Tout est clair, à présent – Arnold Couchard, 2009
Écrit par Best of Verviers   
Vendredi, 04 Décembre 2009 18:13

La dernière oeuvre d’Arnold Couchard (Tout est clair, à présent aux éditions Noctambules) est surprenante à plus d’un titre.

Il nous avait habitué à des romans sur le ton policier (On ne sait pas ce que le passé nous réserve) ou sur celui de la quête humaniste (Les jours d’avant la longue nuit) et voici qu’il aborde les thèmes de l’introspection, voire de la folie. Qui plus est en utilisant une narration au féminin, exercice sans doute difficile pour un écrivain qui, parfaitement réussi, n’en démontre que plus la qualité de l’auteur.

C’est Isabella qui nous entraîne dans cette ville hors du temps et des chemins battus, inconsciemment à la recherche d’elle-même. De multiples personnages, plus inattendus et alambiqués du cortex les uns que les autres (du commissaire de police à l’orpheline en passant par le commis ou le vieil écrivain en fuite), vont croiser son cheminement apportant de page en page des moments de lecture savoureux, truculents et amusants. Les lieux sortent du même tonneau délirant, un hôtel à la soviet, un bordel fabuleux, un château hors du temps, un casino où l’on vous offre le crédit, bref un imaginaire débridé.

Le tout dans un microcosme troublant, une ville qui l’emprisonne. Un endroit où le car n’a pas d’horaire, alors forcément elle le rate à chaque fois et n’arrive pas à repartir.

Mais pour partir, il faudrait qu’elle en fasse le choix lui explique-t-on. Malheureusement elle ne semble pas connaître la différence entre « choisir » et « décider ».

Je vous invite vraiment à accompagner Isabella dans cette aventure et, comme elle, osciller entre folie et réalité au fil des pages.

Arnold Couchard, bonjour.

Vous publiez actuellement votre dernier roman "Tout est clair, à présent" que nous avons lu avec attention et dont nous avons donné nos impressions ci-avant.

A la lecture de la biographie en début d'ouvrage on constate que vous n'êtes pas novice dans le domaine et nous aimerions en connaître un peu plus sur vous et votre oeuvre littéraire.

Tout d'abord, êtes-vous originaire de Verviers et habitez-vous dans la région?

 

A.C. : Bonjour et merci de m’accorder une place dans votre espace…

Je suis né à Polleur et j’ai passé mon adolescence à Spa.

A part cela, et après les études à l’Université et à l’Académie des  Beaux-Arts de Liège puis à l’Ihecs alors installée à Tournai, j’ai bourlingué entre Anvers, Bruxelles, Kinshasa, à nouveau Bruxelles, et enfin Paris.

 

Voici une quinzaine d’années que je suis revenu « au pays » pour m’établir à Verviers, au cœur d’une région avec laquelle j’avais de profondes racines.

La famille Couchard est en effet originaire de Limbourg et on en retrouve des traces jusqu’au début du 17e siècle.


Le lecteur attentif constatera que l'illustration de la couverture représente une ville d'eau bien connue, votre environnement est-il une source d'inspiration et quels lieux appréciez-vous particulièrement?

A.C. : Hé oui, il s’agit de Spa… Ce n’est pas tout à fait anodin. L’idée de « Tout est clair, à présent » m’est venue Spa. Et c’est un peu Spa que j’ai gardé à l’esprit pendant la rédaction du roman. Même si la description de la ville imaginaire de Grünenberg s’en écarte beaucoup, l’environnement : région de collines, de forêts… est bien le même.

Pour d’autres lieux, je me suis quelquefois  inspiré de Verviers dans mes nouvelles (mais le plus souvent sous les noms de Verville ou Vieilleville…). Je reste un fidèle des Hautes Fagnes.

A Verviers même, je me déplace presque toujours à pieds et j’apprécie particulièrement les bords de Vesdre où se développe une vie aviaire en pleine expansion : hérons, poules d’eau  et, depuis deux ou trois ans, le grand cormoran. J’aime aussi les parcs : l’Harmonie, Séroule et la Tourelle où s’élève cet étrange bâtiment propre à titiller l’imagination.

 


 


Qu'est-ce qui vous a conduit vers l'écriture, avez-vous une fibre artistique particulière?

A.C. : J’ai eu une formation mixte : droit, journalisme, publicité et arts graphiques. J’ai eu la chance de pouvoir la mettre en pratique tout au long de ma carrière professionnelle, dans l’édition et dans la publicité. Parallèlement, j’ai toujours écrit avec des hauts et des bas, suivant mes temps libres.

Le dessin et la peinture sont plutôt passés à l’arrière plan, même si je m’y remets sporadiquement et juste pour le plaisir. L’écriture reste un moyen privilégié de partager mon imaginaire et, je l’espère, mes émotions.

