| Sophie Gardier, qui écrit avec talent sur Best of Verviers, fait partie du jury 2010 composé de 10 auditeurs de la Première (RTBF), passionnés de lecture, dont l'objectif est d'attribuer le fameux "Prix première". Celui-ci est décerné chaque année dans le cadre de la Foire du Livre de Bruxelles. Ce prix est doté de 5.000 €. Sophie nous propose 3 romans qu'elle a dévorés : "Idées de cadeaux pour les fêtes qui encourageront la carrière de nouveaux romanciers". nous précise-t-elle, à juste titre !
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Mais qu'est-ce que le Prix première ? En septembre 2006, La Première RTBF) a relancé son prix littéraire des auditeurs. Dès 1983, l’opération avait connu un franc succès critique et public, distinguant notamment François WEYERGANS, Isabel ALLENDE, Jean-Marie G. LE CLEZIO, Michel DEL CASTILLO, Jacqueline HARPMAN, Eugène SAVITZKAYA ; son arrêt en 1993 avait été largement déploré par les auditeurs. Ce prix des auditeurs s’appelle désormais le « Prix Première ». Attribué par un jury de 10 auditeurs, le Prix Première distingue un premier roman francophone, publié entre la rentrée littéraire de septembre et la rentrée littéraire de janvier, choisi parmi une sélection de 20 premiers romans proposés par un comité de présélection, constitué de libraires, bibliothécaires et journalistes. Les trois romans proposés : - "Les chagrins" de Judith Perrignon chez Stock
Deux jours à Paris ce we m'ont amenée sur les traces d'Angèle, l'héroïne des "Chagrins": elle est née en cellule pénitentiaire rue de la Roquette, à deux pas de la Bastille. Il ne subsiste que le portail d'entrée de cette prison détruite en 1973... avec une plaque commémorative à la gloire des résistantes détenues durant la deuxième guerre mondiale. Les féministes martyres comme Olympe de Gouges sont à l'honneur des rues avoisinantes, rappelant fort à propos que la liberté et l'égalité des droits sont des conquêtes tardives et héroïques pour les femmes. Entre le Père Lachaise, les prisons de femmes et La Bastille, nous sommes dans un quartier dont on s'évade difficilement! Dans son roman, Judith Perrignon nous dévoile une femme quarantenaire en recherche de mère, dans un décor où se croisent sans heurts music hall, vieux jouets, Paris, Brooklyn. Univers introverti, ouaté de non dits. Silence dense peuplé de pensées pudiques, vie lacérée de gestesirréparables: le hold up, les cheveux coupés de la petite Angèle... Première fiction d'une journaliste à l'écriture sensible, elle sonde les âmes et les console de leurs "chagrins". Dès les premières pages, j'ai été touchée par le style imagé,épuré. Intriguée aussi par cet univers carcéral bientôt disparu, ces traces de souffrance là où l'"on a décrété l'insouciance". Judith Perrignon manie avec grâce les ruptures de rythme avec ces lettres égrenées au fil du récit, cailloux phosphorescents d'amour qui nous guident dans le noir de l'oubli. Très belle trouvaille que ces petites annonces pour relancer la quête à mi-parcours, ouvrant vers l'horizon américain du père. Le déni de grossesse, l'assèchement affectif, la recherche du sens et de l'amour dans un univers stérilisé par l'oubli... Autant de questions sensibles que l'auteur effleure d'une plume poétique et subtile, ouvrant délicatement les plaies de ses chagrins sans nous écraser sous le poids de leur détresse profonde. L'air de rien, ce roman parcourt plus de 40 ans d'histoire de France. Des pages toutes en nuances qui m'ont laissé un sentiment de tendresse et de calme.
- "La Fille de son père" d'Anne Berest chez Seuil
Autre histoire de famille, "La fille de son père" aborde avec un humour tendre et féroce les rapports entre trois soeurs et leur paternel, veuf en mal de remariage. Un récit parfois vaudevillesque dont j'ai aimé les dialogues entre filles et le rendu des personnages bien campés dans leurs baskets. Il se prêterait agréablement à une adaptation théâtrale vu le découpage en "tableaux" que sont les réunions de famille. Certains mystères sont hélas trop vite éventés et la fin moralisatrice détonne, comme si Anne Berest tentait de se convaincre elle-même qu'il faut tourner la page et conclure... en quatrième vitesse! Le thème des enfants illégitimes et leur cortège de secrets de famille est au centre de ce récit habilement rythmé de deuils et empoignades festives. J'ai particulièrement aimé le regard tendre et lucide de la narratrice sur ce petit monde fragile évoluant entre rires et larmes sur le fil d'une émotion contenue.
- "Bons baisers de la montagne" de Noémie Lapparent chez Julliard
Ce roman de saison m'a tenue en haleine malgré son écriture souvent simpliste, voire négligée. D'abord, j'ai craint un récit de "développement personnel" dans la veine des derniers romans de Paulo Coelho (elle est loin son alchimie des débuts...). Puis, j'ai découvert une sorte de mélange entre polar et fable surréaliste où l'humour noir dévale la piste d'un récit bien construit. Une jeune actrice en mal de rôle à jouer fuit Paris pour se ressourcer en famille dans la montagne. Elle décide de rencontrer le héros local d'un fait divers macabre: un enfant séquestré dans un placard pendant plus de 15 ans, que ses tortionnaires et néanmoins parents ont fini par "libérer" en se donnant une mort sordide. Devenu messie malgré lui, Paul K (la polka du roi!)ha)ha!))le rescapé est vénéré par des villageois pour le moins bizarres et continue de vivre en reclus dans sa ferme, non loin de son ancienne prison dont il ne peut se détacher. La jeune citadine s'en va bouleverser l'équilibre de cette communauté soudée par une fascination morbide. Sa recherche d'un "sage" dérape bien vite dans un fantasme mystico-érotico-altruiste qui ne manque pas de sel. En phase avec son parisianisme égocentrique et sans gêne, l'héroïne cultive la provocation ingénue et se prend les pieds dans ce rôle de "sauveur" bien excitant de prime abord. Bientôt, le temps se couvre, les pistes deviennent dangereuses... Reste une question: "C'est comment qu'on freine?" Dans ce placard littéraire s'agitent en surface des conflits de valeurs existentielles et relationnelles. L'héroïne et sa créatrice se débinent un peu vite à mon goût. Pourtant, la scène de claustrophobie avait bien commencé... Avec son titre 007, "Bons baisers de la montagne" est enlevé, divertissant malgré ses invraisemblances et un côté "gore" inattendu. Le thème m'a bien intéressée et je reste sur ma faim, surtout sur la fin! Je me demande ce que pourrait donner un tel sujet sous une plume plus mûre, prenant le temps de poser ses valises dans cette vallée perdue pour y camper solidement ses personnages. J'imagine des "trognes" à la Jean-Pierre Jeunet.
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