Rencontre avec Dimitri Laboury, Egyptologue passionnant et passionné
Écrit par Best of Verviers   
Samedi, 17 Avril 2010 11:22

Rencontre avec Dimitri Laboury, papa attentif, chercheur passionné, professeur à l'ULg, Égyptologue et homme d’ouverture. Il sera présent ce 21 mai à l’Espace Duesberg et nous présentera une conférence sur Akhénaton. Mais qui êtes-vous Dimitri Laboury ?

Je suis Maître de recherches au F.R.S.-FNRS et chargé de cours adjoint pour l’histoire de l’art et l’archéologie de l’Égypte pharaonique à l’Université de Liège. La combinaison ...

de ces deux aspects de mon travail, la recherche et l’enseignement, me paraît extrêmement importante, car j’ai toujours considéré qu’il n’y a pas de recherche sans enseignement, ni d’enseignement sans recherche. Pour concrétiser professionnellement ma passion pour l’Égyptologie, j’ai fait des études d’Histoire de l’art et Archéologie et d’Histoire et Philologie orientales, toutes deux avec une spécialisation en Égyptologie.

Ma passion est née lorsque j’avais 12 ans.

J’ai eu la chance de pouvoir partir en Égypte avec mes parents, et ce fut pour moi une révélation. Très vite, j’ai dit à mes parents que c’est ça que je voulais faire : égyptologue. Je me suis donc passionné pour l’Antiquité, et l’Égypte ancienne plus particulièrement, et je dois avouer que la série des Indiana Jones, pendant mon adolescence, n’a fait que renforcer cette passion. Ma vision actuelle de l’archéologie est évidemment différente de cette première approche, bercée par de nombreux clichés. Si l’historien aborde le passé à travers le filtre de ce que les gens en racontent en ont raconté, c’est-à-dire à travers le filtre de la subjectivité du narrateur, l’archéologue étudie quant à lui les traces matérielles du comportement humain dans ce même passé.

En combinant les deux, il est parfois – souvent – possible de mettre en évidence l’hiatus entre ce qui s’est réellement passé et ce que l’on a voulu en retenir. Et de ce point de vue, les anciens Égyptiens et les gens de l’Antiquité n’étaient pas différents de nous, ils aimaient embellir la réalité de leur vécu. Eux comme nous, nous nous servons tous du passé pour définir notre identité dans le présent. Tout être humain le fait, à titre individuel, comme à titre collectif. Et la pratique conjointe de l’histoire et de l’archéologie permet de bien s’en rendre compte. Je suis ou ai été membre de plusieurs missions archéologiques en Égypte, dans la région de Louqsor, à Karnak et dans la nécropole thébaine, ainsi qu’à Amarna. J’ai également travaillé en archéométrie, c’est-à-dire dans la perspective de mettre des techniques des sciences de la matière et des laboratoires au service de la recherche sur le patrimoine ancien.

Etudier l’histoire à l’Université, quel regard portez-vous sur ceux qui font ce choix d’étude ? Dans notre société et face au regard de ses parents, je pense que cela constitue souvent un choix difficile, car il ne semble pas permettre d’accéder facilement à un emploi. Par contre, on constate tous les jours que la mondialisation nous renferme sur notre propre culture. L’histoire, au sens large, permet justement de porter un autre regard sur notre civilisation, sur notre culture. Cela permet aussi de relativiser notre point de vue, d’aller à la rencontre des autres, et, donc, de soi-même. Cela donne un sens particulier à la vie.

Mais surtout, je pense qu’il faut faire ce que l’on aime, car je suis convaincu que l’on ne fait bien que ce que l’on aime, avec passion. Il est vrai que nous sommes en route vers un monde incertain. Notre société nous normalise. On a peut-être l’impression d’être plus libre, mais en fin de compte, nous sommes plus formatés, plus normalisés que jamais. Quand on voit le matraquage culturel qui est pratiqué sur nos enfants, il y a de quoi se poser de sérieuses questions.

