Grus grus...
Écrit par Jean-Marie poncelet   
Mercredi, 19 Octobre 2011 17:52

 Sous cette appellation latine se cache un oiseau que bon nombre d'entre-nous ont déjà vu sinon entendu... la Grue cendrée. Chaque année, ces grands voiliers survolent généralement notre région aux environs du mois d'octobre.

Elles voyagent souvent la nuit en criant et c'est en formation V ou W que, généralement, nous les voyons dans le ciel. C'est à cette période qu'elles font leur migration post-nuptiale, elles descendent, par dizaine de milliers, de Finlande et de Suède pour atteindre le Sud de l'Europe.

En fonction des conditions climatiques, un nombre très variable de Grues cendrées prendra ses quartiers d'hiver en Allemagne, en France, un nombre plus important stationnera en Espagne, mais pour la grosse majorité, ce sera l'Afrique du Nord.

Pour certaines d'entres-elles, dès la fin du mois de janvier, elles feront le chemin inverse pour retrouver leur zone de nidification qui s'étend du Nord de l'Allemagne à la Finlande. Les autres attendront encore un peu, mais la migration pré-nuptiale devra se faire dans les temps, car il faut être sur les lieux de reproduction pour le printemps (Christain Dessart vous a déjà parlé de la migration de la Grue cendrée dans sa chronique du 20/11/2010).

 

Vouloir programmer une sortie pour voir les Grues cendrées, chez nous, est quasi impossible tant les facteurs qui influencent leurs passages sont nombreux. En fonction de la vitesse et de l'orientation du vent, et, sachant qu'une Grue cendrée peut voler à des vitesses comprises entre 40 et 70 km/h, vous comprendrez aisément que ce n'est pas gagné d'avance: un si petit territoire que le nôtre est vite survolé et dépassé.

J'ai déjà eu l'occasion de voir et de photographier ces grands oiseaux à plusieurs endroits de notre province: Huy, Liège, Battice, Verviers, Harzé, Eupen, etc., mais toujours en vol. Lorsque les conditions de visibilité sont mauvaises, les oiseaux sont souvent obligés de se poser. Si l'atterrissage a lieu en fin de journée et que l'endroit permet aux oiseaux de se nourrir, ils peuvent y rester pour la nuit.

Alors, avec un peu de chance, quand on est informé de cet endroit et en y allant très tôt le lendemain matin, on pourrait avoir une bonne surprise en les retrouvant sur les lieux avant leur départ. Personnellement, cela ne m'est jamais arrivé. Alors pour palier à ce manque, toutes les années au moment de la Toussaint, nous faisons une petite escapade familiale en Champagne, plus précisément au lac du Der Chantecocq, je vous propose de nous accompagner.


Pourquoi là?

Le lac du Der Chantecocq est le plus grand lac artificiel de France avec ses 4800 ha. Il a été créé, en 1974, pour réguler le cours de la Marne, principal affluent de la Seine, et ainsi pour protéger Paris des inondations. Pour ce faire, le lac est vidé en grande partie de juillet à novembre.

Au fur et à mesure de la baisse du niveau, l'eau laisse place à des vasières et, quelques semaines après le début de "la vidange", les premiers ilots apparaissent, une aubaine pour certains oiseaux qui pourront passer la nuit en toute quiétude à l'abri des prédateurs, tels les renards qui n'aiment pas se mouiller les pattes et encore moins nager. Quelques années après la construction du lac, les premières Grues cendrées s'y sont arrêtées. Il faut dire que cet endroit se trouve sur une ligne migratoire et que les champs de maïs aux alentours leur fournissent la nourriture nécessaire.

De plus, des accords ont été signés entre les pouvoirs locaux, les associations de défense des oiseaux (comme la LPO) et les agriculteurs qui reçoivent une subvention européenne pour le maintien des chaumes de maïs sur leurs champs jusqu'à la mi-mars.

 

Tout a été fait pour que ces belles dames s'arrêtent et restent parfois très longtemps sur le site. Et cela fonctionne à merveille, car le nombre d'oiseaux s'y arrêtant n'a fait qu'augmenter au fil des ans. Le record d'oiseaux stationnant sur le lac a été battu le 14 novembre 2010 avec pas moins de 74500 Grues cendrées comptées au dortoir. Vous comprendrez aisément que pour un ornithologue et photographe l'endroit soit magique.

 

En route...

Situé à une centaine de kilomètres de Reims il nous faut trois bonnes heures pour atteindre l'endroit. Comme nous sommes des habitués des lieux, nous savons que, sur les cinquante derniers kilomètres, il s'agit d'être vigilants, car dans les champs bordant les routes ont pourrait déjà apercevoir les premières Grues cendrées cherchant de la nourriture. Mais il n'est pas toujours possible de s'arrêter et, souvent à cette période, les oiseaux sont loin, car craintifs, ils ne sont pas encore habitués aux voitures, ni aux hommes.

