La tarte au riz de Claude Hercot |
Écrit par Best of Verviers | ||
Vendredi, 26 Mars 2010 06:41 | ||
Gard’och se morfondait. Depuis tant d’années le conflit entre son peuple et les Angors déchirait ce qu’il restait de la planète ; il pensait qu’il était grand temps que cela change. Depuis maintenant trois jours, son épouse et lui avaient accueilli leur nouvel enfant, une fille potelée et toute rousse nommée Tanza. Il aurait aimé pouvoir lui offrir bien plus que des larmes et du sang. Ses quatre premiers rejetons, tous des garçons, avaient péri lors de la dix-huitième invasion de la capitale Angorite, Naar Tindra. Cela n’en finissait plus, il en avait vraiment marre. Une fois c’était l’une peuplade qui occupait la cité et quelques mois, voire quelques semaines plus tard, c’était le tour de l’autre.
Depuis quelques temps, Gard’och avait pris une résolution et passait le plus clair de ses journées à fouiller consciencieusement les archives relatant les différents voyages spatiaux que l’humanité avait effectués depuis la Grande Migration. Il y apprit que sur les cinq cents mondes sur lesquels l’homme avait posé le pied, au dernier recensement, seuls deux cents restaient encore sous sa domination partielle. De nombreuses créatures déjà installées avant les invasions lui avaient opposé une résistance farouche, causant des pertes incalculables. Il ne connaissait qu’une partie de ces histoires et il se demanda si les chroniqueurs qui, au fil des siècles avaient rempli les documents, n’exagéraient pas les batailles épiques dont ils se disaient les témoins. Il ne pouvait réellement croire que des êtres avoisinant les deux mètres de hauteur puissent vivre sur des planètes faisant plus de trente mille kilomètres de circonférence et surtout, se nourrir de plantes ainsi que de chair animale ou dans ce cas, humaine. Quand il en arriva à cette partie des récits, son estomac se souleva. Imaginer que pour subvenir aux besoins nutritifs du corps, des espèces devaient utiliser leurs mâchoires afin de broyer les créatures qu’ils utilisaient comme aliments le révulsait. Pourtant, des illustrations semblèrent prouver la véracité des affirmations. L’une d’entre elles la fascina. L’être qui y était représenté ne différait pas radicalement de l’image que lui renvoyait son miroir. Bien sûr, ses oreilles étaient un peu plus grandes, ses membres plus allongés, ses pieds étaient palmés et sa peau était squameuse, mais son apparence était tout de même en grande partie humaine. Les seuls détails qui les séparaient catégoriquement des Krichs et des Angors étaient des bouts pointus que Gard’och apparenta à des os d’une blancheur hypnotique qui semblaient être plantés dans leurs gencives. Après avoir effectué de nombreuses recherches, il vint à penser que c’était grâce à ces dispositifs qu’ils arrivaient à déchirer les chairs. Ici sur Blator, ses ancêtres n’avaient dû combattre aucune espèce. La planète n’étant recouverte que de plantes. Après avoir défriché les parcelles leur convenant, ils s’y étaient établis et avaient vécu heureux. Mais au fil du temps, des conflits germèrent. A Naar Tindra, les principaux producteurs d’aliments de la planète, qu’ils soient en pilules fondantes ou en sirop de plantes pensèrent qu’on ne leur octroyait pas assez de plaisirs pour les services rendus, et les acheminements de vivres en direction de Songath, la principale cité Krich furent suspendus.
Quand après quelques semaines, les vivres commencèrent à manquer, une délégation Krich s’en vint leur présenter un marché. Mais lorsqu’ils proposèrent des ouvriers, des filles, des colifichets ou d’autres présents, les nutritionnistes Angors en réclamèrent le double. Ne voulant pas devenir des esclaves, les membres du peuple Krich les assaillirent. C’est depuis ce temps que la guerre détruit ce qui était jusqu’à ce moment la plus belle planète de la galaxie. Les humains ne connaissaient plus le goût de la nourriture, ne savaient avec quels ingrédients, ni comment la préparer. Les pilules et les fades sirops leur fournissaient les éléments nécessaires à leur survie. A ce jour, Blator ne comptait plus que quelque deux mille habitants, alors qu’à l’apogée de sa gloire sa population avoisinait les quatre millions. Parfois, Gard’och rêvait de s’envoler loin d’ici. Mais les vaisseaux qui avaient amené la première génération n’étaient plus que des tas de cendres et plus personne ne connaissait la technologie qui leur eut permis d’en construire de nouveaux. Repensant aux vieux écrits, il se rendit compte que sa vie manquait cruellement de saveur. Les travaux des champs auxquels il était assigné lui semblèrent tout à coup dérisoires. Il savait qu’il devait comme les autres survivants ramener le plus de plantes possibles aux laboratoires où les nutritionnistes les transformaient en pilules et sirops, mais il se demandait si l’humain ne ferait pas mieux de revenir aux traditions ancestrales qui, selon les livres leur permettaient de se passer des usines.
Une créature humanoïde sortit du vaisseau, l’aperçut et vint dans sa direction la main droite levée. Reconnaissant le signe de paix employé dans toutes les civilisations, Gard’och l’attendit, prêt à s’enfuir au moindre signe de menace.
Tout à coup, Gard’och se sentit emporté dans l’une des histoires que son peuple se racontait encore durant les longues soirées. Un moment, il crut qu’il avait avalé la nourriture des dieux tellement son corps parcouru de frissons d’extases lui parut différent. A la deuxième bouchée, il ferma les yeux et les sensations reprirent possession de lui. Il se demandait comme un plaisir pareil pouvait lui être accordé et si celui-ci n’allait pas être le dernier, selon lui, rien de meilleur ne pouvait exister. Malgré cela, il fit tout de même preuve de caractère et appela son épouse. Kerdowan devait goûter cela elle aussi. Il fallait qu’elle lui dise ce qu’elle en pensait. Un moment effrayée par la présence de l’inconnu. Elle ne tarda pas à secouer Gard’och afin de le faire réintégrer la réalité. Jamais depuis qu’elle le connaissait, elle ne l’avait vu avec un tel regard. Il paraissait totalement sous l’emprise de l’effet d’une drogue comme les médecins Angorites en injectaient de temps à autres aux volontaires désirant tester de nouveaux plaisirs. Mais devant son insistance, elle finit par céder. Aussitôt, elle crut que son monde avait disparu et que s’ouvrait devant elle la perspective de gagner celui qu’elle voudrait.
-Bien sûr, répondit le visiteur amusé par sa réaction, mais…
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Mise à jour le Vendredi, 26 Mars 2010 06:53 |