« Le Discours d’un Roi » La voix royale franchit le mur du son……
Écrit par Sophie Gardier   
Mardi, 22 Mars 2011 20:59
Hier soir, je découvrais en DVD « Slumdog Millionnaire », primé en 2009 par l’oscar du meilleur film.
Son rythme trépidant, ses raccourcis saisissants donnaient à voir une Inde entre Bollywood et les bidonvilles de Bombay.
Sans trêve ni repos, le réalisateur Danny Boyle m’en a mis plein les yeux et les oreilles, maniant les excès de toutes sortes avec une étourdissante virtuosité qui m’a fait souvent songer au « Roméo + Juliette » de Baz Lurhmann..

Deux ans plus tard, Hollywood offre sa couronne à « The King’s speech », film aux antipodes des deux premiers.
Loin des chatoiements de l’Inde, le cinéaste Tom Hooper donne à voir une subtile aquarelle réaliste des années 30, nimbée de smog londonien.
Deux heures durant, il nous fait vivre la relation éprouvante autant qu’émouvante entre un bègue et son thérapeute.
Une histoire simple, authentique, pudique et sensible : celle d’un futur roi malgré lui qui n’en finit pas de trébucher sur les mots dans cette longue marche vers le trône paternel.
Deux heures de film sans romance ni suspense, le tout gainé d’uniformes et costumes trois pièces : il y avait de quoi s’interroger quant à la viabilité du projet !

Et c’est vrai que j’ai eu un peu peur au début lorsque Colin Firth, méconnaissable, commença son premier discours public devant une assemblée bientôt médusée par son débit exaspérant.
Heureusement, dans la peau d’Albert, Duc d’York, futur roi Georges VI d’Angleterre, Firth est parfait.
Rien à voir avec ses rôles de séducteur romantique : exit le Valmont de Milos Forman et l’inoubliable Mr Darcy d’ « Orgueil et préjugés » (version BBC) repris dans «  Le Journal de Bridget Jones » !
L’acteur démontre ici l’étendue de son immense talent magnifié par une caméra souvent très proche, lisant sur ses lèvres la détresse d’un homme emmuré par sa trop « bonne éducation ».

A ses côtés, Helena Bonham Carter (la Reine Rouge d’« Alice aux pays de merveilles » version Tim Burton) campe une « Queen Mum » encore jeune et délicieusement pincée, maniant l’humour british sans avoir l’air d’y toucher.

Un des grands attraits du film est sans aucun doute le thérapeute Lionel Logue, magistralement incarné par Geoffrey Rush.
Déjà multi-oscarisé pour ses rôles dans « Shine » et « Shakespeare in Love », entre autres, cet acteur australien est sans doute beaucoup plus célèbre pour ses apparitions dans « Pirates des Caraïbes »…
Ici, il crève l’écran de sa haute stature, la voix sonore et le regard pénétrant.
Son jeu est désarmant de naturel, donnant à voir un homme sans détour, mû par le seul désir de partager son expérience, son humanité.

Entre cet acteur devenu thérapeute et son bègue futur roi se tisse une relation particulière qui touche au cœur, sans effusion ni tremolos.
Le miracle du film tient dans cet équilibre subtil entre le réalisme des corps et des dialogues, et la symbolique omniprésente fondue dans le décor et la mise en scène.

Carrément surréaliste cette séquence où la limousine royale glisse dans le brouillard épais tandis qu’un valet la précède à pied, cherchant la maison du « Dr » Logue !
On ne peut que s’interroger sur la nature de l’étrange cabinet de consultation de ce monsieur : un camaïeu de couleurs sur les murs évoque les couches successives de peinture arrachées comme autant de masques au fil des séances.
Pour rencontrer son thérapeute insolite, le noble client se voit contraint de prendre un ascenseur minuscule où il se retrouve collé à sa royale épouse, surprise par cette intimité incongrue.
Mieux : au lieu de monter chercher les lumières de son guérisseur, il se voit descendre dans une sorte d’entresol lumineux.
En images, le réalisateur Tom Hooper brouille les cartes, inverse les codes et met sans dessus dessous le flegme souverain de son personnage principal.

Vous ne trouverez ici ni guérison miraculeuse, ni happy end mélodramatique, ni discours pontifiants.
Chacun garde son rang, sa nature profonde et sa réserve, mais les regards en disent long sur la profondeur de cette amitié « historique » entre un « roturier » et son roi.

Cette retenue toute britannique donne à chaque geste une densité particulière, une qualité d’émotion unique.

Surtout, la musique tient ici une place de choix.
Véritable outil d’arthérapie avant la lettre, elle offre un espace de création magnifique jusqu’à l’apothéose de la scène finale (les neuf minutes du discours annoncé) qui m’a bouleversée.
Beethoven y vole la vedette à la musique originale d’Alexandre Desplat.

Que dire encore si ce n’est que le doublage français est à proscrire tant les voix de Colin Firth et Geoffrey Rush en imposent par leurs timbres profonds et leurs rythmiques particulières!
C’est assez rare pour être signalé : le film est programmé en version originale à Verviers.
Il est donc plus que temps de courir le voir.

Marshall Rosenberg a titré l’un de ses livres de communication non violente : « Les mots sont des fenêtres (ou des murs) »
Pour certains, parler est aussi difficile que franchir le mur du son…

J’entends Nougaro chanter :
« Ma voix vous montre la voie, la voie lactée, la voie clarté où les pas ne pèsent pas. Dansez sur moi ! »
Et je revois Colin Firth danser en déclamant ses discours, tentant d’apprivoiser le rythme de ces mots qui se bousculent dans sa tête.

J’ai aussi beaucoup pensé à la guerre, à ces Londoniens sans cesse bombardés nourrissant leur espérance en écoutant Churchill à la radio, à ces résistants français suspendus au phrasé solennel de Charles de Gaulle.
Le poids des mots prend tout son sens dans « The King’s Speech » qui évoque la guerre avec sobriété et nous rappelle une histoire récente que nous avons tendance à oublier.


En résumé, un film atypique, sobre et émouvant, d’une grande beauté visuelle: la quintessence du cinéma anglais intemporel, avec un Colin Firth au sommet de son art.
A voir et revoir, pour donner du courage et de la joie à toute la famille.

Sophie Gardier
Premier jour du printemps 2011
Jour des Jonquilles au Japon


Mise à jour le Mardi, 22 Mars 2011 21:08