Olivier Beaumont nous raconte sa course à pied son ultra trail du Mont-Blanc
Écrit par Best of   
Mardi, 06 Octobre 2009 07:36

Nous y voilà ! Plus que trois kilomètres  d’après les quelques personnes que nous croisons. Ces 3 km sont en descente en plus : que pourrait-il nous arriver ?

Alors j’arrête mon yo-yo entre trottiner et marchoter, je sens bien que cela agace mon compagnon de balade Michel (Van Laar) dit GG et j’enclenche la première vitesse et puis directement la seconde et on ne rétrogradera plus jusque l’arrivée.
 
A partir de là, je cherche les passages les plus agréables pour ma foutue contracture qui nous prive d’un temps correct et d’une fin triomphale, on aurait pu, sans elle, se dire que ce fut « facile » mais c’est toujours l’UTMB qui a le dernier mot dans ce genre de combat.

Après avoir été les rattrapés nous voilà de nouveau dans notre rôle de rattrapeurs, rôle que nous avions depuis vendredi 18h30. En effet nous passons comme des avions un coureur qui lui nous avait doublé comme une fusée quelques minutes plutôt, puis un second qui semble comme tous les suivants que nous passerons sans un regard, comme si il était à l’arrêt. J’exagère, ils marchent pour les plus en forme, boitent pour d’autres et titubent comme des alcooliques pour  les plus éprouvés.

 
Michel et moi devenons de plus en plus euphoriques au fur et à mesure, que la ligne d’arrivée se rapproche et que nous rentrons dans le cœur de Chamonix, que nous croisons notre ami commun le grand Ric (Eric Vervier) qui nous accueille avec son large sourire, que nous apercevons Claudine notre supportrice depuis des jours et accessoirement l’épouse de Michel. Effacé le souvenir amer que j’ai gardé durant  364 jours, ce souvenir d’abandon et comme si cela n’était pas suffisant à ma peine d’arrêter après 65 kilomètres, je suis venu voir les autres triompher de cette épreuve. Mais cette fois-ci c’est mon tour, c’est notre tour, car nous avons partagé ces 38 heures ensemble, de boucler le grand tour du Mont-Blanc et de recevoir  le bonheur, la satisfaction, la délivrance de la tâche accomplie. L’objectif premier de finir est transcendé par le fait que nous avons atteint notre deuxième objectif : terminer dans état physique correct et nous fêtons ça en fanfaronnant comme des gamins sur la ligne d’arrivée : nous faisons la brouette, avec Michel marchant sur les mains pour passer les 10 derniers mètres et moi lui tenant les chevilles. La boutade de début de course suite à notre rencontre avec  P’ti Lou prend corps. En citant le début de course pourquoi ne pas revenir  plusieurs heures en arrière ?

 

 

 


Tout cela commence Jeudi matin à Jalhay entre 6h45 et 7h00 du matin : le moment  du départ pour 3 trailers en route pour les Alpes, accompagnés de leurs fidèles supportrices en les personnes de Françoise Vervier et Claudine Van Laar. Malheureusement Gaby ma chère et tendre compagne ne sera pas du voyage, elle aura tout enduré : les semaines de 14 à 16 heures d’entrainement biquotidiens, les préparatifs, le fait d’entendre ne parler et de ne penser qu’à l’UTMB mais n’aura pas la chance de partager ce voyage avec nous, travail oblige. J’aurai tellement aimé qu’elle soit là  pour nous  supporter et profiter du cadre grandiose des Alpes. Maintenant tout le monde est embarqué dans le break trouvé in extremis  par Eric, victime d’un incident mécanique la veille au soir vers 18h00. En effet, juste avant de rentrer chez lui le grand Ric décide de faire un détour par le car-wash afin de se présenter à nous dans une voiture propre comme un sou neuf, bien lui en a pris car sans ce détour il ne se serait pas rendu compte que sa toute nouvelle automobile était sur le point de nous  faire un coup de Trafalgar, à savoir tombée en panne à quelques kilomètres de la maison. Vite vite, direction la concession Mercedes de Verviers (rappelle-moi, Eric, à demander quelques dollars pour la publicité à ton patron…) pour enlever la seule et unique voiture disponible sur un parc de plus de 80 voitures, enfin bref nous sommes sauvés.
 
