplement heureuse.
J’ai 2 enfants. Il a 2 enfants. Nous voici famille recomposée de 4 enfants, qui s’entendent très bien.
Je suis née à Verviers et y ai vécu jusqu’en 2000. Pour des raisons professionnelles et amoureuses, j’ai migré vers la périphérie bruxelloise, où je réside encore à l’heure actuelle.
En 2004, je passe une mammographie sans me soucier du résultat. Je me sentais bien, alors pourquoi s’en faire ?
Puis ce coup de téléphone un dimanche matin de mars. Mon médecin de famille me dit qu’il y aurait un problème et qu’il faudrait repasser un examen pour confirmer le diagnostic. Gloups….. non, pas moi !
Je vais dans un hôpital bruxellois (en fait le seul qui a bien voulu me donner un rendez-vous en urgence) et la batterie de tests commence : mammographie, biopsie, ….

 

 Et le verdict tombe : cancer du sein très avancé. Il faut agir directement. On me présente l’oncologue, la radiologue, le scannologue, le chirurgien, la mammologue et j’en passe. Moi, qui n’avais que de l’aspirine dans ma boîte à pharmacie, qui avais juste été opérée de l’appendicite, je me dis que je vais devoir vivre dans cet univers pour moi si inhospitalier pendant un certain temps.

 


On me prend un rendez-vous chez le chirurgien, on me remet une lettre fermée à lui remettre. En route, ça me taraude. Je ne comprendrai certainement pas tout leur jargon, mais je l’ouvre. Je lis, je comprends de suite, je me demande « Pourquoi moi ? » et je pleure.
Carnet de route à établir : une chimio néo-adjuvante pour diminuer la tumeur pendant 12 séances à 3 semaines d’intervalle, mastectomie du sein droit et radiothérapie. Ben, si je compte bien, ça me fait une bonne année à faire des allers et retours vers l’hôpital. Jamais je n’ai baissé la garde, ni arrêté de travailler (seulement la semaine qui suivait l’injection car avec la baisse des globules, j’étais trop fatiguée). S’asseoir au bord du trottoir et pleurer ne serait certainement pas la meilleure des solutions.

 

L'annonce

Il faut annoncer cela à mon homme, à nos enfants. De tout le parcours, je pense que cette étape a été la plus difficile pour moi.

Mon homme a été extraordinaire. Toujours présent, toujours à me booster, à m’aider, à me soulager, à m’écouter, même si je ne me suis jamais beaucoup plaint.


Puis, j’ai réuni mes collègues pour leur annoncer. Ils étaient désarmés. Moi qui ai toujours été quelqu’un d’actif, de souriant, de dynamique, il n’en croyaient pas leurs yeux.

Mais je leur ai annoncé avec un grand sourire et beaucoup d’espoir. Je l’ai annoncé à mes amis. J’en parlais avec beaucoup d’aise, car ça me permettait d’évaluer ma force, qui devenait de plus en plus grande.

Et je continue de parler de chaque phase, sans embages et sans pudeur.

C’est ma vie. On me prend telle quelle !


 

Torero

Pourtant, il y a des moments où on a envie de tout laisser tomber. Des petits moments de découragement et puis, subitement, ma petite voix intérieure qui me persuadait de continuer. Un moment qui m’a paru étrange a été la perte des cheveux. Quelle drôle d’impression de se regarder dans la glace glabre, sans expression et pourtant j’ai voulu immortaliser l’instant parce que maintenant, il faisait partie de ma vie. Je me voyais enfin dénuée de tout artifice, j’étais pâle et gonflée par la prise de cortisone. Mais l’image que me renvoyait ce miroir était la rage de vaincre dans mon regard.

Un peu comme le torero qui entre dans l’arêne, car ce combat-ci est inégal. Je précise que je suis contre la corrida, mais c’est la meilleure image qui me vient.
A partir de là, je me suis dit que j’allais gagner, que la mort était de toute façon une compagne pour la vie (malade ou non) et qu’elle ne me faisait plus peur.

 


Eeckhart Tolle et autres lectures

ce moment, j’ai lu, sur le conseil d’une malade de l’hôpital, un livre qui m’a fait beaucoup de bien « Le pouvoir du moment présent » de  Eeckhart Tolle. J’ai compris qu’il fallait vivre chaque jour comme si c’était le dernier, ne rien laisser passer des cadeaux quotidiens de la vie et avancer, comme si toute l’éternité s’offrait encore à nous. Je le relis de temps en temps pour bien m’imprégner de cette chance que j’ai d’être en vie. Puis beaucoup d’autres lectures (La voix de la connaissance de Don Miguel Ruiz, entr’autres), des rencontres avec ceux qui comme moi n’avait pas eu un parcours sans embûches.

