Journavideño
Jeudi, 08 Janvier 2009 03:07

Depuis son coin de Sierra (montagne) plus Nevada (enneigée) que jamais, Nathalya Anarkali reprend la plume pour faire part aux Vervîtwès de la façon dont on célèbre les fêtes de fin d’année en sa terre de prédilection et de résidence, la terre grenadine.

Si le cœur vous en dit, sirotez donc les plus doux moments d’un Noël andalou, distillés pour vous au fil des pages dorées de ce « journavideño », un mot-valise bilingue fait de jour(s), de journa(l) et de « navideño » (« de Noël »)…

Mercredi 17 décembre 2008

Voici venu le temps… Je vous vois déjà adopter une démarche « casimiresque » poursuivant ma phrase, en chœur et en rythme : « ♫…des rires et des chants, dans l’île aux enfants c’est tous les jours le printemps ! ♫»...

Nous ne sommes pas au printemps mais bien en hiver, et je veux parler de choses plus que banales ici en cette saison, mais qui peuvent être intéressantes pour qui me lit depuis le coin de terre que j’ai quitté. L’Espagne donc, et l’Andalousie surtout, c’est bien le pays joyeux des enfants heureux sans aucun doute, des monstres gentils parfois, oui c’est un paradis certainement quoique pas toujours sous tous rapports, car les conditions financières sont souvent assez précaires et le taux de chômage est de plus en plus élevé, crise mondiale oblige, mais à Noël tout se drape de magie.

Voici venu, donc, dès la seconde quinzaine de décembre, le temps des enfants heureux, héros parfois malgré eux des spectacles de fin d’année déguisés en petits bergers, en Vierge Marie et Saint Joseph, mais aussi le temps de leurs parents résignés assistant tant aux spectacles de leurs rejetons qu’aux repas de « pré-Noël » en compagnie de leurs collègues, tradition à laquelle presque personne n’échappe… Entreprises, grande surfaces, banques, départements universitaires… Chacun y va de son déjeuner ou dîner (ou les deux) autour d’une table bien garnie et bien arrosée. Certaines boîtes offrent aussi à leurs employés la traditionnelle cesta de Navidad (corbeille de Noël), où l’on trouve de tout : bonnes bouteilles, gâteries, jambon cru pata negra parmi les meilleurs de la peau de taureau… (Je vous rassure tout de suite en rappelant en passant que ce jambon, comme partout ailleurs, est fait non pas de taureau mais de cochon, la star des cochons d’ailleurs, le porc ibérique qui passe son temps à se goinfrer de glands dans les prés, mais « la peau de taureau » est le surnom de l’Espagne !!).

Même les spots publicitaires font état de cette tradition, comme celui de Movistar où on simule un documentaire animalier de la BBC présentant le travailleur indépendant (autónomo) comme une espèce en voie d’extinction. Pour Noël, le deuxième spot du genre montre le pauvre autónomo qui doit non seulement accepter avec résignation le fait que seuls les employés reçoivent le traitement de faveur du cadeau de Noël de l’entreprise, mais aussi subir les coups de jambon de tous ces privilégiés du destin, en rue, dans le métro ou en bus... Il n’a donc pas droit non plus à la comida ou cena de Navidad… Souvent les prises de tête précédant ce genre de célébration tiennent à savoir qui se retrouvera à côté du chef, quel sujet de conversation aborder ou éviter, combien de jours de jeûne adopter avant ledit gueuleton, etc ! Les repas auxquels j’ai moi-même pris part cette année, tous deux extrêmement copieux, se sont très bien déroulés et, sagement, je n’ai pas roulé sous la table afin de pouvoir en revanche rouler sereine sur la route en lacets menant de l’Albayzín (quartier arabe sur les hauts de Grenade) à mon village de montagne. Cette tradition gastronomique est la première de toute une série d’autres ressemblant beaucoup à celles de chez nous, tout aussi arrosées et copieuses et qui, si on n’y prend garde, pourraient effectivement tous nous transformer en Casimirs à la silhouette trahissant notre statut de dévoreurs de gloubi-boulga !