Huit heures de route nous attendent  et que nous traçons ou que plutôt Françoise trace sans ciller et nous mène sans encombre dans le charmant village des Houches (1er ravitaillement de l’UTMB, ultra tour du Mont-Blanc) où nous retrouvons avec grand plaisir le gîte Fagot tenu par un certain Olivier, Boudou pour les intimes. Nous y retrouvons également Bernard Lejeune, mon compagnon d’infortune en 2008, nous avions abandonné tous deux au Lac Combal, même dans l’abandon c’est plus facile à deux, enfin j’aime à le penser. La trentaine de places disponibles dans le gîte sont toutes occupées par des coureurs célestes : quelle ambiance mes aïeux, quelle effervescence, cela transpire un peu le stress  au milieu de tous les sourires béats pour certains, coincés pour d’autres ou insouciants pour le reste. Cela discute ferme : qui sera sur quelle course ? En effet il y  a 4 courses différentes durant ce long ce très long week-end, la première et principale l’UTMB avec ses 166 km et 9.400 m de dénivelé ensuite la CCC (Courmayeur, Champeix, Chamonix) et ses 98 km et 5.600 m de dénivelé et puis la TDS (sur les Traces des Ducs de Savoie) et ses 106 km et 6.700 m de dénivelé et enfin la Petite trotte de Léon et ses 250 km et 18.000 m de D+. Vous avez le choix Madame, monsieur, faites votre choix ! Personne  ne sera perdant, vous gagnez à tous les coups, des kilomètres, de la joie, un peu de souffrance, peut-être quelques cloches mais dans tous les cas le bonheur de participer à quelque chose d’exceptionnel.
 
Le jeudi après-midi est rempli de nos derniers préparatifs, nos dernières discussions avec  les autres célestes auxquels nous mettons des visages sur des surnoms : Bowie, Touareg  ex vomito, Bux, P’ti lou, et ainsi de suite. Puis séance intensive de farniente avant  de se rendre à Chamonix pour prendre un peu la température avant course mais   surtout pour reprendre nos dossards .  Fameuse différence avec l’édition 2008 où  il nous avait  fallu pas moins de 1h30 avant d’obtenir nos précieux sésames à ce moment là, alors que cette année, entre le paiement de la caution, la remise de l’enveloppe le marquage du sac et la mise au poignet de la puce, le tout est réglé en moins de 10 minutes montre en main .  Nous retrouvons nos épouses respectives, ah oui sauf moi : le caliméro de la bande. Petit tour par le village, non pas olympique mais enfin presque, où des dizaines de stands sont occupés par des fournisseurs de montres, de chaussures, de textiles, de matériels divers, de produits énergétiques, etc, etc. Nous croisons des coureurs du Team 33 de Dolhain et devisons de quoi , je vous le donne en mille : de l’UTMB ou encore de la CCC.
 
Retour vers le gîte afin de continuer nos séances intensives de repos avant d’engloutir un bon repas et de reprendre notre couche pour y puiser une longue nuit de sommeil anticipativement réparatrice.
 
VENDREDI 28 AOUT 2009, le « Tour de France » du trail est en vue. Le soleil réchauffe tout doucement la journée naissante, nous nous mettons à pied d’œuvre : copieux petit-déjeuner garni  de viennoiseries du voisin boulanger Eric Jaquier (une des meilleures adresses des Houches) je ne vous parlerai pas de ses pattes d’ours, de ses houchards ou des ses croix de Savoie ni même de ses chaussons aux pommes ou de ses baguettes viennoises. Voilà une journée qui commence pour le mieux après cela nous profitons à plein de l’accueil douillet du gîte et attendre 15h00 l’heure à laquelle nous nous rendons à Chamonix pour prendre un peu la température mais surtout déposer  notre sac pour le ravitaillement de Courmayeur, en espérant l’ouvrir, donc d’arriver au moins à ce ravitaillement du 77ème kilomètre. 17h00 dernières photos et direction la ligne de départ pour y retrouver l’ambiance de l’UTMB : les explications de la course en français, en anglais et en italien car ne l’oublions pas nous traversons 3 pays (la France, l’Italie et la Suisse) et que le principal sponsor est américain, la présentation des Cadors de la course, les prévisions météo données par un ancien Colonel de l’armée, je peux assurer que cela dénote par rapport aux prévisions distillées par les jeunes femmes (ou un peu moins jeunes)  quelque peu guindées de la RTB. Et puis arrivent tout doucement mais surement les trente dernières  minutes durant lesquelles on commence à voir les participants   et leurs fans, épouses, parents, enfants, amis respectifs, s’agglutiner en dessous de l’église et cette belle foule bigarrée commence à produire une cacophonie limite une polyphonie en accord avec la musique de Vangelis qui vous marque à vie lors de ce genre d’épreuve. Qui a oublié le Boléro de Ravel  lors des 20 km de Bruxelles ?
 
