Grands débats de société : Multiculturalité... "Fiers de nos couleurs" ? Hajib El Hajjaji
Écrit par Best of Verviers   
Samedi, 13 Août 2011 08:39

Au vu de l'actualité, voici pour rappel notre échange d'août dernier.

Après le photographe Julien-S Buchem et Malik Ben Achour, voici notre troisième rencontre dans le cadre de "Nos grands débats de société :  La multiculturalité". Rencontre avec Hajib El Hajjaji, Conseiller communal verviétois. 

 

Introduction : A l'occasion du trentième anniversaire de la loi dite « Moureaux », la presse dans son ensemble nous a rappelé que le 30 juillet 1981 le Parlement de notre pays avait adopté le texte qui visait à réprimer les actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.

Le racisme devenait un délit alors qu'il était, jusque-là, considéré comme une opinion. 

La législation belge contre le racisme a également été étoffée en 1995, via la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide commis par le régime nazi pendant la seconde guerre mondiale. Ces mesures ont fait de la Belgique une pionnière dans la lutte contre le racisme.

Dans la commune de Verviers, parmi mille et une initiatives, un projet porté par Malik Ben Achour, « Fiers de nos couleurs », a vu le jour il y a quelques mois déjà. Même si un projet fait l'actualité et qu'il semble parfois bien vite supplanté par d'autres, nous trouvons qu'il est intéressant d'y revenir.

 

 
Photo Jacques Clérin

Petit rappel : il s'agissait d'une campagne de sensibilisation à la multiculturalité. «L'objectif de départ était de dédramatiser la multiculturalité, d'apaiser les tensions qui existent. Le principe était de casser les représentations que des gens ont de la multiculturalité, qui est loin d'être dangereuse, menaçante» expliquait le jeune échevin à l'Avenir.

 

 


Qu'en est-il plusieurs mois après ?
Nous avions envie de partager quelques réflexions sur le fond avec plusieurs acteurs : Julien-S. Buchem le photographe du projet, mais aussi deux jeunes hommes engagés dans la politique communale, l'échevin Malik Ben Achour, initiateur du projet, et le conseiller communal Hajib El Hajaji qui nous a interpellé par sa carte blanche dans la Libre Belgique du 5 juillet 2011, en réponse à la lettre d'Henri Boulad, chrétien d'Orient et ancien recteur du Collège des jésuites au Caire, qui défend l'idée que l'islam menace l'Europe dans ses fondements mais aussi d'autres invités à découvrir dans les semaines qui viennent.

Bonnes découvertes

 

 

Hajib El Hajjaji,  bonjour. 

Merci d'avoir accepté de bien vouloir partager  votre point de vue sur la multiculturalité.  Comme pour Malk Ben Achour, nous voudrions vous livrer un échange bien intéressant que nous avions eu sur notre site il y a plusieurs mois mais qui reste toujours porteur de sens  avec Jean-Marie Klinkenberg, linguiste et sémioticien.


 

"Un débat passionnant a eu lieu sur notre forum il y a quelques mois : « Se sentir verviétois ».

« Nous sommes Verviétois par nos racines, nos familles, nos liens, notre tissu social,....La Vesdre comme élément fondateur de notre ville. Bien sûr ! 

La Vesdre comme vecteur de développement économique. Certainement


Et notre culture ? Au hasard : La Vierge noire, Bihin, le leup, les feux de la Saint jean, le chat volant, le jogging déguisé,... et j'en passe ! » 

Pour vous Jean-Marie Klinkenberg, quels sont les éléments qui font que l’on puisse se sentir verviétois aujourd’hui ?



Jean-Marie Klinkenberg : " De toutes les manifestations possibles d’identité, la personne qui a écrit ces lignes en a oublié deux, capitales pourtant. La première est notre langue.

Même si on ne la parle plus, elle est sans cesse dans notre oreille, comme une musique familière, et ce qui en reste habite notre bouche, à travers des interjections, de petits automatismes...

