D’autres articles, accompagnés de photos pourraient suivre nous dit-il. Nous en serions ravis ! Notre site lui est grand ouvert.
Histoire d’une passion
Je pensais qu’il était simple de partager sa passion. En y réfléchissant c’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y parait. Je ne sais par où commencer tant ma tête est pleine d’anecdotes, d’histoires, et d’images accumulées au fil du temps.
L’histoire de la moto belge et particulièrement de la moto liégeoise est fabuleuse, exceptionnelle. Honnêtement, je pense qu’elle aurait dû figurer dans nos manuels scolaires. Quelle belle aventure humaine, technologique et sportive.
Peu de gens savent que des marques de motos telles que Saroléa, Gillet et FN étaient construites à Herstal, que leur succès et leur réputation étaient de renommée mondiale.
Ainsi, dans les années 1920 une équipe de course japonaise chevauchait des Saroléa.
L’armée allemande envoyait dans la campagne de Russie nos FN side-car bien plus performantes que leurs BMW . Et en 1927 une Gillet attelée ralliait le Congo belge en traversant le désert du Sahara. Presque tout le monde a oublié mais pourtant les faits sont là.
Petit, je lisais dans Spirou « Les histoires vraies de l’oncle Paul ». Et ces histoires m’impressionnaient parce qu’elles étaient vraies.
Comme toutes les belles histoires, elles commençaient par « il était une fois ». La mienne commence aussi par… il était une fois, il y a longtemps à l’époque ou la télévision ne diffusait qu’un seul programme en noir et blanc. Papa , le soir, expliquait par faits et par gestes que de temps en temps, gamin il conduisait la moto de son papa dans les rues d’Aywaille accompagné de son ami Carlo fils du célèbre garage Grégoire. Robert, frère de Carlo était pilote pour l’usine Saroléa et Papa de raconter que lorsque Robert essayait sa moto tous les gamins du village allaient le voir passer à toute vitesse entre Remouchamps et Aywaille dans la courbe de Dieupart dans un bruit et une poussière épouvantable. Nous sommes aux alentours de 1930.
Ma passion vient-elle de là ? Peut-être, sûrement, je ne sais pas trop. Toujours est-il que dorment dans un coin de mon garage une Saroléa une FN et une Gillet prêtes à vrombir à tout instant.
Dans un premier temps lorsque je recherchais et surtout, que par bonheur et hasard je trouvais quelque chose, je prenais absolument tout ce qui aurait pu être une moto quelque soit son état mais d’origine liégeoise.
C’est ainsi qu’avec le temps j’ai appris à les reconnaître, à les remettre dans leur contexte et à m’apercevoir que leurs histoires sont directement liées à la vie sociale de l’homme et à la société qui l’entoure.
Ainsi rien que par leur aspect il est facile de restituer avec précision leur époque. Par exemple, les motos de petites cylindrées qui servaient aux ouvriers de l’immédiat après guerre contrastent avec les gros cubes sophistiqués et remplis de chromes d’avant guerre. Les heures de gloire de la moto liégeoise se situent dans les années 30 hormis le moto-cross. Le déclin s’est amorcé avec la guerre. Le surplus militaire de nos alliés n’a pas aidé au redémarrage de l’industrie. Nos trois usines tirent leur révérence au début des années 60, alors qu’en 1959 les Japonais débarquent sur le continent avec un nouveau concept : la moto loisir. Nous ne réécrirons pas l’histoire.
En 1967 ici à Verviers à lieu le premier rallye international pour motos historiques datant d’avant 1930. J’y suis avec une Saroléa prêtée par un ami.
Dans mes recherches, la chance me sourit, je parviens à en retrouver plusieurs de grosses cylindrées. Après restauration, elles retrouvent une seconde jeunesse.
Très vite une section « Racing » voit le jour. Je me pique au jeu et je me retrouve sur circuit entouré de magnifiques engins « sport, » « super sport, » et même quelques belles machines de course en provenance de l’Europe entière. Pourquoi ne pas essayer de retrouver une authentique machine de course. ?
Attention, l’histoire de la moto rejoint ici l’histoire de ma famille. Un certain Robert Gregoire devient champion de Belgique en 1930 sur Sarolea. Je suis en train de chercher une moto dont mon papa m’a parlé dans sa jeunesse à Aywaille. Le monde est petit. Seule, une cinquantaine de version course sont sorties de l’usine.
Elles se sont illustrées partout dans le monde avec succès en circuits en courses de côtes (record du Mont Ventoux pendant 10ans) et plusieurs records du monde. A partir de 1933 la version course s’appelle dorénavant « monotube » (qui veut dire un seul tube d’échappement.) A l’étranger, elle porte le nom de Grégoire.