18h25 dernières directives et Michel et moi en profitons pour nous rapprocher et de nous positionner stratégiquement aux alentours de la 2100ème place sur 2300 participants, je vois bien que cela chagrine GG car il voit tout de suite les pertes de temps  que nous allons subir mais je m’accroche à la promesse que je me suis faite il y a quelques mois : partir le dernier afin de n’avoir qu’à remonter des traileurs et non le contraire, m’obligeant par ce fait de commencer tout doucement, de respecter mes 130 pulsations cardiaques par minute, me préserver au maximum et non plus être dans le rouge déjà au premier ravitaillement c’est-à-dire après 8 km comme j’avais pu le faire l’année dernière.  Malgré tout je concède 200 places à Michel, je cède mollement mais m’accroche à cette 2100ème place.
 
18h30, le grand compte à rebours est cette année égrainé par les participants eux-mêmes soutenus par le public bien présent et bardaf cette fois-ci c’est vraiment parti pour un peu moins de 40 heures selon mon programme. Mais à peine parti nous voilà confrontés à un méga embouteillage qui nous oblige à marquer le pas et même à marcher dans les rues de Chamonix et ce durant plus de 8 minutes où nous pouvons commencer à trottiner. Il n’y a pas 1 kilomètre que nous avons passé la ligne de départ qu’une envie pressante nous oblige à stopper net avant de reprendre le train et découvrir les premiers incidents pour quelques coureurs : un qui sème ses  barres énergétiques ainsi que ses gels, un autre est obligé de refaire son sac car il ballote beaucoup trop fort ou encore cet autre dont la poche à eau fuite et lui inonde le dos, erreurs de débutant ou bête accident ? Mais bon cela ne nous regarde pas !!! C’est peut-être déjà des places gagnées, essayons de voir le bon côté des choses.
 
Je crois que c’est vraiment parti maintenant, nous trouvons notre rythme de course : petite foulée économique, rasante au maximum, les « puls » sont bonnes : 124-126/minute. Arrivée aux Houches en 52 minutes et première rencontre avec Claudine, Françoise et Julie (la copine de Bernard Lejeune) quelques mots sont échangés et nous repartons vers le ravito avant d’attaquer le premier col qui entamera la première de nos 2 nuits blanches, si tout se déroule pour le mieux. Car même si je sais que je suis venu pour finir, que je donnerai  toute mon énergie pour arriver au bout de ce mastodonte de la course de long, il subsiste au fond de moi ce léger parfum d’abandon de l’année dernière et je sais qu’il n’existe qu’une solution pour faire disparaitre cette odeur nauséabonde : passer la ligne d’arrivée… Alors en route pour la gloire et pense petit objectif à la fois, me dis-je à moi-même comme une méthode Coué, il serait fier de moi ce cher Emile de mettre en pratique sa technique de telle manière.
 
Revenons à nos moutons : le col de la Charme et puis la descente vers Saint-Gervais seront les tests révélateurs de  notre préparation et  de notre état de forme. Tout  se passe pour le mieux  jusque là, nous remontons doucement mais sûrement la plupart  des gens qui nous entoure, le seul qui nous échappe est P’ti Lou qui quelques kilomètres plutôt avait titillé mon camarade Michel en lui lançant  cette pique sympathique : « Hé kwé, GG ? On ne t’entend pas ! Tu n’es pas à la hauteur de ta réputation !!! ». De là : conciliabule, brainstorming, discussion sur la suite à réserver à ce genre d’affront, nous nous mettons d’accord sur la meilleure manière de riposter, c’est là que nous avons décidé de finir la course en réalisant une brouette sur la ligne d’arrivée.
 