Quels sont alors les mets les plus dégustés lors de ces repas navideños ? Il y en a toute une série, comme le jambon pré-cité, les huîtres, l’anguille ou les fruits de mer, mais laissons à nouveau la publicité faire état de l’un des plus connus : celui du fameux turrón (nougat) El Almendro (l’amandier) dont le générique a marqué des générations de consommateurs. Le spot accompagné du slogan « rentre à la maison pour Noël » (vuelve a casa por Navidad) est un tout grand classique. Le champagne, bien entendu, ne peut pas non plus manquer à l’appel, même s’il s’agit le plus souvent ici du « cava » Freixenet, un mousseux catalan dont la publicité de Noël est toujours attendue comme un grand moment télévisuel. Cette année, c’est l’équipe espagnole de natation synchronisée qui se chargeait de littéralement plonger corps et âme dans cette boisson dorée au rythme d’un puissant zapateado (terme de flamenco désignant les coups de talons cadencés) de Flora Albaicín, danseuse établie à Barcelone dont la mère du même nom était danseuse gitane originaire du Sacromonte de Grenade.

 

Samedi 20 décembre 2008

L’évocation du flamenco et de son quartier emblématique à Grenade vient à point nommé. En effet, le réveillon de Noël que l’on appelle ici la bonne nuit, La Nochebuena, approche à grands pas, et pour bien se mettre dans l’ambiance, rien de tel que d’assister à un concert de chants de Noël gitans et flamencos au cœur de ce quartier : à la Chumbera, salle dont le nom signifie Figuier de Barbarie. Elle se trouve dans le quartier grenadin nommé plus haut, qui possède peut-être le plus grand nombre de ces cactus au fruit délicieux.

 


 

Le Sacromonte, « Mont Sacré » des Gitans grenadins, surplombe Granada la bella et fait face à la majestueuse Alhambra. Sa caractéristique la plus marquante est qu’il est composé d’habitations troglodytiques creusées à même la colline, et ses murs chaulés se parent aussi de leurs plus beaux atours lors de l’époque de Noël, comme cette maison en contrebas de l’Abbaye du Sacromonte, surnommée la Sevillana :

 

 

Il est intéressant de voir qu’outre les nombreuses assiettes typiques en céramique grenadine et autres ustensiles en cuivre propres à la décoration de toutes les grottes du quartier, la façade, mondialisation oblige,  s’est « enrichie » de ces fameux pères noëls escaladant balcons et fenêtres… Mais ici on défend encore farouchement les traditions, tant et si bien qu’un an après cette apparition sur les façades espagnoles, un autre commando de grimpeurs d’élite avait commencé à rivaliser avec le gros homme en rouge : les Rois Mages, qui font ici office de « Saints Nicolas triplés » succédant un mois jour pour jour à leur collègue belge. Je vous présente Melchior (Melchor), Gaspard (Gaspar),  et Balthazar (Baltasar):

 

 Melchor

 
Gaspar 

 

Baltasar


Il y a encore quelques années, les Rois Mages avaient l’exclusivité totale pour apporter à dos de chameau les cadeaux aux petits enfants qui prenaient soin de laisser des biscuits et un verre de lait ou… d’anis pour leur roi préféré, ainsi qu’un seau d’eau pour les chameaux, avant d’aller sous la couette rêver à l’arrivée des magiciens d’Orient en espérant ne pas recevoir de charbon. Personne ne recevait de cadeau pour Noël et on ne parlait pas de ce fameux Papá Noel qui aujourd’hui tente de voler la vedette aux Rois Mages, rendant les mœurs assez partagées au sein des familles espagnoles actuelles. La publicité, à nouveau, profite de cette rivalité entre les Rois et le Père Noël pour lancer des campagnes très originales. C’est encore le cas de l’incontournable Movistar qui a adopté Rita, une brebis agent double fréquentant les deux camps pour donner des informations concernant les cadeaux les plus alléchants que distribueront respectivement Santa Claus et leurs Majestés d’Orient par le biais de cette compagnie de téléphonie mobile.

