Le jour où Dieu est parti en voyage
Écrit par Jean Wiertz   
Vendredi, 14 Mai 2010 21:05

 

 Un film de Philippe Van Leeuw (Belgique 2009)

Rwanda, avril 1994. Jacqueline, jeune femme Tutsi, maman de deux enfants, est employée dans une famille de blancs. Lorsque débutent les massacres par les Hutus, la famille s’enfuit, et cache la jeune femme dans le grenier de leur maison.

Terrorisée, elle entend les hurlements des victimes, les cris des bourreaux, et les bruits des pillages. Dès que les assaillants sont partis, elle part à la recherche de ses enfants, parmi les décombres et les cadavres.

Elle finit par découvrir leurs dépouilles ; alors qu’elle tente de laver leurs petits corps, elle est repérée par la population, parvient à s’échapper, et trouve refuge dans les bois et plantations environnantes.

Elle y trouve un autre Tutsi, blessé par un coup de machette. Elle va alors mettre en œuvre toutes ses connaissances héritées des traditions pour le soigner, le nourrir et le ramener peu à peu à la vie. Son compagnon reprend espoir et tente de poser les premiers gestes du bonheur. Mais pour la jeune femme, le bonheur est devenu insupportable…

Comment continuer à vivre dans un monde où tout repère a disparu, où la notion même de justice n’a plus cours ? Comment faire face à la culpabilité d’avoir survécu ?

Philippe Van Leeuw ne s’intéresse pas aux actes du génocide-les massacres sont seulement suggérés par la bande son- mais au calvaire d’une rescapée, devenue étrangère au monde qui l’entoure. Le film est une succession de regards, de gestes par lesquels deux êtres terrorisés cherchent à renaître, en faisant du feu, en partant à la chasse, en préparant le repas, et en se construisant un abri ; pratiquement pas d’échanges verbaux, la totalité des scènes dialoguées du film n’excédant pas quelques minutes.

A ces gestes universels répondent quelques images fantomatiques des villageois hostiles et des génocidaires traquant méthodiquement leurs proies. Comme pour mieux marquer la séparation des deux univers, les deux rescapés parlent le français (il s’agit ici d’une contrainte de production –le film devait être parlé français- et non bien sûr d’une marque de degré de civilisation), tandis que les bribes de conversation des bourreaux sont restitués en kinyarwanda.

Refusant toute mise en perspective politique ou sociale, le cinéaste délaisse en outre le suspens et la dramatisation, pour centrer le film sur le cheminement intérieur de son héroïne, et réalise, alors qu’il s’agit de son premier film, une œuvre exemplaire.Le film est soutenu par l’interprétation forte et poignante de Ruth Nirere (chanteuse connue au Ruanda sous le nom de Shanel et survivante du génocide, elle avait neuf ans au moment des faits), par des images tournées en scope immergeant les protagonistes dans leur milieu, et par une construction rigoureuse, dans laquelle aucun plan n’est superflu.

Le cinéaste, en s’attachant à un destin particulier, atteint l’universel, et nous renvoie au désespoir de tous ceux qui survivent à l’innommable.Philippe Van Leeuw confiait aux journalistes qu’il souhaitait maintenant consacrer un documentaire aux génocidaires rwandais. Espérons qu’il puisse mener son projet à terme, et nous communiquer son regard sur l’un des évènements les plus dramatiques de ces dernières années.

Mise à jour le Samedi, 15 Mai 2010 12:26