En discutant on n’en oublie les quelques km qu’il nous reste à parcourir mais on se dit que cela ira. Pas le temps de finir notre ascension que nous croisons Philippe (Crutzen, le roi de la montagne) et Yves (Dewez, le roi du beurre) accompagné de ses fils qui nous encouragent et nous délivrent des informations sur les premiers et sur Eric et Bernard qui semblent aller à un bon train. Quel plaisir de croiser des têtes connues, cela n’a l’air de rien mais de vous voir le long du chemin est une véritable bouffée d’air frais. Même si bordel, on vient de perdre 40 à 50 places à papoter  avec les copains! On se calme, cela ne représente rien du tout, il nous reste 2 nuits complètes et toute la journée de samedi. Alors nous nous remettons en route au moment où la nuit a décidé de se poser tranquillement, nous installant le décor à venir et surtout pour notre première longue descente. Saint-Gervais et ses presque 1.000 m de dénivelé négatif nous attendent. C’est véritablement là que je me suis rendu compte d’où j’étais et ce  que j’étais en train de faire, car l’année dernière je ne réalisais pas du tout, insouciant peut-être, mal préparé certainement, la situation a radicalement  changé : j’ai vraiment l’impression que je gère « ma » course et que rien ne me fera arrêter si je me préserve et que je ne me laisse pas entraîner par le flot des coureurs. Descente vers Saint-Gervais disions-nous, on constate déjà les coureurs en petite difficulté, qui se laissent prendre par la pente au fort pourcentage qui essayent de ralentir et râlent un peu ou d’autres qui se laissent aller mais qui réalisent bien vite que le train est trop rapide pour eux. Il reste une bonne partie des coureurs qui savent et restent prudents  et puis il y a Michel et moi, j’ai vraiment l’impression que nous sommes hors de la foule car nous nous faufilons entre les participants sûrs de nos appuis et de nos cuisses, nous les passons et passons avec  une certaine griserie, cela semble tellement facile et nullement épuisant. Petit accroc dans une  partie plus étroite de la descente où un trailer espagnol n’apprécie pas mais pas du tout que l’on ait le toupet de le passer, il essaie de me pousser à 2 reprises dans le fossé à ma gauche à l’aide d’un bon coup d’épaule. La colère monte en moi et commence à gueuler comme un putois, je crois l’instant d’une seconde que je vais changer de sport : lâcher la course pour enfiler des gants de boxe. J’oublie vite fait cet incident pour me concentrer sur la descente et laissant par la même occasion, ce frustré, sur place. Non mais dit donc !
 
On  imagine la ville en bas mais il faudra encore pas mal de temps pour rallier le ravitaillement et sa foule digne d’un tour de France ou du grand jogging de Verviers. Rapide remplissage de poche à eau volant au passage un tuc et un morceau de banane, tout en essayant de ne pas perdre mon compagnon dans cette foule compacte. Après 6 à 7 minutes, nous reprenons notre route et restons vigilants de ne pas rater Claudine qui normalement nous attend à la sortie du ravito. A peine 300 m et nous les voyons, Claudine, François et Julie qui nous accueillent à coup de flash et de cris en délire (les cris c’est un peu exagéré). Après le ravito, ici se tient le stand info sur nos amis Eric et Bernard mettant en place ainsi toute la suite de la course qui sera ponctuée de la sorte : ravitaillement, informations, relance vers l’objectif suivant. Nous nous installons dans notre course : petite foulée économique sur les plats, marche dès que cela monte, maitriser la descente en passant les autres ce qui égraine inlassablement la nuit, la rendant plus courte que l’on pourrait penser.
 