C’est peut-être pour punir cette traîtresse que beaucoup de tables de Noël sont aussi garnies de viande d’agneau… ¿ ? Quoi qu’il en soit, attaquons les zakouskis et anticipons Noël en revenant à notre quartier gitan et à sa superbe salle de la Chumbera. J’y ai accompagné des invités venus de France pour voir le spectacle Pandereta Flamenca (villancicos y bailes flamencos) venu tout droit de la grotte de María la Canastera (« Marie la vannière », une des activités caractéristiques du peuple gitan jusqu’il y a quelques décennies). Vous découvrirez bien des secrets concernant cette grotte et ses activités sur leur site web.

On y apprend entre autres l’origine des grottes du Sacromonte, la façon dont on y vit, et que des personnalités de taille ont fréquenté cette grotte pour assister aux zambras, comme par exemple Claudia Cardinale, Yul Brynner, Anthony Quinn, Ingrid Bergman ou… Beaudoin et Fabiola de Belgique (qui avaient leur résidence d’été à Motril, sur la côte grenadine, là où décéda Baudouin en 1993). Ce terme d’origine arabe implique beaucoup de choses différentes : le lieu (la grotte) où se déroulent les fêtes que les Gitans auraient adaptées de celles des Morisques après la conquête chrétienne de la ville à la fin du XVème siècle ; la fête, le chant et la danse caractéristique des mariages gitans de Grenade se caractérisant par la alboreá, la cachucha et la mosca ; les fêtes de flamenco gitano-grenadin en général qui évoquent le passé arabe de la ville (d’ailleurs, l’expression si propre au flamenco, olé, n’est autre qu’un mot dérivé d’Allah…). Une des jeunes chanteuses de flamenco les plus talentueuses de Grenade et d’Espagne, Estrella Morente, consacre un de ses morceaux à la zambra

Vous vous ferez également ici une idée de ce que vivent les visiteurs de la grotte de María la Canastera (aujourd’hui régentée par son fils Enrique). 

Sur cette vidéo on peut apprécier en premier lieu un villancico (chant de noël) gitan, suivi de quelques pas de danse caractéristiques de la mosca, propre à la zambra. Certaines paroles des chants que l’on entend sont aussi très populaires dans le Sacromonte, comme celles-ci : Los gitanos de Graná van derramando canela por donde quieras que vayan (Les Gitans de Grenade répandent de la cannelle partout où ils vont). Les notes de ce morceau me résonnent encore dans les oreilles après le spectacle du groupe de la cueva de María la Canastera dans ce qu’on peut appeler sans aucune exagération la plus belle salle d’Andalousie, en tout cas quant au cadre l’abritant. La voici depuis l’extérieur, d'où l'on entr'aperçoit les chaises typiques du flamenco, ces sillas de enea appelées aussi sillas sevillanas, des chaises en bois peint au siège fait de corde tressée.

 

 

 

 

Vue sous cet angle, c’est vrai que la salle ne paie pas trop de mine et semble plutôt faire office de coup de poing dans un œil contemplant grottes, figuiers de barbarie et agaves -ces « poulpes pétrifiés » pour reprendre la métaphore de Federico García Lorca-. Mais une fois que l’on pénètre à l’intérieur de cet « aquarium géant », on comprend les raisons d’être de cette immense vitrine. L’Alhambra qui lui fait face...

 

 

 

 

...est le merveilleux décor réel devant lequel se produisent les artistes, sous les regards émerveillés d’un public charmé tant par les notes que par la vision enchanteresse.

 

 

 


Cette photo a été prise en mai dernier lors du concert du chanteur bruxellois Mousta Largo et de son groupe, invités par mes soins. Leur musique fusionnelle mariant rythmes arabes et espagnols était en harmonie totale avec cette scène d’où on entrevoit le dialogue grenadin entre l’Alhambra musulmane et la Cathédrale Renaissance, mais aussi avec la zambra elle-même, qui mêle les sons gitans, arabes et espagnols. En ce samedi d’avant Noël, c’était au tour des artistes du groupe de la cueva de María la Canastera de prendre place sur ces chaises flamencas que l’on voit plus en détail sur cette photo de Mousta et Antonio Segura.

