Grands débats de société : Multiculturalité... "Fiers de nos couleurs" ? Malik Ben Achour
Écrit par Best of Verviers   
Lundi, 08 Août 2011 07:54

Après le photographe Julien-S Buchem, rencontre avec Malik Ben Achour, Echevin des Relations interculturelles,  qui nous parle avec un peu de recul de son projet "Fiers de nos couleurs". Il s'agit de notre seconde partie de "Nos grands débats de société :  La multiculturalité".

Introduction : A l'occasion du trentième anniversaire de la loi dite « Moureaux », la presse dans son ensemble nous a rappelé que le 30 juillet 1981 le Parlement de notre pays avait adopté le texte qui visait à réprimer les actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.

Le racisme devenait un délit alors qu'il était, jusque-là, considéré comme une opinion.

La législation belge contre le racisme a également été étoffée en 1995, via la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide commis par le régime nazi pendant la seconde guerre mondiale. Ces mesures ont fait de la Belgique une pionnière dans la lutte contre le racisme.

Dans la commune de Verviers, parmi mille et une initiatives, un projet porté par Malik Ben Achour, « Fiers de nos couleurs », a vu le jour il y a quelques mois déjà. Même si un projet fait l'actualité et qu'il semble parfois bien vite supplanté par d'autres, nous trouvons qu'il est intéressant d'y revenir.

 

 
Photo Jacques Clérin

Petit rappel : il s'agissait d'une campagne de sensibilisation à la multiculturalité. «L'objectif de départ était de dédramatiser la multiculturalité, d'apaiser les tensions qui existent. Le principe était de casser les représentations que des gens ont de la multiculturalité, qui est loin d'être dangereuse, menaçante» expliquait le jeune échevin à l'Avenir.

 

 


Qu'en est-il plusieurs mois après ?
Nous avions envie de partager quelques réflexions sur le fond avec plusieurs acteurs : Julien-S. Buchem le photographe du projet, mais aussi deux jeunes hommes engagés dans la politique communale, l'échevin Malik Ben Achour, initiateur du projet, et le conseiller communal Hajib El Hajaji qui nous a interpellé par sa carte blanche dans la Libre Belgique du 5 juillet 2011, en réponse à la lettre d'Henri Boulad, chrétien d'Orient et ancien recteur du Collège des jésuites au Caire, qui défend l'idée que l'islam menace l'Europe dans ses fondements mais aussi d'autres invités à découvrir dans les semaines qui viennent.

Bonnes découvertes

 

 

 
Malik Ben Achour, bonjour. 

Merci d'avoir accepté de bien vouloir partager  votre attachement au projet que vous avez initié : Verviers, "Fiers de nos couleurs".  Nous voudrions vous livrer un échange bien intéressant que nous avions eu sur notre site il y a plusieurs mois mais qui reste toujours porteur de sens  avec Jean-Marie Klinkenberg, linguiste et sémioticien.


 

"Un débat passionnant a eu lieu sur notre forum il y a quelques mois : « Se sentir verviétois ».

« Nous sommes Verviétois par nos racines, nos familles, nos liens, notre tissu social,....La Vesdre comme élément fondateur de notre ville. Bien sûr ! 

La Vesdre comme vecteur de développement économique. Certainement


Et notre culture ? Au hasard : La Vierge noire, Bihin, le leup, les feux de la Saint jean, le chat volant, le jogging déguisé,... et j'en passe ! » 

Pour vous Jean-Marie Klinkenberg, quels sont les éléments qui font que l’on puisse se sentir verviétois aujourd’hui ?



Jean-Marie Klinkenberg : " De toutes les manifestations possibles d’identité, la personne qui a écrit ces lignes en a oublié deux, capitales pourtant. La première est notre langue.

Même si on ne la parle plus, elle est sans cesse dans notre oreille, comme une musique familière, et ce qui en reste habite notre bouche, à travers des interjections, de petits automatismes...

Or ces habitudes langagières c’est une de nos marques les plus sûres pour nous distinguer de l’autre. Je sais certes parler le liégeois, mais quand, à Liège, je m’exclame « çu n’èst né veûr », devant un interlocuteur qui aurait dit, lui, « ci n’èst nin vraye », je lui impose puissamment mon altérité.

Aussi sûrement que si je lui parlais inuktitut ou malgache ! L’autre marque oubliée, c’est la cuisine. Aussi importante que la langue, celle-là !  Pour moi le vautchon (vous ne me ferez pas prononcer ce mot autrement), c’est l’équivalent de la vierge de Czestokowa pour un pape polonais

 


Cela dit, de même que je me méfie des patriotismes, je me méfie des identités. Notamment parce qu’elles enferment les gens dans des essences. Or les identités, que l’on dépeint toujours dans leur pérennité, ont une histoire : leurs manifestations ont un début, et elles auront une fin. Et surtout, elles servent de desseins bien variables. Par exemple, les activités autour de la figure du chat volant sont l’exemple type d’un folklore suscité (je ne dis pas ressuscité) à un moment donné. L’important, c’est de savoir pourquoi nous avons besoin de ces choses, à quoi nous les faisons servir.