En 1976, Willy un ami collectionneur me téléphone pour m’annoncer qu’il m’a déniché une « monotube » mais que pour la sortir de là il me faudra casser ma tirelire. A 28ans, marié et père de 3 enfants, les économies ne vont en général pas vers la passion, d’autant que ce n’était pas ma première acquisition. Mais bon, pas trop le temps de réfléchir je fonce dans l’aventure je conclus l’affaire devant une épave rouillée, incomplète, cabossée mais restaurable.
C’est là à ce moment qu’un petit miracle se produit « Willy me dit, tu m’as fait confiance je t’offre une grande partie du service course, sauvé de la faillite de l’usine. Vient dans quelques jours avec un petit camion le temps de réunir toutes les pièces. » En quittant mon ami Willy, je lui promets de restaurer la Saro dans sa version usine puisque je suis en possession de toutes les pièces d’origine. Petite anecdote, parmi les nombreuses pièces, se trouve un petit coffre en bois noir rempli, qui porté par le mécanicien accompagnait le pilote sur la piste au moment du départ. Ce coffre, à l’heure d’aujourd’hui est toujours sur une étagère dans un coin de l’atelier. Un morceau d’histoire à lui tout seul.
Nous sommes au mois de septembre, je me suis juré d’envoyer une photo du moteur restauré avant Noël à mon ami Willy. Sans trop tarder je me mets au travail. Dans la version « double arbre à cames en tête »chaque pièce est à elle seule une œuvre d’art, merveille d’esthétique et de technologie. N’oublions pas que l’ensemble date milieu des années 30 Je ne dispose d’aucun plan pour reconstruire ce moteur.
Ce’ n’est que 20 ans plus tard que par le plus grand des hasards lors d’une collecte de vieux papiers toutes les archives de chez Gillet et de chez Saroléa ne sortent de l’arrière boutique d’une vieille librairie de Liège.
Miracle et bonheur pour faire revivre ces marques liégeoises oubliées.
En examinant mes pièces une chose me surprend, outre des arbres à cames commandés par renvoi d’angles un est monté avec un pignon chaîne. Etrange car ce montage n’a jamais existé. Bizarre car il fait bien partie du lot du service course. Après bien des calculs, des essais, des mesures en tout sens je m’aperçois que tout s’adapte sur le moteur monotube. Ce qui semble vouloir dire que la version originale a bel et bien été montée sur la base de l’ancienne version course. C’est cette version que j’ai reconstruite sans modifier la moindre chose car chaque pièce retrouvait sa position originale.
Pari tenu, à Noël j’envoie une photo du moteur restauré dans la version usine le bloc moteur en lui-même est une véritable œuvre d’art. Merci les artisans Liégeois.
Je ne suis pas au bout de mes surprises car un moteur aussi imposant doit encore pouvoir prendre place dans le cadre existant. En le présentant, je m’aperçois que c’est une question de millimètre mais il rentre dans le cadre. Impossible en théorie et en posant le vieux réservoir à essence tout cabossé, force est de constater qu’il tombe en place. Le carter d’arbre à cames se loge dans une découpe prévue dans le réservoir. Je m’assois pour reprendre mes esprits. Tout porte à croire que ma moto n’est pas une monotube compétition client mais une des quatre motos d’usine « double arbre » fabriquées à Herstal. 20 ans après sa restauration, la nouvelle est confirmée par les archives.
Voilà donc la moto prête pour sa première sortie. Elle a lieu à Zolder.
Sur place énormément de personnes viennent admirer ce monstre, prêt à s’élancer sur la piste. Un monsieur d’un âge respectable accompagné, de son fils, s’arrête et se met aussitôt à pleurer d’émotion. Il avait travaillé chez Saroléa et reconnaissait la moto. Après bien des partages de souvenirs, il me dit qu’une petite erreur de restauration mériterait d’être corrigée. La ligne bleue de réservoir n’est pas tout à fait conforme à l’originale. Je m’empresse de corriger ce détail.
Pour conclure cet article, je vous livre une dernière anecdote.
A Misano, en Italie, en m’inscrivant pour une rencontre de motos de course, je reçois le disque numéro 1. A mes cotés sur la grille de départ, un certain Agostini sur son Mv, Bill Lomas sur la Guzzi V8 et Taveri sur sa petite Honda 5 cylindres. Ne me demandez pas dans quel état je suis. Conclusion : Nul n’est prophète en son pays,et c’est dommage. La moto liégeoise est un patrimoine vivant, bruyant et fumant à ne jamais oublier. Qu’on se le dise.
Merci Michel pour ce merveilleux récit, nous en espérons d'autres.
A noter que toute personne intéressée pour voir sa collection ou possédant des documents ou pièces peut le contacter :