 

 

 

Les lanternes arabes et le service à thé placés sur scène en mai pour ce concert de mes compatriotes ont cédé la place en décembre à une table sévillane bien garnie de turrón, polvorones (petits gâteaux sablés) et anis, dont les artistes se servaient généreusement entre danse et chant. Les instruments les plus caractéristiques de ces chants de Noël gitans sont bien sûr les castagnettes et les guitares, mais aussi la pandereta (tambourin) et la zambomba (espèce de tambourin muni d’une baguette placée au centre d’un orifice et qui produit un son sourd), que vous pouvez apercevoir en cliquant ici.

Et pour encore savourer d’autres morceaux typiques de cette Navidad flamenca, rendez-vous sur cette page où vous pourrez entendre certains autres airs du répertoire gitan classique.

Après s’être rassasié l’âme et le cœur de ces notes et gestes si populaires et entraînants, c’est le corps et surtout l’estomac qui réclamait un peu d’attention, raison pour laquelle nous avons dîné dans le resto le plus sympathique du coin, Restaurante Casa Juanillo, du nom (diminutif) du patron des lieux, un des patriarches gitans qui connaissait bien, comme en témoignent les photos sur les murs de son resto, Camarón de la Isla (de son vrai nom José Monje Cruz), chanteur flamenco mythique malheureusement décédé d’un cancer des poumons en 1992.

                           Le resto se trouve en contrebas à gauche, à côté de la cheminée bleue

 

Les vues sur l’Alhambra y sont imprenables, le feu ouvert extrêmement chaleureux -quand il est allumé…- et les plats typiques excellents, en tout cas les migas ou le plato alpujarreño… Pour les tortillas del Sacromonte c’est une autre histoire… due aux ingrédients dudit plat et non au talent -incontestable- de la cuisinière. Ah, non, je ne dévoilerai pas tout ! Il vous faudra être sur place pour voir / goûter ce à quoi je fais allusion ! Bon appétit et bonne soirée !

 

Lundi 22 décembre 2008

Ce matin beaucoup de gens se sont réveillés dans un état de fébrilité semi-contrôlée, car aujourd’hui c’est le grand jour du Sorteo Extraordinario de la Lotería de Navidad. L’Espagne est en général très friande de loterie, mais pour Noël, tout le monde ou presque tira la casa por la ventana, ce qui veut dire littéralement qu’on « jette la maison par la fenêtre », autrement dit que l’on jette l’argent par les fenêtres, mais dans le but ô combien avoué d’en faire entrer beaucoup plus par la porte, ou en tout cas d’abord par le biais de la lucarne magique qu’est la télé. En effet, ceux qui le peuvent sont rivés à l’écran durant les près de 5h de retransmission du tirage, leur billet de loterie à la main (ou plutôt leur participation ou décimo -dixième-), pour prier le ciel qu’ « el gordo » (le gros lot) soit pour eux. C’est depuis près de deux siècles qu’a lieu ce tirage. Chaque année, les enfants du collège San Ildefonso de Madrid sont chargés de « chanter les numéros » sur une petite mélodie caractéristique alliant numéro tiré au sort et montant lui correspondant. Le changement de la peseta à l’euro a un peu ôté de son charme à la chose, mais par contre ladite chose est notablement rafraîchie par la présence de plus en plus nombreuse de petits « chanteurs de sort » originaires d’ailleurs dans le monde. En effet, plus d’un tiers des enfants de San Ildefonso choisis pour chanter la loterie sont issus de l’immigration, principalement maghrébine et latino-américaine. Ce qui peut sembler banal dans notre pays est ici un grand pas symbolique vers la multiculturalité et, espérons-le, vers l’interculturalité dans cette terre qui fut jusqu’il y a peu terre d’émigration et non d’immigration. Pour tous les enfants, et ce quelle que soit leur origine, c’est un véritable honneur d’être chargés de dévoiler quel numéro permettra à son heureux propriétaire d'empocher les pas moins de trois millions d’Euros du gros lot (attribué cette année au 32.365 à midi pile…).Je précise tout de suite que je n’ai rien gagné, ne jouant jamais ! Mais c’est tout de même un vrai bonheur de voir la joie des « agraciados », ceux que la chance a salués.