Arrivée aux Contamines où l’on constate les premiers abandons, cela me déchire le cœur de voir ces coureurs se faire couper  et retirer la puce rouge qu’ils portent au poignet car je sais ce qu’ils vont vivre durant l’année qui va venir : regrets imbibés d’amertume ponctués par des « si j’avais »… Mais bon ce n’est pas mon problème, nous continuons notre petit bonhomme de chemin vers justement le col du même nom dans lequel je m’aperçois de mes limites dans les montées. Je vois Mich’ qui lui file à un bon train et moi qui me fait bouffer doucement quelques places mais je ne panique pas mes pulsations cardiaques sont bonne entre 128 et 136 (même en montée) et puis je m’en fous on verra bien qui rira le dernier, c’est quoi quelques places si cela me permet d’arriver. A R R I V E R, c’est l’objectif numéro UNO, alors je n’écoute pas le chant des sirènes et je me maintiens dans ma résolution d’avant course : courir aux pulsations. Je me change l’esprit en comptant les personnes qui me passent en côte et de même lorsque nous basculant vers la descente vers les Chapieux (50ème kilomètre) : 35 me passent en montant par contre nous en reprenons 89 dans la descente. A ce rythme là il nous faudrait 400 km pour se retrouver dans le top 20.
 
Les Chapieux , nous rechargeons nos réserves d’eau , dégustons une bonne soupe salée à mort et relançons notre équipe vers l’ascension du col de la Seigne qui ne commencera qu’après avoir fait un long faux plat montant sur du tarmac pendant au moins 2 km. Encore une fois Mich’ a l’air tellement facile que je lui propose sincèrement de faire  sa course et de continuer sur son tempo afin qu’il réalise un beau temps. Il refuse catégoriquement. Je lui propose quand même de monter à son allure et de m’attendre alors en haut du col. Ni une ni deux il part comme un viking et remonte un à un les autres concurrents ce qui me permet de faire mon ascension comme je l’entends surtout qu’il faut préciser qu’une telle ascension se fait entre 1h30 et 2h00.
 
A 200 m du sommet du col le vent devient de plus en plus intense et froid et je suis toujours en tee shirt depuis le départ, j’hésite à m’arrêter pour enfiler ma veste mais j’attendrai la tente du contrôle pour faire cette pose. Le froid est tellement intense que j’ai l’impression d’être en  hiver, je me réfugie donc dans la tente comme 3 autres personnes et là je vois que 4 autres coureurs sont recroquevillés sous un duvet et dorment à points fermés. Comment  est-ce possible ? La course n’a pas encore vraiment commencé  et les voilà qu’ils dorment déjà. Décidément chacun sa technique ! Ma veste enfilée en quelques secondes, j’essaie de repartir en vitesse pour retrouver Michel mais le froid a fait son travail de sape et me tétanise pendant au moins 300 m dans la descente. Heureusement qu’une fois les muscles un peu en branle et le jour naissant remettent les choses à leur place et la course reprend son train-train . Mais avec cela je n’ai pas récupérer Mich’ alors je décide de mettre un peu le turbo dans la descente et je ressens une certaine griserie de pouvoir dévaler et avaler la pente si facilement. Deux coureurs prennent ma trace et s’accrochent furieusement, je laisse faire un moment et puis donne un petit coup d’accélérateur  car je ne supporte pas d’avoir du monde dans mon dos alors que cela ne change rien et je réalise que c’est ridicule d’essayer de m’en débarrasser mais on reste un peu gamin ! Ils explosent peu après et relâchent leur prise au moment même où j’entends Mich’ qui gueule mon prénom. Nous reprenons notre route vers le lac Combal : où je ne veux surtout pas rester longtemps car c’est à cet endroit même que l’année dernière, nous avions repris la navette des abandons avec Bernard. Je presse GG pour repartir, nous voilà avec un délicieux morceau de jambon italien entre les dents repartis  en direction l’arête du Mont-Favre et sa descente vers Courmayeur. A partir de maintenant je rentre dans l’inconnu et découvrir ce que je n’avais pas vu en 2008.
 
Le jour est maintenant bien installé et présage une magnifique journée avec un ciel bleu. Le scénario reste le même Mich’ monte comme un cabri et j’essaie de ne pas prendre trop de retard tout en préservant mes puls.  Magnifique partie jusqu’au col Chécrouit : descente souple et dégagée sur les paysages majestueux des Alpes. Mes douleurs n’ont pas changé depuis le 30ème km, les cuisses ne sont même pas entamées, on se le répétera plusieurs fois durant la course et après que notre « stage » de 3 jours en Suisse aura été plus que bénéfique. En effet Michel et moi sommes allés rejoindre Pumbaa et Françoise à Sierre pour effectuer 3 longues sorties en montagne afin de se construire de bonnes cuisses de montagnard et surtout d’habituer notre corps à monter et à descendre pendant une longue période . Le premier jour nous sommes parti s pour 7 heures  avec une montée de 3 heures d’affilée et une descente de 2 heures. Avec ce régime cela vous forme un coureur de montagne   en tout cas bien mieux que ce que l’on peut faire en Belgique où notre plus longue montée ne dure que 9 minutes 20 secondes et la descente à peine 5 minutes.
 