 

 

Molécule du futur

En 2006, lors d’un contrôle banal, j’entends l’oncologue me dire qu’il y a des métastases au foie et qu’il faut reprendre une chimio. Un gros coup sur la tête. En larmes, j’appelle mon homme pour le lui annoncer (mais je minimise un peu bien qu’il ne soit pas dupe). Là encore, main dans la main, nous avons repris le combat. A partir de là, le combat consiste à maintenir les métastases au foie, et les faire régresser de plus en plus. J’y suis souvent arrivée et puis il y a eu les moments où elles revenaient. Résultat : 6 chimios depuis 2004. Aujourd’hui, je me suis inscrite dans un programme de test clinique du TDM1, qui serait la molécule future pour lutter contre le cancer du sein (métastasé ou non). Je le fais pour moi mais aussi dans l’espoir qu’une molécule puisse soulager les futurs malades. Et je n’ai rien perdu de ma bonne humeur.

 

Apprendre à se connaître, à écouter son corps

J'ai appris que la maladie trahit une rupture avec soi-même.

On n'écoute pas ce que notre corps veut nous dire, on s'oublie et on épuise nos réserves.

 

Le choc arrive avec l'annonce d'une maladie et, au début, on se demande : pourquoi moi ?

 



Moi, parce que j'ai été trop loin, je n'ai rien écouté, j'ai foncé, j'ai voulu être la meilleure sans me demander si ça serait possible.

On se fixe des objectifs beaucoup trop ambitieux et si on n'est pas à la hauteur, on fléchit, on se remet en question et on ne trouve jamais la réponse. SAUF SI....


on commence à écouter ce que notre corps a à nous dire. On est rarement content de soi (ou alors on est aveugle et prétentieux), on passe à côté des choses essentielles pour, de toute façon, toujours essayer de repartir à zéro. Et si la maladie nous obligeait à remettre les compteurs à zéro ?

Si elle nous stoppait net pour nous obliger à regarder en soi. Voilà peut-être une bribe de réponse.

Alors, obligée, je me suis arrêtée. J'ai réfléchi.

J'ai cherché. Au début, un peu à tâtons.

 

Car on ne nous apprend pas à lire dans notre esprit, à gérer ses énergies. On commence par quoi ?

Doit-on ressentir quelque chose ?

Au début, comme une débutante, on lit, on écoute des gens qui sont passés par là et qui ont peut-être une solution.

Puis de piste en piste, on y arrive. C'est comme un sport, il faut s'entraîner.

Alors quand un début de dialogue s'établit, on fait connaissance. Dire que je vis dans ce corps depuis 58 ans et que je ne connaissais même pas sa voix ! J'ai l'impression de mieux connaître les gens qui m'entourent. Et oui.... alors depuis tout ce temps, j'ai fonctionné pour plaire aux autres, pour être à la hauteur, pour essayer d'être parfaite, alors que ça n'était peut-être pas ma vraie, raison d'être.


De longues discussions en longues réflexions, j'ai appris à comprendre ce que j'étais vraiment et jusqu'où j'étais capable d'aller pour toujours être bien avec moi. Je me suis rendu compte que j'ai longtemps cherché très loin ce que j'avais en moi. Et la recette du bonheur était peut-être tout simplement ça ! Ben merde alors. Se casser la nenette pendant autant d'années pour arriver à cette conclusion si simple ????


Aujourd'hui, je peux dire que je repars à petits pas comme un bébé qui apprend à marcher. Je prends du temps pour moi, je suis à l'écoute des gens que j'aime et que je choisis et je ne m'impose plus le discours et la connerie des "pompeurs d'énergie" qui repartent en vous laissant les bras ballants. Ils déversent leurs peurs et leurs problèmes et puis s'en vont !!!! Et toi, tu restes là avec des problèmes qui ne te concernent pas. Ecouter .... oui ! Me mettre dans la peau de l'autre .... non !


Ca n'est pas de l'égoïsme, c'est tout simplement le répit dont le corps a besoin pour recharger ses énergies. On est beaucoup plus disponibles pour écouter, pour parler. J'ai beaucoup souffert des traitements et j'ai vu énormément de souffrances dans mes multiples périples hospitaliers, mais jamais, je n'ai laissé tomber les bras.

 


L'humilité

La maladie et le malheur nous apprennent l'humilité. Dans une salle d'attente d'oncologue, nous sommes tous dans le même bateau.

