Debaar André
Écrit par Best of Verviers   
Mercredi, 17 Septembre 2008 06:10

Nous avions rencontré André Debaar il y a un peu plus de trois ans. Suite à l'annonce de son décès, nous voulions, en guise d'hommage, vous inviter à relire cet échange; Il est bien intéressant !

- André Debaar, bonjour, vous êtes verviétois mais aussi ambassadeur de notre pays, citoyen du monde. Lors d'un débat sur le forum de notre site la question de notre identité verviétoise a été soulevée : Se sentir verviétois, qu'est-ce que ça signifie pour vous ?

- D'abord perdre son accent (rire). Se sentir verviétois,  c'est retrouver la trace de Victor Hugo :

" Verviers ville insignifiante d'ailleurs, se divise en trois quartiers qui s'appellent la chieck-chack, la Basse-crotte et, la Dardanelle.

J'y ai remarqué un petit garçon de six ans qui fumait magistralement sa pipe, assis sur le seuil de sa maison. En me voyant passer, ce marmot fumeur a éclaté de rire. J'en ai conclu que je lui semblais fort ridicule..." (CHOSES VUES)

Voilà un petit trait qui me revient en parlant de Verviers. C'est dans Choses Vues. Moi je n'ai jamais fumé la pipe... et  je n'ai pas croisé Victor Hugo.

 

 

 

 

C'est une ville de musiciens comme Lekeu, Vieuxtemps, mon père. Une ville qui comportait de nombreux artistes. Le malheur de Verviers , c'est une ville dont on doit sortir. A l'heure qu'il est, je déplore encore que mon père, dans sa jeunesse, n'ait "monté" que les cinq kilomètres séparant Pepinster de Verviers. Alors qu'il aurait dû vivre l'épanouissement d'une carrière au moins nationale.

 

Un souvenir d'enfance ou d'adolescence en rapport avec un lieu verviétois..

L'église sainte Julienne.

J'ai été un bon petit chrétien, ...je le suis toujours....un" mauvais grand pas chrétien"

Une très belle église, je faisais partie des choeurs joyeux. J'y ai appris beaucoup.

 

Un souvenir d'enfance en rapport avec un événement qui s'est passé à Verviers.

La guerre.

Si tu veux quelque chose d'un peu extraordinaire paye toi une bonne Guerre (rire)

Le premier jour de la guerre a passé calmement mis à part les avions. On était là, on ne savait pas si les nouvelles étaient bonnes ou mauvaises .

Le lendemain, de nouveau à 5h, « boum boum » des obus nous tombent dessus, sur notre rue, dans notre quartier. Ils visaient le fort de Tancremont. Autour de Liège il y avait une ceinture de Fort, dont les canons étaient dirigés vers l'Allemagne vers la frontière. Mais les Allemands arrivaient, se rapprochaient.

On a foutu le camp, on a rassemblé des sacs, on a mis des manteaux et on est parti chercher les cousins et cousines. On est parti en évacuation, la fameuse évacuation ! On a foncé, on a marché toute la journée à travers bois pour éviter la route principale, on ne savait pas où les allemands se trouvaient, on entendait des bombes, des avions. On a fait toute notre évacuation jusqu'à Liège. De Verviers à Liège !

Nous sommes arrivés le soir à Liège. Nous n'avions qu'une envie, comme tout le monde, passer la Meuse, mettre la Meuse entre les allemands et nous.

Ca c'était le but de l'état major belge, et probablement celui de l'état major français et anglais, mettre un fleuve entre les allemands et nous. On avait simplement perdu de vue qu'ils se foutaient pas mal du fleuve, ils avaient des avions pour passer au-dessus et des parachutistes. Tant et si bien que quand nous sommes arrivés à Liège, les allemands étaient là, à nous attendre pour nous dire « bon retour à la maison ».

Voilà notre évacuation, grâce à dieu, ça n'a pas été plus grave que cela.

 

Et ça fait quoi pour un enfant ?

On ne va pas à l'école !  C'était amusant, j'étais avec mes petits cousins. Je ne peux pas dire que je me suis bien amusé, parce que j'avais mal aux pieds. Et puis, il faisait très chaud et on portait des sacs et des sacs. Mon pauvre père avec 2 valises. La folie !

C'est après coup qu'on se dit : m'enfin, on a vécu ça un peu comme un jeu. Pour nous, ça a été un peu comme une opérette.

Certes, ça ne l'a pas été pour d'autres, qui ont souffert, qui sont morts, qui ont perdu un proche.. ça c'était atroce.

 

 

Le grand-théâtre, qu'évoque-t-il pour vous ?

Chaque pièce qu'on jouait au national se jouait au grand théâtre.

Le théâtre est entré tôt (en tréteaux) dans ma vie.

Souvenirs d'une grande salle arrondie... tout à coup les lumières s'éteignirent, ma famille se tut après avoir encore longuement chuchoté. Ne restait visible dans la lumière que l'immense rideau rouge.

