DVD : L’Evangile selon Saint Matthieu
Écrit par Jean Wiertz   
Mardi, 24 Mars 2009 21:39
 

Un film de Pier Paolo Pasolini (Italie 1964). Ce film, dont Robert Guédiguian dit qu’il est l’un des plus beaux films du monde, est disponible dans une splendide édition DVD.

A l’occasion du projet de Jean-Marie Gaspar de rejoindre Jérusalem à pied, il est peut-être intéressant de revenir sur ce film consacré à Jésus Christ. 

Pasolini distingue, dans l’histoire humaine, deux types de civilisations : l’une, qu’il appelle la «Civilisation du pain » émane des sociétés où la principale préoccupation de l’homme est de subvenir à ses besoins primaires : s’alimenter, se soigner, procréer ; très sensible aux aléas du quotidien, ce type de civilisation crée le sens du sacré.L’autre émane des sociétés marchandes, et conduit à une marchandisation de tout ce qui existe, y compris de l’être humain, le réduisant dans le meilleur des cas à un consommateur, dans le pire des cas à un objet de plaisir (ce thème est abordé de manière frontale dans son terrifiant film « Salo ou les 120 jours de Sodome).

 

Originaire du Frioul, Pasolini s’établit à Rome à partir de 1950. Rome, où justement coexistent les vestiges de la sacralité de l’existence, et de son anéantissement (sanctuaires primitifs et Colisée par exemple) ; Rome, où il se lie rapidement avec les « ragazzis », habitants des banlieues pauvres d’après-guerre. La ville va donc donner corps aux intuitions du cinéaste, qui va concevoir un film sur la vie de Jésus, son message, et les circonstances (bien humaines) qui vont le conduire au supplice de la croix. Le film est dédié au pape Jean XXIV, dont les préoccupations étaient proches de la réalité quotidienne.

« L’Evangile selon Saint Matthieu » retranscrit scrupuleusement le magnifique texte de Saint Matthieu, et s’articule autour d’une progression dramatique, qu’on est étonné de redécouvrir le long du film : le cœur du message de Jésus est constitué par le sermon sur la montagne (que le cinéaste étend sur plusieurs jours/semaines. Ensuite, Jésus est confronté à la réalité humaine : le mépris des pharisiens et des docteurs de la loi, leur mauvaise foi, l’indifférence des gens de Nazareth, et surtout l’exécution de son ami, Jean le Baptiste, où on le voit pleurer. Il décide alors de monter à Jérusalem, où il entre en conflit ouvert avec les marchands du temple, et les autorités religieuses.

L’humanité, celle des couches populaires, est véritablement au cœur de ce film ; tous les acteurs sont des non professionnels, et Pasolini leur avait demandé non pas de jouer, mais d’être ce qu’ils sont. Les visages sont longuement filmés en gros plan, comme si le cinéaste scrutait en chacun cette parcelle d’enfant de Dieu que Jésus voulait découvrir en tout homme.Jésus lui-même y est présenté comme une personnalité extrêmement mobilisée, souvent en marche. Le langage qu’il tient à ceux qui l’abordent est celui de la miséricorde et de l’amour ; mais ses paroles se transforment en violentes diatribes, lorsqu’il s’adresse aux groupes de dignitaires religieux, plus proches de la doctrine que des réalités de la vie. Les versets du chapitre 23, jamais retenus dans les textes de la liturgie, sont repris dans leur intégralité.

Ce film, près de cinquante après sa sortie en salle, n’a pas pris une ride. Tout d’abord, Pasolini a rejeté toute reconstitution historique, à la manière des péplums, qui aurait inscrit le film dans la perception que les années 60 avaient de la culture en Palestine à l’époque de l’occupation romaine. Le cinéaste a choisi de tourner son film au Basilicate, une région pauvre du sud de l’Italie, qui était à l’époque quasi coupée de monde ; il  a utilisé le plus souvent possible le bâti et les objets quotidiens de la population locale, en privilégiant les éléments communs à toutes les populations primitives.

L’absence totale d’emphase, la simplicité des trucages accompagnant les miracles de Jésus et les apparitions surnaturelles, la photographie en noir et blanc, et la rudesse du montage final (il a par exemple conservé certaines erreurs de cadrage ou de mise au point) confèrent à ce film une espèce d’archaïsme, qui lui donne son caractère intemporel.L’universalité du message de Jésus est également rendue par des accompagnements musicaux puisant dans toutes les musiques du monde : Bach, Prokofiev, gospel américain, chœurs africains, et même chants révolutionnaires russes.

Ce film est disponible en édition DVD.

Mise à jour le Vendredi, 27 Mars 2009 20:35