 

Mardi 23 décembre 2008

Après les flots de champagne -enfin, de cava- déversés la veille par les gagnants, on s’affaire dans les chaumières pour  tout préparer pour le lendemain, pour la tant attendue Nochebuena. Avant de la célébrer et d’aller chercher mes parents qui devaient arriver dans la nuit, je me suis rendue dans l’Albayzín bajo, chez un couple franco-brésilo-irano-américain (ils ne sont bien que deux mais aux origines multiples !), pour mettre en pratique l’interculturalité évoquée auparavant et célébrer une petite fête typiquement étasunienne pendant ces fêtes de Noël : Secret Santa, que l’on appelle ici el amigo invisible. En fait il y avait une petite nuance, car si « l’ami invisible » ou « le Père Noël surprise » consiste à tirer une personne au sort pour lui faire un cadeau sans qu’elle sache de qui il provient, la célébration organisée par mes amis consistait à amener chacun un cadeau à l’aveuglette, sans destinataire préétabli, pour que chacun pêche un cadeau à tour de rôle. Le participant suivant peut en pêcher un autre ou demander un cadeau précédemment ouvert s’il lui plait ! Apparemment cette variante s’appelle White Elephant, et elle est très drôle car elle peut donner lieu à d’interminables échanges. En effet, la personne à qui on a volé le cadeau doit choisir un nouveau et les paquets peuvent ainsi passer de main en main. Celui que j’avais apporté par exemple, un film sénégalais, a fait le tour de mes copains qui le voulaient tous ! Beau succès… J’ai pour ma part ramené à la maison, en même temps que mes parents « pêchés » quant à eux à la gare routière à 4h30 du matin, une jolie bougie parfumée à la pêche de Géorgie. C’est elle qui m’accompagne de ses effluves inspirants alors que je rédige cette chronique de Noël…

 

Mercredi 24 décembre 2008

Après les pré-Noël andalouses et étasunienne, notre Nochebuena en famille, face à la Sierra Nevada était quant à elle bien belge, et le repas simple mais agréable à une table joliment décorée. Les villancicos flamencos résonnaient à la télé alors que les conversations fusaient, une fois n’est pas coutume en cette chaumière, en français. Il s’agit aussi de la célébration la plus familiale de toute l’année en Andalousie, et il n’est pas rare de trouver de nombreux restaurants fermés ce soir-là car chacun fête l’événement chez soi. Après le repas, les plus traditionnels (et les plus minoritaires aussi, il faut bien le reconnaître) assistent à la messe de minuit qui s’appelle ici Misa del Gallo, messe du coq, car la légende dit que le premier à avoir assisté à la mise au monde du messie aurait été un coq qui se serait ensuite chargé de répandre la bonne nouvelle par son chant. Mais rien n’exclut non plus que cette présence du coq soit plutôt due à la réminiscence de rites païens liés à Yule et aux solstices d’hiver. En ce qui nous concerne, c’est le côté païen qui l’emporta car c’est Papa Noël qui nous amena les cadeaux de circonstance, pas les Rois Mages, même s’ils s’obstinent quand-même à grimper à ma façade…

 