Vous publiez depuis moins d'une dizaine d'année, mais à un rythme assez soutenu. Quel est ce besoin d'inventer des histoires, et pourquoi maintenant ?


A.C. : En vérité, mes premières publications remontent aux années 1963-65. A l’époque j’ai publié une demi douzaine de courts romans dit « sentimentaux » dans le magazine « Lectures d’Aujourd’hui ». De 1970 à 1990, j’ai régulièrement travaillé comme collaborateur extérieur avec la RTBF-Namur pour des séries d’émissions  axées sur la chanson française (Chevalier, Piaf, Brel, Django Rheinhard, Vian etc.). J’ai aussi eu l’occasion de traduire plusieurs ouvrages de l’anglais vers le français.

De l’Histoire, mais aussi, et c’était assez amusant, des romans de Barbara Cartland. En revanche, je n’ai plus fait grand chose entre 1990 et 2003, mon activité d’indépendant mobilisant toute mon énergie et tous mes loisirs.  J’ai repris l’écriture après un séjour à l’hôpital et une décision de mettre un terme à mon activité professionnelle. Je me suis remis à écrire des nouvelles, d’abord ; puis, celles-ci devenant de plus en plus longues, des romans.

J’ai donc  toujours inventé des histoires et je les ai mises sur papier depuis l’âge de douze ou treize ans ; et depuis six ans à un rythme plus soutenu parce que j’ai le loisir de m’y consacrer régulièrement.



Dans "Tout est clair, à présent" on est plongé dans une ville idéale ou de cinglés?

A.C. : L’idée de départ m’est venue voici plusieurs années. Au cours d’une promenade à Spa sur la Promenade de Sept Heures, je suis tombé sur un vieil homme assis sur un banc. J’ai reconnu mon ancien prof de gymnastique à l’Athénée. Je me suis assis à côté de lui et nous avons bavardé. Il avait perdu sa femme quelques années auparavant et me répétait qu’il n’avait plus rien qui le retenait à Spa : ses enfants étaient au loin et finalement, il en avait assez de vivre dans cette petite ville où…

Cela revenait comme un leitmotiv dans son monologue et j’ai fini par lui dire : « Mais pourquoi ne partez-vous pas, si rien ne vous retient… ». Il a levé les yeux et avec un regard très bizarre m’a répondu : « Je ne peux pas partir… ». 

Quant à la nature réelle de Grünenberg, je laisserai au lecteur le plaisir de la découvrir…



Comment procédez-vous dans l'acte d'écrire? De quelle ambiance avez-vous besoin pour vous inspirer? Les choses viennent-elles au fur et à mesure ou bien préparez-vous un plan documenté? Avez-vous un style unique ou évoluez-vous à chaque roman?

A.C. :Et, en fait, il est bien vrai que l’imagination est un muscle comme un autre : plus on la fait travailler, plus elle se développe. Cela implique aussi une certaine discipline de travail. J’ai la chance d’être insomniaque et de m’éveiller vers les deux heures du matin. J’en profite pour travailler tranquillement pendant trois ou quatre heures sans être distrait. L’idée de départ est souvent peu de chose, une sensation, une émission de télévision ou une rencontre  (comme pour « Tout est clair, à présent »).

Parfois je me lance directement dessus, parfois elle mûrit inconsciemment pendant des années. J’établis toujours un plan très précis : personnages, découpage en chapitre…  Mais en cours de rédaction il se dégage le plus souvent une orientation différente de celle initialement planifiée. C’est que certains personnages prennent davantage d’importance que prévu et que certaines situations donnent une direction imprévue à l’intrigue. A mi-chemin, il me faut donc prendre un peu de recul et je fais une pause de quelques jours ou quelques semaines, le temps de restituer convenablement les choses. J’avoue aussi que dans presque tous les cas, la fin est très différente de celle initialement imaginée. Mais où serait le plaisir d’écrire sans cette espèce d’autonomie que s’autorisent les personnages et sans les surprises dont ils nous gratifient ? 

Quant au style il est certain qu’il évolue. D’une part parce que l’impose le ton du roman. D’autre part parce qu’on évolue soi-même. Je constate par exemple que j’ai de plus en plus recours à l’indicatif du présent alors qu’il y a trois ou quatre ans, je privilégiais le passé simple.

 

Quelles sont vos influences littéraires, et qu'est-ce qui vous fascine chez ces auteurs?

A.C. :J’ai toujours été très éclectique dans mes lectures. Très jeune, je me partageais entre la science fiction et la série noire. Plus tard, à l’adolescence, j’ai été fortement influencé par Marguerite Duras, Camus,  Anouilh, un peu le nouveau roman (Nathalie Sarraute, Michel Butor…) mais aussi Hervé Bazin et Gilbert Cesbron.