A partir du col Chécrouit la descente vers Courmayeur est grandiose, en lacet, sur une surface d’aiguilles de pin et avec une pente assez forte où nos cuisses formées en Suisse sont mises à contribution. Mich’ et moi sommes à la tête d’un groupe de 8 coureurs et nous menons la danse à bonne vitesse, certains semblent à l’aise mais 2 ou 3 sont à l’accroche et semblent prier que cela cesse rapidement.
 
Le grand hall sportif de Courmayeur nous accueille, nous y récupérons notre sac personnel avant de rencontrer Claudine qui nous félicite (je pense tout de même que c’est un peu tôt pour les félicitations). Nous nous rendons dans le hall où des centaines de coureurs sont éparpillés au sol, sur des bancs, des chaises, au bar, aux soins et aux toilettes. Michel soignent ses premières cloches, j’en profite pour changer de chaussures et refaire les niveaux, c’est à ce moment là que je réalise qu’il ne faut pas que je reste trop longtemps à l’arrêt mes muscles se refroidissent et seraient heureux de faire une pose, une longue pose, une très longue pose. Alors je me remets debout et marche dans le hall, fait un peu le tour, observe les autres. Encore pas mal d’abandons ou de personnes au bout du rouleau alors qui reste pas loin de 90 km.
 
C’est reparti mon kiki, quelques photos avec Claudine et nous sommes en route vers Bertone  et Bonati . A partir de maintenant  nous ne courons plus les uns derrière les autres, nous sommes clairsemés au beau milieu de la nature.  La configuration de la course commence tout doucement à changer : je commence à reprendre des gens même dans les montées, c’est bon signe et me donne du baume au cœur. Direction le Grand Col Ferret, 99ème km, qui me semble sera le réel début de course. Maintenant le tout est de maintenir et je crois que cela ira si on ne s’arrête pas trop.
 
Je ne  me rappelle plus bien quand exactement  mais Claudine nous annonce une très mauvaise nouvelle : Eric serait blessé sérieusement, peut-être  une fracture de fatigue. C’est l’électrochoc. C’est pas possible ! Pas lui ! Il ne va pas abandonner, tout de même ! Alors je pense à lui durant des kilomètres mais je me sens impuissant on ne sait rien faire pour lui. Heureusement nous apprenons via Claudine au prochain ravitaillement qu’il continue malgré tout. Il maintiendra plus ou moins sa place. Nous voilà soulagés, on peut de nouveau se  focaliser sur notre course.
 
La journée passe à une vitesse folle ponctuée par les passages à la Peule, à la Fouly, à Issert, nous passons de plus en plus des grappes de coureurs. J’ai vraiment l’impression qu’ils ont besoin de se retrouver au milieu d’un groupe pour pouvoir continuer mais est-ce que nous ne faisons pas la même chose avec Mich’ ?
 