Or ces habitudes langagières c’est une de nos marques les plus sûres pour nous distinguer de l’autre. Je sais certes parler le liégeois, mais quand, à Liège, je m’exclame « çu n’èst né veûr », devant un interlocuteur qui aurait dit, lui, « ci n’èst nin vraye », je lui impose puissamment mon altérité.

Aussi sûrement que si je lui parlais inuktitut ou malgache ! L’autre marque oubliée, c’est la cuisine. Aussi importante que la langue, celle-là !  Pour moi le vautchon (vous ne me ferez pas prononcer ce mot autrement), c’est l’équivalent de la vierge de Czestokowa pour un pape polonais

 


Cela dit, de même que je me méfie des patriotismes, je me méfie des identités. Notamment parce qu’elles enferment les gens dans des essences. Or les identités, que l’on dépeint toujours dans leur pérennité, ont une histoire : leurs manifestations ont un début, et elles auront une fin. Et surtout, elles servent de desseins bien variables. Par exemple, les activités autour de la figure du chat volant sont l’exemple type d’un folklore suscité (je ne dis pas ressuscité) à un moment donné. L’important, c’est de savoir pourquoi nous avons besoin de ces choses, à quoi nous les faisons servir.


Car je me refuse à parler des identités comme d’essences mystérieuses, qui nous déterminent à priori. Ces identités-là sont meurtrières, comme le dit Tahar Ben Jelloun. Il en va autrement si l’identité est un outil pour se situer dans le monde, un processus dans lequel on se construit, et au cours duquel on choisit. Une vraie réponse à la question de l’identité verviétoise dépend donc de ce que veulent les citoyens de Verviers : quel projet se donnent-ils, dans quel avenir entendent-ils se projeter ? que veulent-ils faire ensemble ?"

 

 


Hajib, que pensez-vous des propos de Jean-Marie Klinkerberg ?


Verviers est une ville marquée par la diversité. Une diversité des échanges économiques et commerciaux lorsqu’elle était déjà un grand centre lainier international. Une diversité que l’on retrouve aux abords de la Vesdre bordée de plantes et végétations issus des graines des toisons et pelages des quatre coins de la Terre.

Une diversité que l’on retrouve aux abords de ses rues citadines où l’on rencontre ses habitants, issus ou non des migrations, provenant des quatre coins de notre Terre. Oui, Verviers est marquée par la diversité.

 

Quelle place lui accorder aujourd’hui ? Qui sont ces gens et comment voient-ils notre ville à leur arrivée ?


Pour certains, la laine rappelle celles de leurs campagnes du Maroc, du Congo, de l’Albanie ou de la Turquie, pour d’autres la laine renvoie à une pratique cultuelle de la plus grande fête de la religion musulmane.

D’autres sont plus sensibles à notre tarte au riz, véritable institution chez nous. D’autres enfin se rappellent du cours d’eau de leur village d’origine et trouvent quelque réconfort à se promener le long de la Vesdre pour retrouver ce lien homme-nature dont ils ont tant besoin. Un trait d’union à chaque fois entre deux cultures autour des mêmes symboles. Qui parlent à chacun. Selon son histoire et sa conception des choses.



Qu’en est-il de notre culture ou encore de l’identité dont on parle beaucoup ?

Chaque culture renvoie à une identité. Mais cette dernière n’est pas donnée une fois pour toute. Elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. C’est un message fort qu’il faut pouvoir adresser à l’ensemble de notre population. Comment lutter contre la tentation de certains parents qui veulent garder leur enfant le plus longtemps possible à la maison pour leur apprendre la langue du pays d’origine ? Ne ferions-nous pas la même chose si nous étions là-bas ? Mais comment leur expliquer que leur choix pénalise le développement de leur enfant jusqu’à compromettre son avenir ?
Mais dans la même ligne d’idées, pourquoi lorsqu’un enfant est impoli, on dira « c’est parce qu’il est mal éduqué » alors que s’il s’agit d’un enfant d’origine étrangère, on dira « c’est parce qu’il est étranger ». C’est ce penchant vers la réponse culturaliste qu’il faut interroger, notre façon de percevoir ces personnes comme des étrangers et non des citoyens à part entière. Il est nécessaire de sortir de l’abstrait quand nous parlons de ces personnes  pour y voir des visages, comme ceux qui sont affichés en grand à Verviers dans le cadre de la campagne communale « Fiers de nos couleurs ». Ces nouveaux visages de la Belgique. Ces nouveaux visages de Verviers. Ces nouveaux Verviétois. Ces Verviétois, tout simplement…


Qu’est-ce qui vous semble prioritaire  ?

