Les légendes ont la vie dure |
Dimanche, 30 Août 2009 11:01 | ||
Donc l’explorateur français René CAILLIE aurait trouvé cette unique marchandise européenne sur le marché de Tombouctou où il arriva à force de ruses et de déguisements, comme il le raconte dans son Journal de voyage à Tombouctou et à Jenné dans l’Afrique centrale en 1824, 1825, 1826, 1827 et 1828, Paris, 1830, 3 vol. Consultez donc cet ouvrage, contactez comme moi la Société de Géographie de Paris ou le meilleur érudit en la matière : Rien…et beaucoup de scepticisme.
Ensuite, l’affaire ROMMEL. Déjà dans les années 70, j’avais été interpellé à ce sujet. Le maréchal aurait fait ses études secondaires à l’athénée de Verviers, et l’on donnait son adresse, le témoignage de la servante et tout le reste. Armand CARABIN, dans Le Courrier et dans une brochure (Verviers vécu. Activités disparues. Souvenirs en vrac, 1985) se montrait extrêmement convaincant. Et pourtant…l’étude de la biographie du maréchal, une correspondance avec son fils, les recherches du préfet MATTHIEU à l’athénée montrent qu’il s’agit d’une légende, alimentée par la présence à Verviers d’une famille ROMMEL, tout autre, dont j’ai analysé ailleurs l’histoire dramatique (Pour en finir avec la légende des Rommel verviétois, bulletin d’information du CLHAM, juillet-septembre 2005 et Courrier des lecteurs, ibid., octobre-décembre 2006). Tant pis pour nous, ROMMEL n’a rien à voir avec Verviers. Mais aurait-ce été un honneur ? Le personnage, présenté facilement comme un opposant à Hitler, avait été tout d’abord un fidèle exécutant de sa politique.
Dans les polémiques concernant l’attitude du gouvernement belge de Londres face à l’annexion des Cantons de l’Est, la phrase qui condamne l’inertie gouvernementale est bien connue et répétée partout ou presque depuis 1945 : le gouvernement belge n’a protesté qu’une fois, et bien tard, en 1943, contre l’annexion de cette région. Désolé, le gouvernement belge n’a pas protesté. Et cela, je l’ai montré en fouillant dans les archives du conseil des ministres à Londres, dans les scripts d’émissions BBC et ailleurs. Dans les années 70, l’historien suisse Martin R. SCHARER, dont le livre continue à faire autorité ( Deutsche Annexionspolitik im Westen. Die Wiedereingliederung Eupen-Malmedys im zweiten Weltkrieg, Berne-Francfort, 1975), l’avait déjà laissé deviner. Pratiquement tous les auteurs et tous les documents officiels ont transmis cette erreur. La réalité est encore plus cruelle : le gouvernement Pierlot ne s’est jamais manifesté !
Il y a enfin le cas GIRAUD (voir mon article dans Bulletin du CLHAM, janvier-mars 2009, p.74). Le général s’est enfui de la forteresse saxonne de Königstein en avril 1942, grâce à des complicités extérieures. On le retrouvera en Afrique du Nord, prenant le commandement après la mort de DARLAN. La question, c’est : par où est-il passé lors de son évasion ? A nouveau, l’imagination s’est donné libre cours. SCHARER lui-même (p.324-330) cite un rapport de la fédération de la résistance des Dix Communes, section de La Calamine (CEGES, Fonds Lejeune, AA756/128) selon lequel « A Henri-Chapelle, une famille belge héberge le général Giraud qui, après avoir franchi la frontière, se rend à Andrimont. » On ne saurait être plus précis ! Et Germaine DEMOULIN, dans son Journal, édité par Leo Wintgens (Montzen, 2006, p. 230), signale le passage du général à Baelen où il est resté quinze jours. Pierre STEPHANY n’est pas en reste et nous ressert l’épisode de Henri-Chapelle dans Des Belges très occupés. 1940-1945, Bruxelles, 2005, p. 80. Et pourtant, le livre écrit par GIRAUD lui-même (Mes Evasions, Paris, 1949) et l’ouvrage de Jacques GRANIER, Un Général disparu, Paris, 1971, nous donnent très clairement l’itinéraire de l’évadé : Königstein, Nuremberg, Stuttgart, Landau, Wissembourg, Strasbourg, Sélestat, Mulhouse, Ebourettes, Berne, Annemasse, Annecy, Lyon, Vichy. Conclusion, la folle du logis s’est encore déchaînée.
Bien entendu, on peut s’interroger sur l’origine de ces légendes.
Pour le drap verviétois à Tombouctou, je suis vraiment perplexe. Le problème, c’est que les auteurs qui mentionnent ce fait ne donnent pas leurs sources précises. Cela aurait été intéressant.
Le cas ROMMEL est plus évident. Au départ, une vraie famille ROMMEL, d’origine allemande, habite Verviers pendant plus de cinquante ans. Et le fils a vraisemblablement fréquenté l’athénée avant de devenir ingénieur puis de connaître une fin inattendue. Nous avons donc une base au départ de laquelle les imaginations ont embrayé.
En ce qui concerne les déclarations ou les silences du gouvernement Pierlot, ma théorie est la suivante : en 1943, Théo FLEISCHMANN, à la radio de Londres, a évoqué, non pas les Cantons de l’Est, mais les Dix Communes. D’où la confusion, entretenue aussi par une déclaration du sénateur BALTUS en 1946.
Le passage de GIRAUD me laisse aussi songeur que l’affaire de Tombouctou. Beaucoup d’évadés français ont traversé notre région et y ont été aidés. Voilà la seule base sûre. Pour la petite histoire, sachez que GIRAUD connaissait Verviers et que, déjà évadé lors de la Première Guerre mondiale, il passa pour un Verviétois qui accompagnait les exploitants d’un manège flamand.
En conclusion, je dirai qu’il faut se méfier des affirmations trop sensationnelles ou catégoriques, ou de celles qui flattent notre chauvinisme local par exemple. On a toujours intérêt à vérifier.
Jacques WYNANTS, 2009 |
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Mise à jour le Jeudi, 20 Août 2009 11:13 |