| Le rexisme est un sujet qui éveille souvent la curiosité et déchaine les passions. Lorsque l’on l’évoque, les images de Léon Degrelle, de la Légion Wallonie et de la collaboration surgissent immédiatement. Pourtant, l’autre facette du rexisme, son émergence dans les années trente sont des sujets plus méconnus et moins étudiés. Ce constat reste valable en ce qui concerne Rex-Verviers.
Dans le cadre de mes études à l’Université de Liège, je viens de réaliser un mémoire sur le rexisme verviétois d’avant-guerre. Rex-Verviers est remarquable par ses succès, ses crises et ses figures. |
Il est malheureusement impossible de retracer dans ce bref article l’ensemble de son histoire. Je tâcherai donc de me concentrer sur une période précise de l’histoire de ce mouvement. Lors du premier scrutin de leur histoire, aux élections législatives du 24 mai 1936, les rexistes remportent un succès fracassant, et tout particulièrement dans l’arrondissement de Verviers. Alors que Rex obtient 11,49 % des voix au niveau national, dans l’arrondissement de Verviers, le parti récolte 22,29 % des voix. Seuls les arrondissements luxembourgeois de Neufchâteau et d’Arlon-Marche-Bastogne, terres de Degrelle, font mieux. Dans la quasi-totalité des cantons de l’arrondissement, les rexistes deviennent le deuxième parti, derrière les catholiques ou les socialistes. Ces résultats permettent au parti de faire élire deux députés (Henri Horward et René Wintgens) et un sénateur (Jean Lekeux).
Quelles sont les causes de cet impressionnant succès ?
La première de celles-ci est sans conteste le soutien catholique dont les rexistes ont pu bénéficier. Jusqu’à la rupture avec le parti catholique, mi-février 1936, Rex-Verviers avait pu bénéficier des infrastructures de l’Association Catholique pour tenir ses permanences, organiser la distribution de sa presse et donner des conférences. Le Courrier du Soir, organe du parti catholique, avait également, dès 1933, soutenu les rexistes en faisant la promotion des meetings et autres activités rexistes et lancé des appels « à tous les bons catholiques » pour qu’ils se rendent aux conférences tenues par Degrelle et ses sympathisants verviétois. Ce soutien s’explique notamment par le fait que le premier noyau des rexistes est issu de la Jeune Garde Catholique de Verviers. Jusqu’en 1936, il était parfaitement compatible d’être rexiste et membre du parti catholique. De nombreux cadres de la J.G.C. tels qu’Albert Zegels, Henri Horward ou Joseph Noll rejoindront par la suite les rangs de Rex-Verviers.
Initialement constitué comme un mouvement de jeunes, à Verviers, Rex est toutefois parvenu à attirer sur ses listes de grandes figures issues du monde catholique telles que le Docteur Charles Hénault, Jean Lekeux, qui attirent un électorat catholique et bénéficient de leur statut d’ancien combattant.
Docteur Charles Hénault En outre, lors de la campagne électorale, en plus de disposer du Pays Réel, organe national du mouvement, les rexistes verviétois parviennent à publier un hebdomadaire de campagne à leur nom : Rex-Verviers.
Mais la principale raison de ce succès à Verviers doit probablement être due au dynamisme et à l’activité débordante que les rexistes vont déployer dans l’arrondissement. En effet, plus de 30 meetings rexistes seront tenus dans l’arrondissement, à partir de 1935. Le ton nouveau, le culot, la volonté de dépoussiérer le monde catholique, la dénonciation de scandales financiers et le pouvoir d’attraction de Degrelle sont autant d’éléments qui ont pu entrainer un enthousiasme parmi la population.
Pour illustrer ce ton nouveau et la violence avec laquelle la campagne électorale fut menée, citons cet exemple :
Dans ses colonnes, Rex-Verviers répondra aux feuilles de propagandes catholiques et socialistes qui lui sont opposées : « Rex vaincra, Judex crèvera et anti-Rex s’en ira terminer sa carrière dans l’endroit même où il puisait ses matières ».