Car je me refuse à parler des identités comme d’essences mystérieuses, qui nous déterminent à priori. Ces identités-là sont meurtrières, comme le dit Tahar Ben Jelloun. Il en va autrement si l’identité est un outil pour se situer dans le monde, un processus dans lequel on se construit, et au cours duquel on choisit. Une vraie réponse à la question de l’identité verviétoise dépend donc de ce que veulent les citoyens de Verviers : quel projet se donnent-ils, dans quel avenir entendent-ils se projeter ? que veulent-ils faire ensemble ?"

 

Malik Ben Achour, quel est votre sentiment de fond sur votre projet à la lumière de cet échange ?

 

Je souscris entièrement à ce qu’a écrit le Professeur Klinkenberg. Le projet « fiers de nos couleurs », dans ses objectifs, à travers le message qu’il porte et dans la manière dont il a été mis en place correspond plutôt bien à la conception de l’identité que défend JMK.

 

Avec « Fiers de nos couleurs », nous avons voulu promouvoir les identités mobiles, ouvertes, en perpétuelle construction, tournée vers l’avenir plutôt que des identités figées, fermées, fondées en essence, une fois pour toute.

Je crois d’ailleurs que ces identités figées n’existent pas. Elles n’existent nulle part ailleurs que dans les têtes de ceux pour qui l’identité irréductible est d’abord fondatrice d’une altérité essentielle, éternelle. « L’autre c’est l’autre et ici c’est chez moi ! »: voilà à quoi renvoient ces « identités meurtrières » qui excluent plus qu’elles ne rassemblent.
 



« Fiers de nos couleurs », en tant que projet, invite à une réflexion sur l’identité. Qu’est-ce qu’être Verviétois ? Qu’est-ce que l’ « identitié verviétoise » ? Il a cette vocation, cette ambition, d’affirmer la diversité constitutive de l’identité verviétoise.

Verviers aujourd’hui est une ville multiculturelle où se côtoient plusieurs dizaines de nationalités différentes. A ce titre, rien ne la distingue des autres pôles urbains de Wallonie ou même d’Europe. La multiculturalité est une réalité de notre monde. L’enjeu de société, le défi, est que cette multiculturalité fasse sens, qu’elle créé du lien, qu’elle compose une société. Pour cela, la multiculturalité doit s’incarner dans une véritable dynamique interculturelle. Notre identité de Verviétois est indiscutablement travaillée par cette dynamique interculturelle. Notre responsabilité commune est de nous y investir pleinement.

Le projet « Fiers de nos couleurs » participe évidemment de ce mouvement. Le slogan utilisé joue d’ailleurs un rôle essentiel par rapport à la conception de l’identité que je me fais et par rapport au message que j’ai voulu porter.



En effet, l’ambivalence du slogan a cette fonction de jouer à la fois sur l’idée d’une identité diverse et multiculturelle mais aussi l’idée d’une citoyenneté commune symbolisée par les couleurs verte et blanche de notre ville : les Verviétois sont divers, ils sont multiples mais ils trouvent leur unité, leur socle commune dans cette identité verviétoise qui les rassemble. Au-delà de l’indispensable nécessité de déconstruire certains fantasmes ou idées reçues, il y a donc un message fondamentalement citoyen derrière cette campagne : nous sommes fiers de notre diversité et fiers d’être Verviétois.
 
Pour aller un peu plus loin, je trouve d’ailleurs qu’il serait intéressant de penser la notion d’ « identité » à partir du concept de « ville ». Une ville par définition est ouverte, elle n’a pas de frontières comme un état peut en avoir. Sont Verviétois, Liégeois, Bruxellois, Anversois, etc. les gens qui  vivent dans ces villes.

 

L’idée de « vrais verviétois » n’a pas beaucoup de sens. Sont Verviétois les gens qui construisent leur vie à Verviers. Point. La notion de « ville » donne en quelque sorte une priorité absolue au droit du sol par rapport au droit du sang. La « ville » est donc  un fondement évident de l’identité qui offre d’emblée aux gens un point commun. Une ville tisse des liens, elle fonde une identité commune entre tous les gens qui y vivent et n’exige aucune filiation avec de prétendues racines ou passé mythiques. Elle ne réclame de personne d’être l’héritier d’un quelconque passé.

L’idée de « ville », plus que celle de « nation » ou de « patrie », porte donc en elle une sorte d’égalité de principe.  Cette égalité est une condition indispensable pour la construction d’un projet commun fondateur d’un véritable vivre-ensemble. Ces pistes de réflexion mériteraient d’être creusées.

 

Merci Malik Ben Achour.

(Suite mardi prochain)
 

Mise à jour le Mardi, 09 Août 2011 19:48