A mon sens, trois priorités demandent notre attention pour améliorer les relations entre les Verviétois. Le premier est sans conteste l’amélioration de la situation socio-économique, et prioritairement le logement et l’emploi. S’établir durablement et contribuer positivement à notre et leur société. Car c’est un fait, la tentation de voir dans l’étranger la source de ses problèmes est plus présente en situation de crise. Doit-on rappeler que c’est l’instauration d’un tarif protectionniste, appliqué dans tous les Pays-Bays autrichiens, qui a provoqué l’installation de fabriques par des Verviétois dans la commune de Hodimont notamment, puis par un autre régime propre au Consulat français qui nous fut favorable ? Et que notre ville a eu besoin de main-d’œuvre pour faire face à ses défis de développement industriel.
Il faut ensuite ouvrir le débat difficile de la place du religieux dans l’espace public. Notre société s’est construite sur des bases fortes et solides que sont les droits fondamentaux. Mais la tension interculturelle ne se règle pas à coup de droit. Elle questionne des sensibilités, des intimités, des représentations. La loi ne peut à elle seule répondre à ces défis bien qu’elle puisse baliser clairement les limites de l’inacceptable, comme le fut la loi anti-discrimination du 30 juillet 1981. Parler des convictions demande du respect, de la pédagogie et de la concertation. Et des solutions.
Enfin, la place du savoir dans notre ville est aussi interpellante à mon sens. Verviers n’a pas – on peut le regretter ou l’expliquer – d’université, de hauts lieux où le savoir, la réflexion, l’analyse sociale est suffisamment approfondie et diffusée au sein de la population. Pour lutter contre les simplismes, les raccourcis, les préjugés, il faudra renouer avec la complexité, le décentrage, le pragmatisme en phase avec les réalités de terrain. Oui, notre ville mériterait d’avoir des hauts lieux de savoirs, de partage de savoirs.


Donc pour vous, il s’agit d’un problème socio-économique ou d’éducation ?

Au-delà du contexte difficile, il faut reconnaître que la fibre interculturelle ne vient pas spontanément. Cela est valable pour tous les Verviétois. Et être d’une culture étrangère ne veut pas nécessairement dire avoir une prédisposition à l’ouverture culturelle, à la curiosité. Mais cela demande d’abord de la confiance, d’abord en soi et puis aussi en les autres, en l’humain. Car c’est bien notre humanité qui fera notre trait d’union, au-delà de nos désaccords et de nos différences. Il peut toujours y avoir une ressemblance entre nous. Il peut toujours avoir une différence entre nous. Amin Maalouf, auteur des Identités meurtrières (et non Tahar Ben Jelloun ), disait : c’est notre regard qui enferme les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer.
Il faut pouvoir construire un Verviers inclusif qui fait participer le plus grand nombre au projet collectif. Que les rues commerçantes des rues de Hodimont et de Dison soient intégrées dans le plan stratégique de la Ville comme un atout de notre tissu commercial, complémentaire aux autres fonctions économiques de notre capitale wallonne de l’eau. Que les enfants qui parlent l’arabe, le russe, l’italien ou l’espagnol soient mis en avant dans une ville – voire même une région - où le bilinguisme fait défaut. Que le respect des personnes âgées, la place de la famille, puisse nous aider à lutter contre les solitudes. Voilà comment faire de Verviers une ville fière de ses couleurs… et de sa diversité

Merci Hajib El Hajjaji pour cet échange.

 

 

Mise à jour le Vendredi, 02 Mars 2012 17:24