On se regarde, riches ou pauvres, laids ou beaux, puissants ou sans grades, le crabe est là pour nous rappeler que dans la détresse, nous sommes tous égaux. Nous avons peur. Je n'ai jamais rencontré une aussi grande solidarité que dans ces salles d'attente.

Nous faisons partie du même "club", où les adeptes sont, malheureusement, de plus en plus nombreux. Alors, on fait l'histoire de chacun en fonction de sa coupe de cheveux.

L'humilité vient quand on se regarde, chauve, dans un miroir. La vraie beauté intérieure ressort à ce moment où on se sent le moins beau ! Parce que, tout à coup, il n'y a plus aucun artifice.


On relativise tout et rien n'est plus jamais grave !



La peur

La peur après les contrôles, les questions qu'on se pose sans arrêt ne sont que des broutilles face à ce qu'on vient de vivre. Mais on vit, et ça c'est la chose la plus importante. On se contente de ce qu'on a et le seul vrai voeux qu'on formule est de retrouver la santé. La maladie sera notre compagne pour la vie et on fait avec. Mais elle ne fait plus peur. Parce qu'à côté de cela, on savoure tellement cette vie revenue, qu'on n'y pense plus.


Avant l'opération, la peur m'a fait flipper. J'aimerais retrouver cette dame qui m'a pris la main dans l'antichambre de la salle d'op en me disant que tout se passerait bien. Dans les vapes de la pré-narcose, elle m'a montré le début du chemin. Et depuis, je n'ai jamais abandonné cette foi en ma capacité de m'en sortir qui me guide encore aujourd'hui.


L'important n'est pas de se dire qu'on va gagner mais se persuader qu'on en est capable. C'est comme un instinct de survie, une petite voix intérieure qui nous dit qu'il reste encore plein de choses à découvrir.
On regarde au lieu de juste voir, on écoute au lieu de simplement entendre ! Chaque matin, qu’il fasse beau ou moche, je souris à la vie et je lui dis merci. J’ai la chance d’être debout, autonome et pleine d’espoir. Maintenant, je m’émerveille devant un coucher de soleil, devant la mésange qui sautille dans le jardin, même les fourmis font un travail impressionnant. Je prends le temps.
Le rythme de la vie ne nous laisse pas de temps. Ca, c'est juste une excuse. Quand on veut, on peut !


Mais c'est plus facile de trouver un coupable à notre mal-être : l'argent, le travail, la réussite, attendre que les enfants grandissent, attendre la retraîte.... Nous choisissons notre chemin, quoiqu'on en dise. Mais nos peurs nous empêchent de faire ce à quoi nous aspirons vraiment. Au lieu d'avouer nos peurs, on leur trouve des excuses, mais ça n'est jamais de notre faute, croit-on !


Je ne veux donner de leçons à personne, mais juste vous dire qu'il ne faut pas attendre le pire pour s'arrêter et réfléchir un peu à soi. Je ne suis pas plus forte qu’une autre, mais une espèce d’instinct animal me pousse à me battre de plus en plus hargneusement et ça je ne peux l’expliquer.

 


Aujourd’hui, nos 4 enfants et 4 petits-enfants sont mon avenir. Je ne suis pas la super nonna, je ne les vois pas souvent, mais ils sont mon espoir de vie. Pour eux, je veux continuer à me battre, les voir grandir et avancer dans leurs vies. Je les aime énormément.


Jean-Marie et moi sommes photographes et adhérons à un projet de livre sur le service de musicothérapie de l’hôpital UZ Leuven. J’ai eu l’occasion de rencontrer une femme extraordinaire, Inge Bracke. Elle est musicothérapeute et rend le sourire et l’espoir aux enfants malades. Elle veut expliquer sa méthode dans un livre, qui sera illustré de photos prises par Jean-Marie et moi.

Ce projet me tient terriblement à cœur. Je comprends leurs espoirs et leurs souffrances. Je ne suis donc pas voyeuse mais juste un lien vers le lecteur. J’espère que ce projet qui verra le jour en automne 2012 aura le succès qu’il mérite. Tous les bénéfices iront au service de musicothérapie.


Nous avons des projets plein la tête envers et contre tout. L’important est de se dire que le passé est derrière nous, le futur doit être fait de projets, mais que le plus important est le moment présent.


Je persiste et signe avec ma formule magique : TAKE THE BEST, FUCK THE REST !

 


 

Mise à jour le Samedi, 12 Novembre 2011 11:57