Champex est là, à vue mais il faudra pas mal de temps pour y parvenir dans ce grand piège de l’UTMB, en effet le ravitaillement se trouve au 122ème km, la nuit va arriver, l’accueil est superbe : une tente chauffée, de grandes tables, des pâtes bolognaise au menu, des boissons froides et chaudes, du fromage, du chocolat, des gâteaux, des fruits, du pain d’épices, de la soupe, etc. Alors si tu as un petit coup de mou, tu te laisseras prendre par le doux accueil et tu resteras plus que nécessaire voire même rester comme les 2 gars assis à côté de nous. Il reste tout de même un marathon avec 3 cols maousse costauds et une nuit entière nous concernant (en sachant que les premiers sont déjà arrivés depuis un bon bout de temps). Claudine lave les pieds de Mich’ (ils ont tout de même une drôle de relation de couple c’est 2 là !!!) une bonne soupe et on repart tant bien que mal car nous sommes transis de froid ce qui nous oblige à enfiler nos vestes alors que l’on vient à peine de quitter la tente du ravito qui se trouve encore à 30 mètres. Peu importe il faut que je me réchauffe absolument, je tremble de par tout, je claque des dents et mes jambes ne répondent plus à mon cerveau. 10 minutes seront nécessaires  pour retrouver la maitrise de mon corps et d’être opérationnel pour attaquer Bovine que l’on nous annonce  comme dantesque.  Bovine commence doucement au milieu d’une prairie, se changeant doucement par un chemin  et puis se transforme par un passage au milieu d’un éboulis de caillasses et de rochers. Je plaints franchement ceux  qui pourraient avoir des crampes lors de ce passage car les marches de 40 cm à 1 mètre leurs seraient fatales. Mais en ce qui nous concerne cela se  passe relativement bien mis à part un incident : Mich’ glisse et a failli tomber de tout son long entre 2 gros rochers. J’ai la chance d’être juste en dessous de lui et de le retenir. On est passé tout près d’une magnifique chute  (Mich’ je te rappelle que tu me dois toujours une bière pour t’avoir sauvé la vie !).
 
Descente vers Trient est ce qui fallait plus craindre que la montée de Bovine, très technique, de belles marches, des racines en veux-tu en voilà ! Une descente qui dure et qui dure et qui dure, bordel ! Mais elle est sans fin ou c’est la fatigue qui s’installe insidieusement ? Enfin nous arrivons à Trient, c’est là que je me rends vraiment compte de la gentillesse des bénévoles qui sont vraiment à nos petits soins avec toujours ce sourire avenant (les organisateurs  ont dû avoir un prix de gros sur l’achat des sourires). Allez plus que 27 km, 2 cols et 2 descentes, plus rien ne peut arriver, enfin je crois, je ne suis plus sur de rien, je dois être en manque de sucre. Nous sommes fin prêts  pour attaquer cette fin de course mais avant de repartir je m’aperçois que je boîte et que je vais avoir un peu de mal à continuer. Je me rappelle que je me suis explosé 2 fois de suite le pied gauche contre une racine dans la dernière descente, je décide donc de me rendre aux soins malgré la protestation de GG qui a peur de perdre du temps et de ne plus être sur son planning 37 h00 que nous respectons sans le faire exprès depuis le début. La podologue m’installe sur une table, j’enlève ma chaussure et réalise que j’ai retourné 2 de mes ongles, elle décide de percer  le plus douloureux des 2 qui est sous pression. Elle me troue l’ongle à l’aide d’une mini perceuse et soulage ma douleur juste avant de m’avoir  arraché un cri de douleur lorsque la perceuse a traversé l’ongle. Après avoir perdu au bas mot 20 minutes  nous attaquons Catogne, je suis vraiment content d’être passé par les mains de la podologue plus de douleur ce qui nous permet de bien rouler et de continuer correctement vers Vallorcine pour  y retrouver Claudine et je réalise que c’est la dernière fois que nous la verrons avant l’arrivée. Souriante, à nos petits soins et surtout présente nous la retrouvons pour ce dernier vrai ravito qui annonce la fin. Mais les cloches de Michel sont de plus en plus présentes  et en profite de se faire soigner. Il revient après 10 minutes mais mécontent du résultat. C’est pas grave annonce ce brave guerrier (n’oubliez pas que notre Mich’ est militaire dans la vie professionnelle) on continue …
 
On  repart mais avant nous nous arrêtons devant un des nombreux feux de bois avant d’attaquer le dernier col : la Tête aux Vents 870 mètres  de dénivelé positif. Tout va pour le mieux jusqu’à mi-côte et voilà que je commence à avoir des hallucinations et des vertiges. Je vois des bics, des timbres, des morceaux de fromages et même des coureurs allongés sur des rochers, je sais que ce sont des visions mais c’est plus fort que moi, je les vois et je les ramasserais bien pour ma collection de timbres mais pas de temps à perdre. Le plus effrayant reste les vertiges car je ne voudrais pas me retrouver au fond du ravin. La course jusque là « relativement  facile » se transforme en une véritable épreuve digne d’hercule. Je serre les dentes et je m’accroche, je pense petit objectif à la fois : avant c’était le prochain col ou la prochaine descente maintenant, je pense un pied devant l’autre.
 
