Oiseau de malheur...
Écrit par Jean-Marie Poncelet   
Mardi, 28 Décembre 2010 15:14
 C'était souvent comme cela que nos ancêtres appelaient ce merveilleux passereau qu'est le Jaseur boréal.
Les invasions spectaculaires du Jaseur boréal sont connues de très longue date, notamment parce qu’elles furent associées, de manière très subjective, à des phénomènes aussi désastreux que les grandes épidémies de peste ou de cholera qui décimèrent les populations humaines jadis ou encore juste avant le début des guerres de 1914 et de 1940. Il n'en fallut pas plus pour que cet oiseau soit pourchassé et même massacré.
Chez les Néerlandophones, il porte le nom de "Pestvogel", tandis que, chez nous, en plus de Jaseur boréal, vous le retrouverez nommé Jaseur de Bohème peut-être appelé ainsi à cause de son caractère vagabond et de ses déplacements fréquents.
Qui est-il?
De la taille d'un Etourneau sansonnet, le Jaseur boréal arbore un plumage général rose-saumon. Sa tête est ornée d'une huppe de cette même couleur. Un fin sourcil noir se prolonge jusque dans la nuque. Les lores (partie entre les yeux et le bec) et la gorge sont noirs. Le bas du dos, le croupion et une partie des couvertures sont gris. L'extrémité des rectrices est blanche et le vexille externe est partiellement jaune. Deux taches blanches marquent encore l'aile. Les rémiges secondaires ont une pointe rouge. La courte queue noire est terminée par du jaune.

 

 
C'est un oiseau typique de la Taïga qui niche en Scandinavie et en Russie, soit en petites colonies ou de façon isolée, dans un nid en forme de coupe, généralement dans un grand conifère. En hiver, il fréquente les parcs et les haies à la recherche de nourriture. Il est principalement frugivore et consomme une quantité impressionnante de baies de toutes sortes (viorne, sorbe, cenelle, gui, etc.). C'est d'ailleurs par manque de nourriture qu'il délaisse le nord de l'Europe pour descendre, parfois, en grand nombre, vers l'ouest, le centre et même, parfois, jusqu'au sud de l'Europe. C'est pendant ces mouvements qu'il nous est possible d'en voir.

Mes rencontres...

C'est vers l'âge de 5 ans que mon grand père me fit découvrir ce bel oiseau, un individu avait fait une petite halte à Stembert, sur les hauteurs de Verviers. Quelques années plus tard, en 1965, une invasion modérée de ces oiseaux me permit de mieux les apprécier... j'avais 11 ans. Ensuite le désert pendant presque 40 ans.
Vint l'hiver 2004 - 2005, où une invasion majeure de Jaseurs boréaux, la plus importante pour la période historique récente dotée de publications et de données bien documentées, eut lieu. C'est cet hiver que j'ai pu, pour la première fois, photographier ce passereau ainsi que de le faire découvrir à une partie de ma famille, de très bons souvenirs. J'en ai vu à Seraing, Xhoris et Huy, mais il y en a eu aussi à Ensival, Heusy et dans bien d'autres endroits encore. Sur certains sites, ils étaient en grand nombre, par exemple plus de 150 à Seraing.
En 2006, seulement quelques individus feront une courte halte du coté d'Amay.
En 2007, ce fut une année noire... aucun individu rencontré.
L'hiver 2008 - 2009 fut nettement plus intéressant avec des oiseaux photographiés à Malmédy, Erezée, Kin (Aywaille) et, surtout pendant plusieurs semaines, à Clermont sous Huy.
Chaque hiver, j'attends avec espoir la venue des ces habitants du Nord. Maintenant, avec Internet, c'est plus facile, car plusieurs sites (notamment suédois) suivent les mouvements de ces nomades.
 Il y a quelques semaines, je suis informé d'un départ très important de Jaseurs. D'après les ornithologues finlandais et suédois, la nourriture n'est pas très abondante. Le flux d'oiseaux quittant la la Scandinavie est de plusieurs milliers d'individus par jour. Il faudra voir si cela va continuer. Fin novembre, on estime que plus de 200000 Jaseurs boréaux sont partis en quête de nourriture. On en signale en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse et en Belgique, mais pas en Wallonie. Je suis impatient de le retrouver! Enfin, quelques individus sont découverts dans le Hainaut... ils se rapprochent.
Un sms providentiel...