Pour clôturer la campagne électorale, le 18 mai 1936 se tient une des plus grosses manifestations de l’existence de Rex-Verviers, à tel point que l’immense hall du palais du Rossignol n’est pas assez grand pour accueillir tout le public, composé en partie de curieux. Vers 20h30, Georges Leloup (membre du comité financier de Rex-Verviers) annonce l’ouverture du meeting et lance le chant de « Rex vaincra » sur l’air de « La Madelon ». Après avoir provoqué des perturbations, les communistes se retirent sous la menace et organisent un meeting à l’extérieur de la salle. Jean Lekeux tient ensuite un discours critiquant le parti catholique, Le Courrier du Soir et Van Zeeland, grand-prêtre de la dévaluation. Horward lui succède ensuite pour accuser le parti catholique d’être l’ennemi le plus acharné et le plus déloyal de Rex : « il n’est plus qu’un cadavre ». Il rassure également les auditeurs : « Nous ne prendrons le pouvoir que lorsque vous nous l’aurez donné ». Enfin, et sans grande surprise, Léon Degrelle, arrivé en retard suite aux nombreux meetings donnés précédemment, prend la parole pour vociférer contre l’hypercapitalisme et les concentrations d’entreprises. Il ponctue son intervention par l’affirmation que « Rex n’est pas une affaire cléricale et jamais il ne passerait à aucun parti. Nous sommes le parti du peuple et rien que cela ! Rex vaincra ! ». Le Pays Réel commente le meeting en ces termes : « Tout Verviers était là, pathétique, inoubliable ; acclamations unanimes et sans fin. Léon Degrelle en une heure et demie de meeting avait retourné et transporté cet immense auditoire ».
Après les élections, entre 1936 et 1940, Rex va souffrir de la fascisation du mouvement, d’une presse trop provocatrice et de nombreuses crises internes. En dépit de cela, lors des élections législatives de 1939, alors que Rex n’obtient plus que 4 élus sur l’ensemble du pays, contre 33 en 1936, l’arrondissement de Verviers parvient à conserver un élu en la personne d’Henri Horward.
Ces résultats indiquent que les rexistes verviétois, au contraire de leurs homologues d’autres régions, sont parvenus à conserver une certaine dynamique et une base électorale dans l’arrondissement. Leurs meilleurs résultats sont obtenus à Aubel et à Herve, c'est-à-dire dans les fiefs traditionnellement les plus catholiques. Ces dernières élections d’avant-guerre montrent que l’arrondissement de Verviers est resté un des derniers endroits où le rexisme parvient à séduire un électorat significatif.
Avec l’Occupation, c’est une autre aventure, d’un tout autre ordre, qui va commencer pour Rex…
Mathieu Simons
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Bibliographie très partielle
Rapport de la police de Verviers, 18 mai 1936, Dossier Police, A.A.C.V., 48/19 ; Rex-Verviers, 19 mai 1936, p. 1 ; Le Pays Réel, 20 mai 1936, p. 3 ; Le Jour, 19 mai 1936, p. 2 ; Le Courrier du Soir, 19 mai 1936, p. 2 ; ETIENNE Jean-Michel, Le mouvement rexiste jusqu'en 1940, Armand Colin, Paris, 1968 ; SIMONS Mathieu, Rex dans l’arrondissement de Verviers, 1935-1940, mémoire de Master, ULg, Liège, 2010 ; THAYSE Philippe, Le parti rexiste aux élections de 1939, mémoire de licence, ULB, Bruxelles, 1974.
Légende des photographies
Entête d’une lettre de Rex-Verviers à Rex à M. Vandevelde, 30 mai 1937, Rex-Wallonie, Archives Rex, CEGES, Bruxelles, AA166 /35. Dessin de Charles Hénault par Jennigès, paru notamment dans, Le Jour, 5 décembre 1935. Collection Léonard Gardier. Photographie de la salle du Palace lors du meeting rexiste tenu le 3 août 1937, Le Pays Réel, 5 août 1937, p. 3. |