3D, l’éternel retour
Écrit par Albert Moxhet   
Samedi, 06 Mars 2010 11:57

Depuis le spectaculaire lancement à l’échelle mondiale du film de James Cameron Avatar, il n’est plus question que des 3D – on dit maintenant la 3D – dans les milieux du cinéma et de la TV, qui semblent y faire découvrir les derniers progrès, la dernière nouveauté.

Et pourtant, c’est une bien vieille histoire.

Donner et surtout faire percevoir l’impression du relief n’a rien de nouveau, il suffit de penser aux peintures en trompe-l’œil de l’époque baroque, par exemple celles du Frère Pozzo à Rome.

L’invention de la photographie, dans la première moitié du XIXe siècle, permit très rapidement – vers 1850 – d’approfondir les recherches sur la perception du relief avec les vues stéréosopiques : deux photographies décalées de quelques centimètres, comme les yeux de l’être humain, et visionnées simultanément dans l’appareil adéquat, le stéréoscope, recréent l’impression de relief. Ce procédé resta jusque dans la seconde moitié du XXe siècle une attraction des luna-parks forains et eut, dans les années 1950-1960, un beau succès public avec le View-master qui, au moyen d’un disque présentant sept paires de petites diapositives en couleurs, proposait un vaste éventail principalement touristique, avec même des possibilités de prises de vues personnelles.

Dans le dernier quart du XIXe, cependant, dans notre région, une personnalité spadoise étonnante, le comte Albéric du Chastel de la Howarderie, photographe remarquable autant qu’acharné, réalisa d’excellents clichés stéréosopiques dont certains, pris au château de Franchimont, servirent, un siècle plus tard, à de précieuses comparaisons dans des études de stratigraphie faites par l’Université de Liège.

Il existe aussi un autre système, l’anaglyphe, qui, par impression ou projection, restitue le relief par la superposition légèrement décalée d’images proposées respectivement en une de deux couleurs complémentaires, généralement le rouge et le vert, le tout étant observé à travers des lunettes comportant une de ces couleurs pour chaque œil. Louis Lumière s’y intéressa longuement et procéda, avant la Seconde Guerre mondiale, à des projections expérimentales en salle. En 1915 déjà, aux Etats-Unis, Edwin S. Porter, qui est entré dans l’histoire du cinéma avec The Great Train Robbery (1903), réalisa, avec son collègue William Waddell, un film en trois dimensions, Jim the Penman, apparemment resté inconnu en Europe en raison de la guerre. En recourant toujours aux lunettes bicolores puis polarisées, les chercheurs poursuivirent leurs travaux dans divers pays, l’Allemagne en 1938, les États-Unis l’année suivante, l’Angleterre en 1951, l’Italie également, tandis que, dès 1945, les Soviétiques exploitèrent, avec un long métrage jamais exporté, Robinson Crusoë, un procédé collectif, le système Ivanow, ou Stéréokino, utilisant une trame fixe devant l’écran, tandis que les Français expérimentaient notamment une grille rotative. Il n’en restait pas moins que, dans un cas, on trouvait les lunettes gênantes et assombrissant l’image, tandis que, dans l’autre, le relief n’était perceptible que sous un angle limité réclamant du spectateur une immobilité presque totale.

 Vint alors, à partir de 1947, la concurrence de la télévision qui, risquant de vider les salles, suscita l’effervescence des grands studios hollywoodiens. Ils réagirent de deux manières : d’une part, en investissant dans les chaînes de TV et, par ailleurs, en recourant à une panoplie de « techniques nouvelles ». Celles-ci se canalisent en deux axes qu’à l’époque, on a parfois voulu confondre : le relief et l’image panoramique. On sait que c’est finalement celle-ci qui s’imposa avec le CinemaScope (La Tunique, 1953), lancé par la Twentieth Century Fox au terme d’une guerre des formats qui vaudrait, elle aussi, d’être racontée, car elle influence aujourd’hui encore notre perception de l’image télévisuelle. Il n’empêche que c’est d’abord avec le cinéma en relief que les « majors » d’Hollywood essayèrent de contrer la télévision qui envahissait les foyers. Plusieurs systèmes coexistent : 3D, Natural Vision, Paravision, Metroscopix, …, qui utilisent soit une caméra à deux objectifs et deux pellicules, soit deux caméras jumelées, de toute façon un matériel lourd et encombrant, assez difficile d’emploi pour les techniciens comme pour les acteurs. La projection en salle réclame évidemment les deux projecteurs de la cabine, ce qui oblige de ménager des arrêts (sans publicité !) en cours de projection pour changer de bobine. La Warner obtient un certain succès avec House of Wax (L’Homme au masque de cire) (1953), d’André De Toth, remake d’un noir et blanc réalisé vingt ans plus tôt par Michael Curtiz et inspiré du Fantôme de la rue Morgue d’Edgar Poe. United Artists, avec Bwana Devil, d’Arch Oboler, fait sauter un lion presque sur les genoux des spectateurs, à Verviers, ce sera au Marivaux, rue du Collège. Les producteurs de ce film ont fait la bonne affaire, non seulement leur film marche bien, mais aussi ils se sont assuré le monopole de la vente des lunettes. Chez Paramount, Edward Ludwig signait Sangaree en … Paravision.

Dans la salle du Palace, rue Jardon, les spectateurs – et plus encore les spectatrices – hurlent lorsqu’un Indien tire une flèche dans la salle ou qu’un canon du Fort Ticonderoga crache en gros plan un boulet et une gerbe de flammes. C’est dans Fort Ti, un épisode des guerres franco-anglaises au Canada mis en scène par William Castle. À la sortie de la salle, les spectateurs rendent leurs lunettes polarisantes aux ouvreuses, pour nettoyage et désinfection avant la séance suivante. Si Jack Arnold réalise encore en 1954 un film en 3D, L’Étrange créature du Lac Noir, que la RTBF diffusa il y a quelques années avec des lunettes bicolores pour les téléspectateurs, c’est 1953 qui est vraiment l’année des tournages de films en relief, mais, en fin de compte, on ne les vit pas tous en trois dimensions, parce que venus trop tard ans la course. C’est ainsi que Le crime était presque parfait (Dial M for Murder), un angoissant suspense d’Alfred Hitchcock, avec Grace Kelly, ne fut, en Europe en tout cas, jamais projeté en relief, et Hondo, l’homme du désert, un intéressant western de John Farrow, produit et interprété par John Wayne, ne fut projeté qu’une semaine en 3D aux Etats-Unis, avant d’entamer la carrière d’un film « ordinaire ».


Il est donc assez plaisant de voir qu’en 2010, on mise à nouveau sur la 3e dimension, avec des lunettes présentées comme le dernier cri de la technique, pour raviver la ferveur du public en salle et qu’on va ressortir d’anciens films « reliftés » pour le relief, ce que, dans les années 1960, un opticien liégeois avait tenté pour le cinéma d’amateur avec une lentille additionnelle bipolarisante dénommée « Spacial ». Et, plus cocasse encore, les chaînes de TV et les constructeurs d’écrans plats annoncent aussi, parfois pour très bientôt, la 3D pour le petit écran, puisque les films diffusés sont, de nos jours, souvent coproduits  par la télévision. Et puis, même si elles n’ont pas fondamentalement changé, les lunettes vous apportent aujourd’hui un tel confort de vision !                

 

Mise à jour le Samedi, 06 Mars 2010 12:10