Dimanche 28 décembre 2008

Malgré cette incursion de la dimension païenne propre à beaucoup de pays européens, L’Espagne est, à bien des égards, quand-même plus proche de la Bible et de ses faits et dates-clé que nous. Tout d’abord, un peu à l’instar de notre Bethléem verviétois ou des pratiques provençales, les crèches que l’on dresse un peu partout dans le pays font l’objet de véritables concours et parcours, et les gens admirant les crèches des mairies, écoles ou associations de voisinage, terminent souvent ce pèlerinage par les couvents, d’où ils emportent les délicieux petits gâteaux confectionnés par las monjas de clausura, les religieuses cloîtrées, qui ont instauré un ingénieux système leur permettant de passer les gâteaux et de récolter l’argent à travers un comptoir au portillon tournant, pour commercer sans être vues par les acheteurs. Les crèches dressées dans la ville sont des trésors de patience qui reproduisent de façon fidèle les décors palestiniens, anciens et actuels, car il n’est pas rare de trouver des mosquées dans les pièces traditionnelles de la crèche. Une autre tradition célébrée ce jour est l’équivalent de notre poisson d’avril : el Día de los Inocentes. Cette pratique commémore le massacre des Saints Innocents commis par  Hérode en le mêlant à des rites païens proches de la Fête des Fous. Comme le premier avril chez nous, on fait ici des blagues ou plaisanteries aux proches et le poisson est substitué par un petit bonhomme en papier que l’on accroche au dos des personnes piégées. S’il reste un peu d’espace sur la feuille où on a découpé le petit bonhomme, les enfants ne manqueront pas de l’utiliser pour écrire leur carta (lettre) à leur roi mage préféré. Ils ont d’ailleurs toute la période de Noël pour donner ce précieux écrit au cartero real, le facteur royal ou postier des Rois, qui à Grenade attend patiemment ses petits concitoyens à la Mairie pour remettre ces tonnes de courrier à leurs Majestés d’Orient et ainsi leur faciliter la tâche. À Séville par exemple, les pages des rois et ces facteurs ou hérauts bien particuliers font cortège dans les rues l’après-midi du 4 janvier pour récolter les dernières lettres des retardataires.

 

Mercredi 31 décembre 2008

Si la veillée de Noël est appelée Nochebuena, la Nuit de la Saint Sylvestre est la Nochevieja ou « vieille nuit », car c’est la dernière nuit de l’année. La tradition veut que pour cette soirée on porte obligatoirement une pièce de sous-vêtement rouge qui est censée nous combler de chance pour l’année à venir. Le champagne -cava- coule bien sûr à flots ici aussi, mais pour arroser les raisins mangés au préalable… En effet, depuis 1909, on a coutume de manger un grain de raisin par coup de minuit. Cette tradition de las uvas de la suerte, « les raisins de la chance », est due à un surplus de ce fruit lors d’une récolte extraordinaire dans la région d’Elche (le Levant), qui a décidé de les distribuer à cette fin parmi les habitants. La pratique s’est ensuite répandue dans tout le pays, mais la coutume est également suivie au Mexique par exemple. Les personnes qui ne sont pas sur la place principale de leur ville pour manger ces raisins en compagnie de milliers de concitoyens ayant les yeux rivés à la façade de la mairie, regardent tous la télé d’où on retransmet en direct les douze coups de minuit, en général depuis la Puerta del Sol de Madrid. La photo suivante montre Mustafa, le patron d'Arrayanes, le restaurant marocain où nous avons passé le réveillon, dans une posture quelque peu incommode : d’une main le micro tourné vers les haut-parleurs de la télé pour que toute sa clientèle puisse entendre les informations clés, et de l’autre les raisins qu’il puise d’un bol en équilibre instable à côté du téléviseur.

 

 

 

 

Si vous allez à la minute 5’30 de la vidéo suivante, vous assisterez comme nous à cette retransmission vue par des millions de téléspectateurs.Le restaurant où nous nous trouvions était halal, donc pas d’alcool à table durant le repas ni pour les douze coups de minuit, mais du champagne quand-même, le champín, c'est-à-dire le champán sin (le champagne sans -alcool-) ! La soirée fut très agréable, les mets délicieux dans un décor superbe agrémenté d’un groupe musical de l’Atlas et d’une danseuse orientale.

Jeudi 1er janvier 2009

Lendemain de la veille… Mais sans alcool le repas est plus facile à oublier, et on serait davantage d’attaque pour la traditionnelle choucroute du jour de l’an qu’ici, bien entendu, on ne déguste pas ! Les traditions télévisuelles ont par contre la vie dure aussi, et on zappe des sauts à ski de Garmisch-Parten-Kirschen au concert de nouvel an retransmis depuis Vienne. Cette année c’était Daniel Barenboim qui était chargé d’accueillir 2009 par ses notes classiques, et le souhait le plus cher de ce mélomane œuvrant depuis très longtemps au rapprochement d’Israéliens et de Palestiniens à travers la musique a  bien sûr été la paix pour le Proche-Orient.