Un matin, j'allume mon gsm et, directement, je reçois un sms: ils sont là. Un copain, qui visitait une maison pour son boulot, en a découvert 7 mangeant des baies d'un cotonéaster; de plus, ce n'est pas très loin de chez moi... c'est à Grace-Hollogne. Ayant congé et mon épouse aussi, nous décidons d'y aller directement, ces oiseaux sont imprévisibles: ils peuvent rester des jours sur place ou bien simplement prendre des forces en mangeant des baies et puis repartir aussitôt. Mon matériel photo embarqué, nous sommes en route vers l'endroit indiqué, la tête pleine d'espoir. En chemin, je n'oublie pas de prévenir les copains susceptibles de faire ce court déplacement. Nous y sommes, mais malheureusement, les oiseaux ne sont plus à l'endroit indiqué. Nous cherchons pendant plus d'une heure scrutant la cime des arbres, les buissons, tous les cotonéasters de la rue sont analysés un à un. Aucune trace de ces oiseaux, j'interroge un habitant de la rue qui nettoyait son entrée de garage pour savoir s'il n'y avait pas une autre rue dans le voisinage qui portait le même nom que la sienne. Il me demande: "Qu'est-ce que vous cherchez?" Je lui dis être à la recherche des Jaseurs boréaux. Il me répond directement: "Des Jaseurs de Bohème, cela fait des années que je n'en ai plus vu, et je m'y connais." Je contacte un des copains qui cherchait également, mais lui non plus n'a rien trouvé. Déçus, nous reprenons le chemin de la maison, ce ne sera pas pour cette fois.


Heureusement, quelques jours plus tard, je vois sur Internet qu'on a vu ces oiseaux à Jehay-Bodegnée. Ils sont une bonne trentaine. Ce sera peut être le bon jour pour moi. Je note les coordonnées GPS de l'observation, charge ma voiture avec mon matériel, voilà je suis en route. Dommage, je suis seul: Joëlle n'est pas disponible. En arrivant dans cette commune que je connais un peu, je passe devant le beau château de Jehay, fais encore quelques centaines de mètres et vois, sur un sorbier, une dizaine de Jaseurs s'empiffrant de sorbes. Quel beau spectacle! Le seul petit bémol est, qu'à cet endroit, il m'est impossible de garer ma voiture. A cet instant, un camion vient dans l'autre sens et fait s'envoler les oiseaux. Je les suis aux jumelles. Je me dirige dans la direction prise par les fuyards et les retrouve, dans une haie remplie de cenelles. Le temps de faire quelques photos, malgré le manque de lumière, ils sont de nouveau repartis vers un autre endroit de la commune. D'habitude ces oiseaux sont moins farouches. Je vais, pendant plus de deux heures, courir après eux. Je ramènerai quelques photos correctes, mais sans plus, la lumière n'était pas de la partie. Je rentre content malgré tout du beau spectacle que la nature m'a encore une fois proposé.


A Vielsalm, cette fois-ci, on en signale une douzaine. Ceux-ci vont rester une dizaine de jours, près du lac des Doyards, j'aurai l'occasion d'aller leur rendre visite plusieurs fois. Les conditions de prises de vues seront fort variables. Un jour, un peu de soleil; un autre, de la pluie. Mais un véritable feu d'artifice orchestré par Dame Nature. Les oiseaux, ici, étaient assez tolérants avec les ornithologues et les photographes présents. Posés dans un bouleau, mangeant dans la haie d'aubépine et se laissant approchés à moins de 3 mètres, jouant avec les baies d'un sorbier comme de véritables jongleurs avant de les engloutir, se lavant et buvant dans de petites flaques juste à coté de la voiture qui me servait d'affut. Cette fois, je repars très content avec de la magie plein les yeux et des photos qui, j'espère, pourront rendre compte de cette émotion partagée par tous les copains et autres ornithologues présents.

  
Pendant les jours qui suivront, on en signalera encore quelques-uns notamment à Aywaille, à Chênée et, le jour de Noël, ce sont sept oiseaux qu'on observe à Strée. Quelque chose au fond de moi me dit que ce n'est pas fini et que la fin de l'hiver nous réserve encore pas mal de surprises.

Ouvrez l'oeil, car les oiseaux qui ont quitté la Scandinavie devront inévitablement y remonter. Je vous souhaite de pouvoir observer ce magnifique oiseau.

 


 


Bon début d'année 2011.
Bonnes balades et bonnes observations.
Jean-Marie Poncelet
www.jmponcelet.be     

 

Mise à jour le Jeudi, 06 Janvier 2011 12:08