Les grandes étapes de l’histoire sociale verviétoise de 1709 à 1909 : Troisième partie |
Écrit par Freddy Joris | ||
Lundi, 20 Juillet 2009 07:35 | ||
Paradoxalement, les grandes manifestations de mars 1886 épargneront la cité lainière alors que partout ailleurs dans le sillon industriel wallon, les grèves et les émeutes incendiaires tirèrent les travailleurs d'un incontestable assoupissement sur le plan militant. Est-ce parce que la classe ouvrière verviétoise, elle, était régulièrement conscientisée et organisée en groupes les plus divers depuis près de vingt ans, que Verviers resta à l'écart de cette bourrasque sociale? Sans doute, car à Verviers, il y avait une dizaine d’années déjà que les leaders les plus écoutés prônaient désormais l'organisation méthodique plutôt que la révolte brutale. Les émeutes de ’86 ont pour conséquence la création d’une commission d’enquête sur le Travail qui siège à Verviers en septembre et qui ne peut que constater à nouveau l’état de misère de la classe ouvrière locale. Quelques image d’époque : un tableau bruxellois de 1875, L’Aube, montrant le contraste entre classes sociales ; un dessin du verviétois Funcken paru en 1881, où un bon bourgeois interroge un gamin sur ce que font ses parents (réponse : le père, î beût, et la mère, elle trûtche, elle suce autrement dit), des lettres de Fluche à Louis Bertrand et à Gomzé, quatre groupes de travailleurs de chez Peltzer et de chez Simonis en 1884, où on voit beaucoup de jeunes travailleurs, des apprêteurs de draps chez Rensonnet à Dison en 1885, dont une dizaine de gamins, des ouvriers dans la cour de chez Bettonville, l’actuel Musée de la Laine, en 1887, où l’on voit deux tout jeunes enfants, deux photos bien connues du 1er mai 1892, place Verte puis place du Martyr, où la forêt de drapeaux symbolise bien l’efflorescence du mouvement ouvrier sous l’égide du POB mais aussi son émiettement, et enfin, d’autres travailleurs du textile, non identifiés, et ici l’intérieur de la Carderie verviétoise face à la gare ouest actuellement en cours de restauration. Les usines ont continué à gagner tous les espaces disponibles de la vallée comme ici en Gérardchamps, les patrons affirment leur puissance jusque dans les murs de celles-ci comme ici à l’usine Hauzeur, dont le classement attend depuis cinq ans, la mode des châteaux patronaux ne faiblit pas, comme ici le château Peltzer à Séroule et ici le château Zurstrassen à Heusy. Face au patronat, très peu de travailleurs sont alors syndiqués, deux à trois % seulement à Verviers en 1890, soit 4 à 5 fois moins que dans le reste du pays, et si la loi interdisant les coalitions a été supprimée en 1866, par contre depuis 1892 l’article 310 du code pénal réprime très sévèrement toute atteinte à la liberté du travail si bien qu’en cas de conflit social, le 310 rend en fait extrêmement difficile l’exercice du droit de grève, et légalement impossible tout piquet de grève par exemple. C’est pourtant suite à une grève, mais générale et nationale, que les travailleurs obtiennent le droit de vote en 1893 et l’année suivante verra, outre un éphémère mouvement démocrate-chrétien dynamique mais vite déconsidéré alors, deux grands évènements à Verviers. D’abord, en mars, l’inauguration d’une maison du Peuple qui est un véritable symbole de la force du POB local, puis en octobre, les élections législatives. Fluche, qui a alors 50 ans, a refusé de conduire la liste car il ne croit pas au parlementarisme sous le régime du vote plural, mais 4 socialistes sont élus députés à Verviers: deux tisserands (Jean Malempré et Jean Dauvister), un ancien tisserand boycotté par le patronat (Adolphe Gierkens) et un ouvrier agricole (Thomas Niezette). Malempré, que voici, sera le plus actif à la Chambre, notamment en dénonçant des abus patronaux en matière de calcul du salaire des ouvriers payés aux pièces, comme dans ce rapport qui deviendra célèbre grâce à au Gantois Edouard Anseele. Sur le plan syndical, la grève de 93 et la victoire électoral de 94 donnent des ailes aux organisations, qui déclenchent en 93 puis en 95, avec succès, plusieurs grèves de tisserands touchant chaque fois des centaines de travailleurs et au début de 96 on compte cinq fédérations interentreprises dans les différents métiers du textile et quatre autres en dehors de ce secteur dont une forte Fédération de métallos. Mais tout cela ne va être qu’un feu de paille car les organisations du textile vont être balayées à l’été 96 après l’échec total d’une très longue grève de résistance contre le tissage à deux métiers, nouvelle forme de mécanisation pour accroître la productivité et déqualifier le travail, et la Fédération des métallos va quasi disparaître elle aussi deux ans plus tard, à l’été ’98, après l’échec d’une très longue grève chez Houget pour tenter de s’opposer à une réduction de salaire. Si on ajoute que les socialistes perdent leurs 4 députés en mai ’98, après avoir fait campagne pour la journée des huit heures sous la conduite de De Brouckère qui mène la liste, et cela suite à une alliance entre libéraux et catholiques, l’année ’98 est donc plutôt décevante même si elle avait bien commencé avec la création en avril 98 au congrès du POB à Verviers de la Commission syndicale, ancêtre de la FGTB nationale. Quelques images maintenant des travailleurs verviétois en 1900 exactement : des ouvriers du lavoir de l’usine « la Vesdre » en Renoupré, des travailleurs du peignage dans la même usine, encore des travailleurs du peigné mais chez Peltzer, un intérieur ouvrier peint par le Verviétois Georges Lebrun, un déménagement un jour de 1er mai (tradition locale) dessiné toujours vers 1900 par Placide Colsoul, enfin deux ouvriers affalés devant les grilles de l’Harmonie peints par Maurice Pirenne, l’endroit étant alors un des bastions de la riche bourgeoisie locale. Nous voici donc arrivés aux premières années du XXe siècle qui seront capitales, elles, pour une relance décisive du mouvement syndical à Verviers, qui était complètement désorganisé suite aux échecs que j’ai expliqués, ce qui avait d’ailleurs justifié le choix de Verviers pour la création de la Commission syndicale en ’98. Le renouveau syndical sera identifié à un homme, le disonais Jean Roggeman, que l’on voit ici à un Congrès en Suisse en 1907, le 2e assis par la droite au premier rang, et ici sur une médaille après sa mort en 1928 à 56 ans. Son idée-force, c’est la neutralité syndicale et son arme, c’est un journal créé en 1900, Le Tisserand, qui deviendra Le Travail en 1901. Un réveil du syndicalisme s'effectue sous son impulsion avec la création de multiples syndicats d'usines puis de nouvelles fédérations, dont les statuts contiennent le principe fondamental de la neutralité syndicale, autrement dit le refus de s'affilier au P.O.B. en tant que syndicat même si la plupart des animateurs du mouvement sont aussi militants socialistes. Et lorsqu'en mai 1902, les neufs Fédérations de syndicats d'usines fondent ensemble la Confédération syndicale de Verviers, les statuts de celle-ci interdisent même expressément toute discussion politique ou philosophique dans les réunions. |
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Mise à jour le Jeudi, 04 Juin 2009 07:38 |