 

Vendredi 2 janvier 2009

Le 2 janvier n’est en général pas un jour de congé ailleurs en Andalousie, mais à Grenade oui, car c’est el Día de la Toma, le jour de la prise de la ville par les armées des Rois Catholiques qui, un 2 janvier de l’an de (dis ?)grâce 1492, obligèrent le sultan nasride Boabdil à rendre les clés de sa chère Grenade. La mairie de la ville commémore cet événement d’une façon qui est de plus en plus critiquée par des associations luttant pour plus d’ouverture et moins de sectarisme. Depuis le balcon de la mairie, les autorités brandissent l’étendard des Rois Catholiques et partent en cortège jusqu’à la Chapelle Royale pour rendre hommage à ces souverains en passant l’étendard sur leur tombe. À leur retour, ils haranguent la foule sur un ton vainqueur. Le problème est que cet acte est mis à profit par des groupes d’extrême droite qui, face à l’étendard d’un autre âge depuis la Plaza del Carmen, place de la mairie, brandissent leurs drapeaux espagnols ultra-nationalistes ainsi que des banderoles où on peut lire des choses du style « Grenade chrétienne, jamais musulmane ». Non contents de hurler leurs slogans où ils prétendent être les seuls vrais représentants de la jeunesse espagnole (Dios nos libre, Dieu -quel qu’Il soit- nous préserve…), les membres de ces groupuscules répartissent des tracts racistes aux assistants à la célébration. Le tout est accompagné de l’armée qui écoute religieusement les hymnes andalou et espagnol… après la chanson Granada du Mexicain Agustín Lara qui a rendu cette ville si célèbre, où on parle entre autres du charme et de l’ensorcellement des yeux… maures des Grenadines. Dans une pathétique tentative de donner une image plus multiconfessionnelle à la chose, le maire a eu cette année la brillante idée d’ajouter un figurant grenadin habillé en Musulman d’époque, ce qui a encore plus déclenché les foudres des associations musulmanes de la ville. Heureusement, d’autres célébrations au goût beaucoup moins douteux fleurissent le même jour dans la ville, comme cette après-midi organisée par le cercle nasride qui proposait une conférence sur la capitulation de Boabdil, un défilé de mode nasride, une dégustation de thé et de petits gâteaux et un concert du grand joueur de luth marocain Saïd Chraibi.

 

Lundi 5 janvier 2009

Heureusement aussi, l’air rance flottant sur la place de la mairie la matinée du 2 janvier s’échappe bien vite en nuages ridicules pour céder sa place à un parfum de joie débordant des cœurs d’enfants aux yeux pétillants qui assistent médusés à la Cabalgata de Reyes (« cavalcade », défilé des rois mages) qui arrivent en ville dans la soirée avant de passer dans chacune des maisons des habitants pour laissez leurs cadeaux à petits et grands. Une des choses les plus sympathiques de cette arrivée des Rois Mages en Espagne est qu’ils le font dans des moyens de transport adaptés : en bateau dans les villes portuaires et… à ski sur les pistes de Sierra Nevada !


 

Mardi 6 janvier 2009

Après avoir entrevu depuis ma chaumière montagnarde les lueurs de la descente aux flambeaux de ces souverains pas comme les autres, c’est toujours depuis ma Sierra que j’ai assisté, le lendemain, à la retransmission beaucoup plus courte et modeste du Sorteo del niño, l’autre loterie importante de ces fêtes de Noël, qui en marque officiellement la fin. Les cadeaux sont déballés, les numéros de la chance vérifiés, il reste alors à manger en famille ou entre amis el roscón de reyes, la galette des rois qui met un terme sucré tout doux à cette Navidad granadina qui, je l’espère, vous aura mis l'eau à la bouche…

 

Nathalya Anarkali

 

 

 

Mise à jour le Samedi, 10 Janvier 2009 14:13