Il reste moins de 12 kilomètres et c’est ce moment là que mon mollet droit décide de se choper une méga contracture qui m’oblige à lever le pied mais m’empêche surtout de profiter de mon avantage à savoir rattraper le temps perdu dans la descente car je ne sais plus allonger la foulée dans la pente.
 
C’est là que je vois Mich’ perché au sommet de la Tête aux Vents qui me lance un « qu’est-ce que tu fous ? ». Qu’est-ce que je fous ? Qu’est-ce que je fous ? Mais j’essaye d’avancer bordel de merde ! Y m’énerve, y m’énerve ! Je me calme illico lorsqu’il m’annonce qu’il a eu peur pour moi. Il est bon comme du bon pain notre Mich’.
 
Le calvaire commence vraiment dans la descente vers la Flégére, chaque pas est supplice, je ne sais pas descendre, je ne sais plus avancer et j’imagine qu’il nous faudra 3 à 4 heures à ce rythme là pour boucler les 11 km jusque l’arrivée car hors de question d’arrêter. La moindre pierre me donne un coup de couteau dans le mollet et chaque coureur qui nous passe comme une balle me transperce le cœur car je sais que l’on est capable de cavaler plus rapidement que cela. On passe la Flégére et son dernier pointage. La Flégére : 30 secondes d’arrêt ! On continue, j’essaie de trottiner mais les marches sont trop fortes pour moi. C’est pas grave on avance encore et c’est tout ce qu’il nous faut.
 
Le pompon c’est qu’avec ça on a oublier de refaire le plein à la Flégére et nous nous retrouvons au même moment sans eau avec Michel. C’est la descente aux enfers : blessé, sans eau, un petit moral de ne pas pouvoir avancer comme durant toute la course et avec ces coureurs qui nous narguent en passant, je suis sûr qu’ils nous narguent… (La fatigue me rend mythomane).
 
Bon on va s’arrêter à la Floria où nous pouvons remplir une bouteille avec de l’eau et discuter avec le patron de la petite taverne une petite pose qui me fait du bien. Mais qui ne change rien à ma foutu contracture. On repart pour boucler ce fameux UTMB.
 
Puis j’essaye de courir, cela tient 5 mètres et je marche 5 mètres et j’enchaine ainsi les fractionnés ce qui a  pour résultat d’agacer Mich’ qui ne sait plus sur quel pied danser et au milieu de cette déchéance il me raconte l’histoire d’un gars qui vient de nous passer : « tu sais celui là, il est malade depuis le début, il a vomi durant pratiquement toute la course, il a eu du mal à s’alimenter et tu vois comment il nous passe, chapeau ! ». Alors ni une ni deux, comme dit Mich’ j’ai mis mon cerveau en mode OFF, coupant ainsi les terminaisons nerveuses et on a lâché les chevaux, mordu sur notre chique. On essaie de voir si cela passe ou si cela casse. Ça à l’air de passer et nous reprenons doucement mais surement une bonne partie des coureurs qui nous  ont nargués et  qui maintenant semblent être à la ramasse. Quelle fin mes aïeux ! Nous finissons en courant comme des grands avec grand plaisir de se voir l’un l’autre avancer, de croiser à 200 mètres de l’arrivée Eric et de franchir cette foutu ligne d’arrivée comme on se l’était promis en réalisant la brouette.
 
Nous y voilà enfin après une année entière à penser cette course hors du commun.
 
Merci Mich’ pour ces plus de 38h de partage
 
Merci à Eric de nous avoir embarqué dans cette aventure humaine
 
Merci à Julie, Claudine et Françoise pour leur présence sur le parcours
 
Merci  à Gaby  pour avoir été présente avec moi durant tout le parcours car c’est entre autre pour elle que je voulais finir ce petit tour, qu’elle soit fière de moi et prenne conscience des sacrifices qu’elle a pu faire pour que je puisse venir à bout de cette course.
 
Olivier Beaumont
 
Merci  à vous tous qui nous avez suivi sur le site de l’UTMB et dont nous recevons pratiquement tous les jours les félicitations.

 

Mise à jour le Lundi, 19 Octobre 2009 11:39