Cette année, nous n'en avons vu que quelques-unes avant d'arriver au lac, cela me tracassait un peu: j'avais vu, sur Internet, la veille, qu'il y en avait plusieurs milliers, mais avec ces oiseaux, on ne sait jamais combien de temps ils vont rester sur place. A moins d'un kilomètre du lac, nous remarquons dans le ciel beaucoup d'activité, pas mal d'oiseaux en vol, mais en vol désordonné. Je me dirige directement sur la route de la Digue et là, le spectacle est déjà au rendez-vous. Des centaines, non des milliers de Grues ne se sont pas encore mises en route. Cela crie, vole dans tous les sens. Les oiseaux s'envolent, puis se reposent directement. C'est inhabituel pour nous, car d'habitude les Grues décollent du lac et s'en vont aux champs ou bien poursuivent leur migration. Je fais quelques photos d'ambiance, car la luminosité n'est pas exceptionnelle.

 

En discutant avec d'autres personnes présentent sur la digue, les Grues cendrées sont restées plus tard sur le lac à cause du brouillard très présent à l'aube. Nous resterons une petite heure sur place le temps que la plupart des oiseaux se soient envolés. Pendant ce laps de temps, je vais faire une série de photos, mais j'espère bien faire mieux plus tard.

 

La suite de la journée sera consacrée à la recherche des Grues au gagnage (des terres semées de grains). Nous circulons dans les petits chemins de traverse, entre les champs, et dès qu'un ou plusieurs oiseaux sont repérés, l'approche commence. Mètre par mètre, en coupant le moteur si le chemin descend, pour essayer de se rapprocher des oiseaux. A cette période de l'année, ils sont très farouches et leur distance de fuite est parfois supérieure à 100 mètres.

C'est trop pour faire de la belle image. Plusieurs fois sur l'après-midi, ce sera des échecs: les oiseaux s'envolent à chaque fois. Pas de découragement cependant, c'est déjà bien de les voir. On repart pour un autre endroit. A la sortie d'un tournant, un petit groupe d'oiseaux mangent tranquillement dans le champs annexe et cette fois pas trop loin, mais je suis du mauvais coté de la route. Je dépasse les volatiles qui continuent à manger calmement. Un peu plus loin, je fais demi-tour. Vont-ils cette fois me laisser approcher?

Heureusement, aucune autre voiture à l'horizon. Je me décale sur la gauche de la route et me gare en bordure du champs. Les oiseaux semblent plus agités. Je coupe immédiatement le moteur et plus personne ne bouge dans la voiture. Chez les Grues, comme chez d'autres oiseaux comme les Oies, pendant que des oiseaux mangent, d'autres surveillent: ce sont les guetteurs qui préviennent en cas de danger. La petite troupe, d'une vingtaine d'oiseaux, semble se calmer.

Les guetteurs se sont détendus. Derrière mon filet de camouflage, je peux à présent commencer à prendre quelques photos. Il faut dire que j'avais déjà préparé l'appareil avant de stationner la voiture.

Pendant plusieurs minutes, je vais photographier, filmer ces belles qui se sont habituées à notre présence. Certaines vont même se rapprocher à une trentaine de mètres.

Quand tout à coup, et sans raison apparente pour nous, tout ce petit monde s'envole.

 

 

 

 


 

Bientôt 16 heures, il est temps de retourner au lac pour un des moments forts de notre séjour... la rentrée au dortoir. Nous choisissons Sainte-Marie-du-lac-Nuisement, car cet endroit est un des plus intéressants pour le retour des Grues, d'après les gens du coin.

Nous sommes sur la digue, emmitouflés dans nos vêtements d'hiver, le vent souffle, il ne fait pas chaud. L'année précédente, c'était pire: il pleuvait. Soudain, au loin, on entend les premiers " krooh krooh", ce cri perçant et nasillard propre à la Grue cendrée. Les voici!

On peut apercevoir les premières formations.

Jusqu'au bord du lac, les Grues cendrées sont très disciplinées, car elles arrivent toujours en formation V ou W, mais une fois au-dessus, les atterrissages se déroulent de manière plus anarchiques, toutefois les accidents ou les incidents sont rares.

Il en arrive de partout: à notre gauche, au-dessus de nous, sur notre droite. Le spectacle est grandiose, ces moments sont tellement magiques que j'en oublierai presque de prendre des photos. Pendant plus de deux heures, elles vont rentrer... par milliers.

Ce 01 novembre 2010, elles seront près de 40000 à passer la nuit sur le lac. Il commence a faire noir, la nuit tombe vite à cette époque. On les distingue encore atterrir, mais quelques minutes plus tard, on ne les voit plus, cependant on continue à les entendre.

C'est beau, c'est magique. Il est temps pour nous de rentrer, contents de notre journée, fatigués, mais heureux de ces beaux moments.

Demain, après une bonne nuit bien méritée, nous serons vers 6h30, au bord du lac, pour assister au départ de ces oiseaux, mais cela, c'est une autre histoire...

 les Grues au lever du jour

 

Bonnes observations, bonnes balades et ouvrez l'oeil

jean-marie poncelet

www.clic-nature.be

 

Mise à jour le Mercredi, 09 Novembre 2011 07:33