Le gamin au Vélo
Écrit par Jean Wiertz   
Dimanche, 22 Mai 2011 13:23
 

Un film de Luc et Jean-Pierre Dardenne (Belgique 2011)

Les dernières images du précédent film des frères Dardenne (Le Silence de Lorna) nous montraient une jeune femme, entraînée dans une arnaque qui l’avait dépassée, renoncer à son projet de vie et à son ami pour prendre soin d’un enfant rêvé. Cet enfant rêvé pourrait être Cyril (Thomas Doret), un garçon d’une dizaine d’années, envoyé dans une institution, parce que son père ne veut pas s’en occuper. Surnommé « Pitbull », ce garçon est une boule de rage qui veut coûte que coûte retrouver son père et récupérer son vélo. 

Il s’enfuit du home pour se rendre à l’appartement de son père, mais ce dernier a déménagé sans lui laisser d’adresse. Lorsque les éducateurs le retrouvent, Cyril s’agrippe à une jeune femme, Samantha (Cécile de France), puis est ramené au home. Bouleversée par le geste de Cyril, Samantha achète un vélo d’occasion et se rend à l’institution… 

Les frères Dardenne ont la réputation de faire du cinéma social, sombre et déprimant. Pourtant, rien n’est plus faux ! Il s’agit au contraire d’un cinéma très optimiste, un constant acte de foi dans les possibilités de l’être humain. Leurs personnages, pris dans la tourmente de la crise économique ou de la perte des repères moraux, agissent d’abord par instinct, question de survivre, puis découvrent peu à peu leur part d’humanité. Les histoires que nous content les frères Dardenne ne sont pas organisées selon une mécanique des passions ou d’un objectif à atteindre.

C’est le chaos de la vie, le choc imprévisible des évènements qui organise l’éveil d’une conscience.L’économie des moyens, la proximité des corps, la vitalité de leurs personnages font merveille dans leur cinéma.

 Et l’interprétation ? Robert Bresson, l’un des réalisateurs qui a le plus réfléchi a l’essence du cinéma, opposait les « acteurs » (qui jouent un rôle) aux « modèles » (qui sont le rôle), comme on oppose le paraître et l’être. Les idées de Bresson trouvent une résolution éclatante dans le jeu des interprètes dans les films des frères. La nature de leurs personnages nous est révélée à travers le spontané de leurs gestes, l’irréfléchi de leurs réactions. Ainsi, le jeune Thomas Doret « est » Cyril, son visage, ses mimiques, sa gestuelle sont le reflet de son âme. Et que dire alors de Cécile de France, une actrice professionnelle, plus habituée donc à « jouer » ! Elle a su s’adapter merveilleusement aux attentes des frères, pour composer l’une des plus belles Piéta qu’on ait pu voir au cinéma.

 Les frères ont aussi introduit un peu de musique dans leur film. Heureusement qu’elle ne sert qu’à marquer le passage d’un épisode à l’autre. Quel intérêt y a-t-il en effet à ce qu’une musique vienne surdramatiser des séquences très fortes, qui ont valeur de métaphore ? Celle par exemple où on voit Cyril se griffer le visage de rage et Samantha le serrer contre ses genoux, ou encore le long travelling du garçon en vélo, quittant le domicile de son père pour rejoindre celui de Samantha. Belle idée par contre, que de développer l’extrait du concerto pour piano de Beethoven pendant le générique de fin, prolongement musical de l’apaisement de Cyril et de l’amour de Samantha. 

Il me semble qu’il faut remonter à « L’Enfance Nue » de Maurice Pialat pour retrouver une évocation aussi forte de l’enfance placée.

Mais au-delà de cette évocation, le personnage de Samantha, force bienfaisante inondant le monde, nous renvoie à cette citation que Sean Penn prêtait à son héros dans « Into the Wild » : « Admettre que la vie humaine est gouvernée par la raison, c’est détruire toute possibilité de vie ».

Si vous pensez que le rôle du cinéma est de nous aider à grandir en humanité, courrez voir ce film, en voiture, en bus, en vélo ou à pied !

 

 


 

 

 

Mise à jour le Mardi, 24 Mai 2011 18:07