En mémoire de mon vieux chat |
Écrit par Gaëtan Plein | ||
Jeudi, 12 Mai 2011 06:02 | ||
La Grise est partie le Jeudi Saint sans faire de bruit . Elle est partie au pays des mille souris et des printemps miaulants . Et je sais que là ou elle est , elle veille encore un peu sur moi . Chacun sait que les chats ont sept vies . ![]() Et nous aussi les hommes … Le pays des mille souris attend au dernier jour les humains . Quand viendra le moment , nous partirons au pays qui miaule. On se réveille octogénaire sur un cresson de vieille forêt ardennaise, entouré de chênes centenaires. Le corps engourdi dans les muguets , on se dit : « J’ai fait la sieste bien longtemps ». On entend au loin des bruits de villages d’un autre siècle . Un carillon sonne l’angélus . Le forgeron tape sur son enclume . Un laboureur encourage son cheval ardennais piaffant dans un passage schisteux ou le soc de la charrue peine . Des enfants en sarrau font l’école buissonnière. On prend son temps pour ouvrir les yeux dans ce pays perdu . On a le temps d’avoir le temps . On divague à travers les fougères dégageant une nuée de libellules et papillons. On marche dans une lande de Fagnes près de Berinzenne croisant quelques solitaires fagnards . Un apiculteur tire les rennes d’un baudet, bâté de deux ruches . Dans un chemin creux, une boteresse , chante une comptine en wallon , en réajustant sur son dos un fagot . Un cavalier élégant sur un demi sang , sapé comme un lord anglais en redingote acajou , vous salue de façon condescendante . Ce vieillard un jour, tard j’espère , si c’était moi ? Pris par la soif , j’écoute le murmure d’une source difficile d’accès dans les rochers escarpés ressemblant au gué des artistes. Mais je m’étonne de ne plus avoir mal au dos . Au contraire ,je me sens souple . Je m’appuie sur les pierres , et me retiens à une branche . Et l’eau me paraît fraîche dans le creux de la main … Je marche instinctivement vers l’orée de la forêt d’où je vois en contrebas , un paysage familier d’il y a bien longtemps . Quelques maisons pourtant jadis éloignées les unes des autres se sont regroupées ? Un hameau que ma mémoire a façonné ! Un préau de mon école primaire , un garage et un jardinet de la maison de mon grand père . Le bureau là ou travaillait un ancien collègue . Un banc ou j’allais m’asseoir avec ma première amoureuse d’adolescence . Tout ce que je vois me rappelle un souvenir heureux . Et autour , l’Ardenne sauvage , comme au temps d’Apollinaire . Et je m’approche curieux et confiant . Les herbes bougent , un petit messager , ambassadeur de ce pays, m’ accueille se faufilant dans les genets . C’est « la vieille grise » . Et dans ses yeux doux , je lis : « tu en as mis du temps … ceux que tu aimes , ils sont là , ils t’attendent » . Elle se frotte comme pour demander une caresse . Et je la prends dans mes bras , elle ronronne . Et bouleversé , je me dirai « Mais si toi mon chat ???? si toi tu es vivant , les autres aussi ? peut être ? » et je ne sentirai plus mes veilles jambes octogénaires … je cours avec mes jambes de vingt ans dans ce paysage sans clôture… La « Grise » joyeuse , mais effrayée, saute aussi à travers les hautes herbes. Elle aussi, exaltée de jeunesse. Entendant la bas des bruits de banquet que l’on prépare . A une centaine de pas , des gens endimanchés s’attablent en plein air. Les voix sont familières . Un accent que l’on a aimé grondant un enfant avec les doigts pleins de crème fraîche . Une voix qui dit : « Ne touche pas au gâteau , tant qu’il n’est pas là , on ne passe pas à table » . Certains se lèvent , sourient : parents , amis disparus. Ils me font signe , je les reconnais . Mon dieu, ceux que j’aime ? Et je crierai , ému : « j’arrive »
par Gaëtan Plein (le jeudi saint 2011) |
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Mise à jour le Samedi, 14 Mai 2011 21:38 |