On entendit une roulée de coups de bâton sur le plancher; le rideau s'emporta en deux parts immenses qui volèrent vers le ciel... Alors... alors... Il faut vous dire que mon père avait ses entrées au grand théâtre de Verviers puisqu'il y enseignait et y jouait de la musique.

On voyait des choses extraordinaires sur la scène. D'abord des gens vêtus de drôles de costumes poussant des hurlements l'un après l'autre ou tous ensemble et sur tous les tons.

On n'y comprenait rien. Mais d'après Maman c'était très beau. Il y avait aussi des musiciens tombés dans une grande fosse; on n'apercevait que leurs têtes... Il y en avait un qui essayait d'en sortir en faisant des grands gestes , mais inutilement. Tout de suite je reconnus Papa et je criais à Maman, très fort pour qu'il m'entende...:"Voilà papa qui joue avec !"

De nombreux chut...chut... et, des mains maternelles et consanguines m'écrasant les lèvres me donnèrent vivement ma première leçon de bienséance au théâtre. Je l'ai connu sous toute ses facettes, d'abord comme peintre en bâtiments puis plus tard comme élève du conservatoires et enfin comme "vedette".

 

 

Quel endroit préférez-vous revoir en premier lors d'un de vos passages à Verviers? Quel souvenir fort y est rattaché ?

 

La Tourelle où enfant je jouais avec Georges Aubrey

Georges Aubrey dit le p'tit Dupont galope à travers le parc "de la Tourelle".

Le p'tit Dupont se trouve en ce moment en mauvaise posture poursuivi par une dizaine d'ennemis en courtes culottes armés de bâtons.

Il habite en effet une dépendance de l'hôpital puisque sa maman participe journellement au peuplement de la cité verviétoise étant accoucheuse en chef.

Mais revenons à notre grille fatale.

Au moment où la horde va lui mettre un cruel grappin dessus, d'un geste il se retourne vers la grille, saisit de ses petites mains deux barreaux bien choisis, les écarte ( eh oui ces deux là s'écartent) glisse entre eux son menu petit corps de p'tit Dupont et disparaît dans les fourrés... Sauvé !

 

Un nom de rue, une place, un nom qui vous tient à coeur et pourquoi ?

La rue Grandjean et la place des Minières. Né rue des Minières puis j'ai habité la rue Grandjean. Les choeurs joyeux se réunissaient et on discutait et jouait...

 

 

Un petit mot sur la Vesdre .

La Vesdre lave et relave la laine, importée, telle quelle, des régions du monde les plus lointaines. "L'eau du pays de Verviers lave plus propre".

Mes grand parents habitaient tout près dans la vallée.

La Vesdre nous envoyait ses senteurs délicieuses (rire).

Dans ces années-là, on jetait tout dans la Vesdre, toutes les usines jetaient leurs saloperies et l'été quand il faisait chaud on s'apercevait qu'elle existait cette Vesdre.

Ca s'est amélioré depuis.

 

 

 

Dans votre vie vous avez rencontré de très nombreuses personnalités. Quelle est celui ou celle qui vous a marqué et pourquoi ?

Jacques Huisman. Il fut le plus grand Directeur de théâtre de Belgique. Il a entraîné un mouvement théâtral belge jamais connu dont la qualité pendant des années a soutenu les plus hautes comparaisons. Il fut un homme de coeur, un artiste et aussi un ami inoubliable.

Dario Fo possédait les mêmes qualités. Il était entraînant et moi j'étais entraîné.

 

 

Quel est le message de coeur que vous voudriez que l'on garde de vous, que vous voudriez donner aux enfants qui vont grandir dans ce monde en mutation.

(Rire) J'aimerais leur dire à votre santé (rire)

Je souhaite que les futures générations aient la chance de connaître le même engouement que le théâtre a suscité dans ma jeunesse et pas seulement dans le domaine théâtral.

A cette époque le théâtre était en plein essor, les portes étaient ouvertes pour les jeunes maintenant elles sont moins praticables... obstruées.

 

Un café, un petit resto qui avait une place particulière dans votre coeur 

Chez Stans rue des Bouchers (Bruxelles)

Un petit restaurant tenu par Constans ( chez Stans) on allait manger ...Le fils Stans faisait un steak particulièrement bon le steak Nergal parce qu'il avait été inventé par Jean Nergal qui était un de ses grands amis. Tous les comédiens s'y réunissaient.

 

Acteur, vous recommenceriez aujourd'hui ?

Oui mais je ne sais pas si ce serait possible. L'avenir s'ouvrait quand j'ai commencé au sortir de la guerre, les voies se sont ouvertes jusqu'au jour où les voies se sont rétrécies et je ne sais pas si elles sont fermées ?

Interview réalisée pour Best of Verviers par Stefan Thibeau  de "La Roulotte théâtrale"   Mai 2007

Mise à jour le Samedi, 19 Février 2011 07:41