Best Of Verviers

Pour ne pas attirer l’attention, il avait garé sa voiture près de la chapelle de Marché et montait à pied vers le château en empruntant la route de Sassor. C’était plus long, évidemment, mais, en pleine nuit, il préférait ne pas s’engager sur le sentier abrupt qui, à travers bois, rejoint la grande casemate puis longe les murailles.

Ressemblait-il vraiment à l’une plus qu’à l’autre des illustrations qu’en ont données des artistes d’autrefois ou, plus récemment, René Lahaye, Jean-Marie Winants, Guy Counhaye, Christian Duckers, Jean-François Demoulin ou Jean-Claude Servais ?

À moins que ce ne soit plutôt le personnage incarné par Michel Warnotte dans un clip à la télé, ou les marionnettes des Racont’Arts de Th’eux, ou encore les sculptures réalisées il y a peu par les élèves de l’Académie de Spa ?  En cette nuit de Noël, c’est à tout cela qu’il pensait en arrivant discrètement à proximité du parking qui s’étend devant le château.

Il perçut le bruit d’une brève galopade tandis qu’une forme indistincte disparaissait à la gauche du pont, vers le Vinâve. « Mildiu, se dit-il, je l’ai raté de peu, je croyais être là avant minuit. Si la légende dit vrai, j’en ai pour une heure avant de le voir rentrer. Où vais-je me cacher ? » En s’approchant de la grille d’entrée, il s’aperçut qu’elle n’était pas fermée à clé. Silencieusement, il pénétra donc sans difficulté dans l’enceinte et parvint dans la haute cour du château. À sa grande surprise, au pied du donjon, de la lumière s’échappait de la pièce voûtée voisine de l’escalier à vis.

Avec une prudence redoublée, car il savait que le moindre bruit risquait de provoquer le retour brutal du Verbouc, il s’avança vers l’ouverture éclairée et, risquant un œil, y découvrit deux petits enfants endormis sur des sacs, tandis qu’un gamin d’une dizaine d’années rajustait leur couverture.  Soudain paralysé de stupeur, il entendit derrière lui un bruit de sabots et s’attendit au pire. Courageusement, il entreprit de se retourner pour affronter le monstre diabolique. « Oh, c’est toi, Philippe ! Ouf ! Tu m’as fait une belle peur, j’ai cru que c’était le Verbouc. »  

Descendu de sa monture, le cavalier répondit : « Ne te tracasse pas. J’ai seulement été chez moi chercher une boisson chaude et des biscuits pour ces gosses que j’ai trouvés ici ce soir en apportant au balloir des documents pour l’animation de demain. Je ne sais pas qui ils sont, je ne connais pas la langue qu’ils parlent, mais apparemment ils sont perdus, sont entrés avec des visiteurs et se sont cachés dans le château. Mais maintenant, ils sont sous la protection du Verbouc, qui n’est pas un mauvais diable ! » Philippe sourit, sous sa cape miroitaient mille trésors délicieux pour les petits enfants.

Son cheval se cabra et, sous ses sabots, apparurent en une étincelante incandescence, un feu, un pot au feu qui sentait délicieusement et une poêlée de boudins de Noël… Tout-à-coup, un cortège arriva, éclairé de flambeaux, et chacun, chacune s’ingénia à gâter les petiots tout en se régalant près du feu. Et moi, ému, j’observais la scène, pour mieux vous la raconter.

Au loin, un troupeau de brebis s’avançait, murmurant « Bêêthléem ». Le Verbouc, quant à lui, on ne l’a pas revu ce soir. Tant pis pour le pactole, à dire vrai, c’est Noël pour tout le monde. Et je vous le souhaite heureux, oui, vraiment.                                                                                                         

Albert Moxhet  (En partenariat avec Le Pays de Franchimont) Légende des illustrations :

- Le Verbouc de Franchimont, interprété par Michel Warnotte en 1984  dans un clip de la RTBF. (Photo Albert Moxhet)

- Le Verbouc de Franchimont, dessin de Guy Counhaye (Archives A.M.)

- Le Verbouc, dessin de Jean-Marie Winants (Coll. A.M.)