Quelle autonomie intellectuelle, quelle audace de penser vont-ils pouvoir développer ? Aller à la rencontre des autres, notamment par ’histoire, permet de réduire les effets de cette sorte de tyrannie culturelle de notre société occidentale. Les besoins rencontrés lors de missions accomplies en Egypte ont favorisé la rencontre de Dimitri Laboury avec les apports de la physique nucléaire, de la chimie analytique ou des technologies nouvelles.

 

En quoi cela consiste-t-il ? Avec une équipe de physiciens spécialisés en optique, nous avons créé, il y a quelques années, une spin-off, nommée Deios (Development and Enhancement of Interferometric Optical Systems). Elle avait pour but de développer et de commercialiser une technique d’enregistrement numérique en 3D d’objets archéologiques, que nous avions mise au point à partir des exigences du métier d’archéologue et des besoins que celui-ci rencontre lorsqu’il travaille sur le terrain. Ainsi, par exemple, lors d’un test pratiqué au British Museum, notre machine a permis un enregistrement tridimensionnel d’une stèle qui tombait en poussière, enregistrement qui autorisait une meilleure lecture que celle qu’avaient pu pratiquer nos prédécesseur au XIXe siècle, lorsque l’objet était encore en bon état.

Beaucoup d’applications s’ouvraient à cette technologie innovante, qui pouvait être utilisée dans des conditions très diverses et, surtout, en dehors d’un laboratoire. Et, dans cette perspective, nos autorités de tutelle et, en particulier la Région Wallonne, nous ont poussé à créer une spin-off, une petite société qui s’émancipe de l’Université et vise à valoriser industriellement un savoir développé dans un contexte universitaire. Malheureusement, suite à des problèmes de gestion de la part de l’administrateur de la société, celle-ci a dû déposer son bilan et elle a aujourd’hui disparu. C’est encore pour moi un souvenir un peu douloureux, car ce fut une très belle aventure, qui a dû s’achever prématurément.

Parlez-nous de vos travaux ? Outre mes activités de terrain, mes travaux en Histoire de l'art égyptien ont toujours porté sur la compréhension du langage de l'image pharaonique, dans une perspective d'histoire de la pensée et d'histoire culturelle. Toutes mes recherches en la matière ont en commun de considérer ce que nous convenons d'appeler objet d'art comme la matérialisation d'une pensée, pensée créatrice qu'il est possible de retrouver par l'analyse des moyens de signification qu'elle a mis en œuvre pour prendre une forme sensible. Cette pensée étant déterminée par un contexte culturel donné (dans le temps et dans l'espace), la démarche s'inscrit également dans l'optique de ce que l'on appelle aujourd'hui l'Histoire culturelle

 

Et cette conférence, pourquoi Akhénaton ? Cela fait 10 ans que j’ai commencé à faire porter mes recherches sur Akhénaton, et plus particulièrement sur son art. Un collègue de l’Université de Paris-IV, au courant de ces recherches, m’a demandé si je serais intéressé d’écrire une nouvelle biographie de cet atypique souverain de l’Égypte antique, pour une collection intitulée « Les grands pharaons », qui visait à proposer des biographies historiques, dans la grande tradition française, pour des rois de l’ancienne Égypte.

J’ai accepté, en proposant un projet un peu particulier. Cela ne m’intéressait pas de refaire la énième histoire de ce pharaon, en re-synthétisant tout ce qui a déjà été écrit sur lui. Mais, au contraire, j’avais à cœur d’écrire un livre qui fasse synthèse de ce que l’on sait réellement sur lui et, aussi, de tout ce que l’on ne sait pas ou ne saura jamais. Parmi les fondateurs de religions, Akhénaton occupe une place un peu particulière. Il fut privé de toute postérité mémorielle, ce qui fait qu’à la différence d’Abraham, Moïse, Jésus ou Mahomet, il n’est pas un personnage de la mémoire collective, mais bien un personnage de l’histoire. En d’autres termes, nous pouvons l’appréhender non pas par ce que l’on a voulu retenir de sa vie et de son œuvre, a posteriori, mais bien par les documents contemporains de son existence.