J’ai aussi beaucoup admiré Françoise Sagan qui était bien autre chose que le personnage public qu’on en faisait. Je ne peux passer sous silence Hemingway dont l’apparente simplicité de style résultait d’un travail acharné pour éliminer l’inutile. Chez lui, comme chez Marguerite Duras, ce qui me fascine est cette manière de faire passer l’essentiel de la réalité des êtres et des situations à travers la façade de dialogues à première vue anodins. Le lecteur est obligé de se livrer à un travail de décryptage pour découvrir la vérité.

Je garde aussi une pensée émue pour Boris Vian dont « L’écume des jours » est vraiment le seul livre que j’aurais aimé écrire. Je n’en ai malheureusement pas le génie.



Parmi les derniers livres que vous avez lus, pouvez-vous en mettre deux en exergue et les conseiller à nos accros du web (un auteur international et un auteur national/régional)?


A.C. : En littérature internationale, je viens de relire avec fascination « Ma part d’ombre » et puis « Clandestin » de James Elroy. Pour ce qui est des régionaux, ces derniers mois ont été riches en parutions qui, toutes en valent la peine et montrent bien la qualité et la diversité des auteurs de notre région. 

Alors je vais citer en vrac mes dernières lectures, (dont Best of Verviers a d’ailleurs parlé) : « La trappe du diable » de Claude Hercot, « Ylang-Ylang » de Philippe Groulard, , « A bout portant » de Léna Mariel.

J’ajouterai ma dernière lecture en date, encore à l’état d’épreuves mais qui va paraître incessamment aux éditions Irezumi, un  thriller sanglant de Lyndia Bastin : « La Vesdre meurtrière ».

 

Parlez-nous des éditions Noctambules.


A.C. : Un préalable : ayant travaillé dans l’édition et ce au niveau de la distribution, je suis bien placé pour connaître la problématique de l’édition et de la diffusion. Ne nous faisons pas d’illusions : dans la masse de 4 à 500 manuscrits qui débarquent mensuellement chez les « grands » éditeurs, un auteur n’a qu’une chance très minime de se voir retenu. Le choix des éditeurs, qui sont des entreprises commerciales comme les autres, va tout normalement vers les ouvrages qu’ils ont de bonnes raisons de pouvoir vendre. Ils publieront donc par ordre de priorité : les auteurs déjà reconnus ou qui font partie de leur écurie (le travail de marketing est déjà partiellement fait), les auteurs qui ont une certaine notoriété médiatique (le public est attiré par des noms qu’il connaît déjà), les livres de critiques littéraires (parce qu’ils peuvent compter comme acquis le renvoi d’ascenseur des confrères), les ouvrages traitant de sujets d’actualité (scandales politiques, port du voile, conspiration universelle etc.)…

Quant à la distribution, c’est la quadrature du cercle : pour avoir accès à une distribution nationale, il faut faire une mise en place dans les librairies (ce qui représente plusieurs centaines d’exemplaires) et attendre des mois avant les retours d’invendus défraîchis et les décomptes. Cela représente un investissement considérable le plus souvent à fonds perdus.  Cela ne sert à rien si on n’a pas pu faire passer l’information dans les médias qui, eux, ne sont que la caisse de résonance des grands éditeurs et qui ne parlent, évidement, que des ouvrages dont on parle…

Le piège pour l’écrivain est l’édition à compte d’auteur où certains spécialistes arrivent à pomper des milliers d’euros à l’auteur en ne lui offrant en définitive qu’une dizaine d’exemplaires de son livre et sans aucune diffusion mais en bloquant leurs droits sur toute autre publication. C’est une escroquerie pure et simple.

Alors, plutôt que de m’épuiser outre mesure à envoyer des manuscrits et à attendre pendant des mois une réponse toujours polie mais assurée d’avance d’être négative, j’ai décidé, en 2005, de publier moi-même mes romans et mes nouvelles. De fil en aiguille, j’ai été sollicité par d’autres auteurs (Michel Marchal, Wadltraut Treilles, Philippe Groulard, Albert Fleury, Mona Korak) auxquels j’ai apporté mon savoir-faire et la possibilité de voir leur livre finalisé sous le label des éditions Noctambules, tout en leur permettant de conserver leur liberté et l’entièreté des droits sur leur œuvre.


Arnold, merci beaucoup d'avoir pris un peu de votre temps pour répondre à nos questions.

 

A.C. : Pas du tout, au contraire, c’est à moi de remercier très sincèrement Best of Verviers de se faire l’écho des auteurs de la région. C’est à dessein que je ne dis pas « régionaux », parce qu’ils sont bien davantage et qu’ils méritent bien davantage que la part congrue qui leur est habituellement concédée dans la plupart des médias.


Vous pouvez vous procurer les romans d'Arnold Couchard dans les librairies suivantes : « Au fil d’Ariane » et aux « Augustins » à Verviers ; à « Pages après Pages » à Spa

Infos sur le site des Editions Noctambules : http://users.mobistar.be/polygraphos/index.html

Mise à jour le Vendredi, 04 Décembre 2009 18:37