Puisqu’Akhénaton fut volontairement oublié par ses successeurs, il fallut le redécouvrir et cela ne put être fait qu’au XIXe siècle. Ce qui va frapper les égyptologues de l’époque, c’est qu’il a proposé un culte monothéiste, qui va susciter un puissant phénomène de projection culturelle. Ainsi, on constate très vite que, selon que l’auteur qui traite d’Akhénaton soit plutôt juif, protestant, chrétien, … la vision que l’on aura d’Akhénaton sera différente et teinté par les orientations idéologiques de l’historien (quand il ne s’agit pas d’un romancier).

Ce pharaon a été récupéré à toutes les causes, des cultes monothéistes de tous ordres à la perestroïka, au nazisme, en passant par l’afrocentrisme, le mouvement gay ou mêmes les extraterrestres. De ce fait, il est très difficile pour le lecteur de faire la part des choses entre les différents ouvrages et les différents Akhénatons qui lui sont proposés. C’est vrai pour l’amateur, mais aussi, dans bien des cas, pour le professionnel. J’ai donc voulu écrire un livre, qui s’adresse au grand public intéressé par le sujet comme au monde savant, afin de préciser ce que l’on sait réellement d’Akhénaton et, surtout, comment on le sait, afin que le lecteur, qui qu’il soit, puisse se faire sa propre idée sur la qualité de l’information qui lui est livrée, qu’il puisse savoir clairement s’il s’agit d’une certitude, d’une hypothèse probable, plausible ou simplement séduisante mais indémontrable.

En tant que scientifique, cela me paraissait très important de transmettre ce type d’information au grand public, qui nous mandate, en tant qu’égyptologue, pour étudier ces questions. Et à l’issue de cette recherche, Akhénaton apparaît moins comme un mystique ou un réformateur religieux, que comme un homme politique. Il était, avant tout, un roi. Il se singularise également par son étonnante individualité, par rapport à ses semblables. Il a voulu modifier l’idéologie royale, afin d’empêcher toute contestation de son pouvoir, précisément parce qu’il y eut contestation de son pouvoir de son vivant.

Et, ce qui est extraordinaire pour la documentation égyptologique, c’est qu’il fait lui-même référence à cette contestation. Je voulais également montrer qu’avec la qualité des sources qui nous sont parvenues depuis l’époque d’Akhénaton, c’est-à-dire il y a 35 siècles, il est encore possible de reconstituer des évènements ou des circonstances historiques avec une précision étonnante, ou, en tout cas, qui me laisse souvent pantois. En tant qu’archéologue, je suis surtout parti des documents matériellement attestés, afin de montrer combien l’archéologie et ses sources spécifiques servent à écrire l’histoire dans le domaine de l’Antiquité.

Je me suis par ailleurs toujours attelé à bien distinguer ce qui est matériellement attesté de ce qui relève de l’interprétation de ces traces matérielles. Cela permet d’objectiver l’inévitable subjectivité de l’historien, par rapport à l’objet de son étude. Un exercice fastidieux, mais extrêmement salutaire.

Si je viens à Verviers, c’est grâce à Jean-François Istasse, qui est un vrai passionné, passionné par l’Egypte, mais aussi un égyptologue de cœur. Comme il suit l’actualité, il savait que je préparais un livre sur Akhénaton et il m’a demandé de venir le présenter à Verviers. Je serai donc présent ce 21 mai à 20h15 à l’Espace Duesberg. Merci Dimitri Laboury pour cet échange riche et extrêmement intéressant.

Mise à jour le Mercredi, 28 Avril 2010 05:49